« Eugenia » de Lionel Duroy

Je vous parle aujourd’hui d’un roman par lequel j’aborde pour la première fois l’œuvre de l’auteur avec :

 Eugenia de Lionel Duroy

 

QUATRIÈME DE COUVERTURE

 

A la fin des années trente, parce qu’elle est tombée sous le charme d’un romancier d’origine juive, Eugenia, une jeune et brillante étudiante roumaine, prend soudain conscience de la vague de haine antisémite qui se répand dans son pays. Peu à peu, la société entière semble frappée par cette gangrène morale, y compris certains membres de sa propre famille. Comment résister, lutter, témoigner, quand tout le monde autour de soi semble hypnotisé par la tentation de la barbarie ?

Avec pour toile de fond l’ascension du fascisme européen, ce roman foisonnant revient sur un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, l’effroyable pogrom de Jassy. Portrait d’une jeune femme libre, animée par le besoin insatiable de comprendre l’origine du mal, ce livre est aussi une mise en garde contre le retour des heures les plus sombres de l’Histoire.

 

CE QUE J’EN PENSE

 

L’auteur nous raconte un pan de l’histoire de la Roumanie, des années trente jusqu’à 1945, à travers une histoire d’amour entre une jeune étudiante Eugenia Radulescu et un écrivain juif célèbre Mihail Sebastian.

Eugenia a été élevée dans une famille où règne un antisémitisme pur et dur, son frère aîné Stefan ayant même rejoint la milice populiste qu’on appelle la « Garde de Fer » qui défile en terrorisant les Juifs, les maltraitant, et font du racolage :

« Quant à moi, j’ai treize ans et je me rappelle la fierté de nos parents lorsque Stefan revêt la chemise verte de la Garde de Fer et s’en va, le cou ceint de la croix, visiter avec ses camarades les villages alentour pour convaincre les paysans de rejoindre le mouvement de Codreanu, que l’on appelle désormais Capitaine… » P 25

Eugenia fait la connaissance de Mihail le jour où celui-ci vient faire une conférence dans son université, en 1935, conférence organisée par une enseignante qu’elle admire, Madame Costinas, laquelle jouera un rôle déterminant dans sa vie.

Lors de cette conférence, Stefan envoie ses sbires frapper Mihail, et Eugenia, horrifiée, aide son professeur à le prendre en charge. C’est ainsi que commence une prise de conscience chez la jeune étudiante.

« Il est inoubliable le moment où nos paupières se dessillent, où nous comprenons que nous avons été abusés. » P 37

En fait, les Roumains n’ont jamais accepté que les Juifs entrés chez eux à la fin de la première guerre mondiale aient été naturalisés, et sur fond de crise, il est tellement simple de rejeter la faute sur une population désignée d’avance…

« Pour nous, ces juifs venus de Galicie, de Russie, de Hongrie, de Pologne, d’on ne savait trop où encore, qui avaient envahi notre ville sans vergogne et dressé leurs synagogues ici et là, demeuraient des juifs, des étrangers, et ne seraient jamais de véritables Roumains. » P 22

On découvre ainsi le comportement de la Roumanie, pendant la guerre, le roi Carol II tentant de ménager la chèvre et le chou, les actifs de la Garde de Fer sont arrêtés jugés exécutés, le mouvement interdit, malgré la fascination du peuple pour Hitler, mais il y a eu la signature du pacte germano-soviétique et la grande peur de l’URSS qui veut récupérer des terres conquises par la Roumanie : Bessarabie, Bucovine…

Quand la guerre éclate avec l’URSS Andrei, le jeune frère d’Eugenia est envoyé au front, tant que Stefan s’est réfugié à Berlin, planqué dans l’entourage d’Hitler. Mais les Russes finissent par l’emporter et évidemment c’est de la faute des Juifs d’où le pogrom de Jassy en juin 1941 (comme il y a eu celui de Bucarest en janvier) qu’Eugenia nous raconte dans le détail, arpentant la ville pour couvrir les évènements pour un journal de Bucarest.

Cet évènement va déclencher des prises de conscience, des gens vont entrer dans la Résistance, tous ne sont pas des collabos à la botte des nazis. Comment peut-on assassiner du jour au lendemain des gens qui ont été des voisins, des proches parfois ? c’est une question que je poserai toujours car elle reste malheureusement d’actualité, on connaît l’effet « meute » …

Les exactions de la Garde de Fer étaient d’une telle violence que même Hitler et ses troupes s’en inquiétaient… Selon cet officier, le chaos qui s’installait dans le pays inquiétaient de plus en plus les Allemands et ils ne laisseraient sûrement pas la situation perdurer. » P 204

Tout au long de ce roman, c’est Eugenia qui parle, utilisant le « je » et on assiste à son évolution, son éveil politique ; on voit évoluer sa réflexion, son appréciation de la situation, et son comportement va se modifier en profondeur; en même temps, elle découvre un autre univers, le monde de Mihail et de son écriture… elle ne porte pas de jugement péremptoire, elle constate les actes et les paroles des uns et des autres et les note de manière la plus objective possible, ce qui ne l’empêche pas de réfléchir sur la responsabilité des hommes et la répétition d’évènements qu’on pensait ne jamais voir  se reproduire, tant ils étaient atroces.

Lionel Duroy alterne des évènements du présent (1945) et du passé, et mêle habilement l’histoire d’amour, plutôt à sens unique, entre Eugenia et Mihail, ce qui donne un rythme particulier à ce récit puissant et passionnant. Il évoque aussi très bien les déchirements dans une même famille, lorsque les enfants ont des engagements qui s’opposent, et le rôle de l’éducation, dans le rejet de l’autre.

Je connaissais peu l’histoire de la Roumanie et son côté fasciste pro nazi, à part, Ceausescu, le génie des Carpates, ainsi qu’il se surnommait, son exécution, Petre Roman, ou encore Nadia Comaneci… Donc surtout l’histoire après 1945.  J’ai donc appris beaucoup de choses et ce roman m’a donné envie d’en savoir davantage sur Mihail Sebastian, ses livres, notamment « Depuis deux mille ans », son journal, dont l’auteur nous donne des extraits, ses pièces de théâtre…. Et bien sûr sur les protagonistes du pogrom, tel le général Antonescu…

On rencontre aussi dans ce roman, Malaparte dont le comportement n’est pas toujours très clair, car en Italie aussi la censure règne, donc il n’écrit pas ce qu’il veut dans ses articles. On croise aussi Ionesco ou Cioran, ou Petrescu ainsi que des artistes de l’époque en particulier, Leny Caler, actrice et chanteuse célèbre pendant l’entre deux guerres et qui fut la maîtresse de Mihail Sebastian et de Camil Petrescu …

Ce qui fait aussi l’originalité de ce roman, c’est le choix que fait Lionel Duroy de commencer le récit le 30 mai 1945, nous disant d’emblée si Mihail a survécu ou on à cette guerre, ce qui permet au lecteur de profiter de l’histoire sans se poser la question de manière  lancinante…

J’ai adoré ce roman, qui avait tout pour me plaire car cette période de l’Histoire me passionne, et j’ai été conquise par le travail de recherche et le style de Lionel Duroy, dont j’aborde l’œuvre pour la première fois, alors que plusieurs de ses livres sont dans ma PAL débordante…

Auteur à suivre de plus près donc.

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A propos de Leny Caler :

https://translate.google.com/translate?hl=fr&sl=ro&u=https://ro.wikipedia.org/wiki/Leny_Caler&prev=search

Pour la bibliographie de Mihail Sebastian : je vous renvoie à Babelio :

https://www.babelio.com/auteur/Mihail-Sebastian/33895  

 

 

 

EXTRAITS 

 

Certes, nous savions que depuis 1919, tous ces juifs étaient essentiellement roumains, comme notre père nous l’avait rappelé, mais nous savions aussi que la Roumanie avait dû prendre la décision de les naturaliser sous la pression de la France, sa grande amie, son alliée de la victoire de 1918 contre l’Allemagne, et qu’en vérité, ce n’était le souhait ni de nos dirigeants ni de la majorité du peuple roumain. Pour nous, ces juifs venus de Galicie, de Russie, de Hongrie, de Pologne, d’on ne savait trop où encore, qui avaient envahi notre ville sans vergogne et dressé leurs synagogues ici et là, demeuraient des juifs, des étrangers, et ne seraient jamais de véritables Roumains. P 22 

 

La fin de l’année universitaire avait été marquée par des violences inouïes – un étudiant juif avait été défenestré, la plupart avaient été battus, parfois au point d’être ramassés inanimés dans les couloirs, leurs papiers d’identité brûlés, leurs livres jetés par les fenêtres. P 23  

 

Dans mon souvenir, et bien qu’animée d’une haine têtue contre « les youpins qui sucent le sang de notre pays », la Garde est alors vécue sous notre toit comme une organisation de jeunesse patronnée par l’Église. P 25 

 

« Oh, ce merveilleux printemps 1939 ! La guerre était proche, elle menaçait, mais en attendant nous étions libres d’aller et venir, libres de nous aimer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. » P 131 

 

Comment le général Antonescu, « grand patriote, officier d’une honnêteté irréprochable » selon le Général Gamelin, a-t-il pu en venir à engager la Roumanie au côté de la « monstrueuse tyrannie » dénoncée par Churchill ? C’est une question à laquelle je ne sais pas répondre. A-t-il pensé que c’était le prix à payer pour sauver son cher pays, lui qui se prévalut alors d’être le « Pétain roumain » ? P 201 

 

Certaines personnes semblent croire que tans que les bombes ne sont pas larguées sur les rues de New-York, San Francisco, La Nouvelle Orléans ou Chicago, nous ne sommes pas attaqués. Ceux-là ferment tout simplement les yeux sur la leçon que nous devons tirer de chaque nation conquise par les nazis. P 224 

 

Qu’étions-nous en train de vivre ? Était-ce cela qu’on appelait un pogrom ? J’avais beaucoup lu sur celui de Chisinau, en 1903, sans imaginer qu’un tel déchaînement puisse se renouveler un jour. Puisque la chose avait eu lieu, qu’elle avait horrifié le monde entier, elle ne se reproduirait plus. Ainsi pensons-nous, nous figurant que l’expérience d’une atrocité nous prémunit contre sa répétition. P 335 

 

… Je m’étais tue, tout simplement. Peut-être par ce que c’est une humiliation insoutenable pour nous tous, hommes et femmes, avais-je songé, de devoir décrire de tels gestes. Déjà, on tente d’en écarter le souvenir, car le souvenir seul nous fait soudain nous lever, aller et venir nerveusement, prendre une cigarette, se brûler en l’allumant, ou se coincer les doigts dans la fenêtre en la refermant après avoir fumé, comme si on cherchait à se blesser, à se punir – alors naturellement on préfère se taire. C’est probablement indicible, voilà.

Mais non, m’étais-je rétorqué vivement, rien n’est indicible. Tout ce qui a existé, tout ce qui nous constitue, peut être dit, et sans doute doit être dit. P 435

 

LU EN MAI 2018

 

12 réflexions sur “« Eugenia » de Lionel Duroy

    1. ce livre m’a passionnée du début à la fin et les extraits du journal de Mihail Sebastian sont très tentants (dans les extraits, je n’ai cité que ce qui relève de la prose de L. Duroy et le choix a été dur…

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  1. Tu es fort convaincante, de plus je ne connaissais pas du tout ce pan de l’histoire. Le roman est à la bibli.
    Certains passages résonnent hélas même pour aujourd’hui…Ces étrangers demeurant étrangers…

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    1. idem pour moi, je connais très peu l’histoire (et la littérature) roumaine donc très bonne pioche… il est terriblement d’actualité, il n’y a qu’à voir la montée des populismes en Europe et le nombre de dictateurs actuels…
      je l’avais remarqué dans ‘LIRE » et il était disponible à la bibliothèque avec peu de personnes sur la liste d’attente pour une fois

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