« L’enfant qui mesurait le monde » de Metin Arditi

Je vous présente aujourd’hui ce roman de Metin Arditi, un auteur francophone contemporain d’origine turque  que j’apprécie particulièrement :

 L'enfant qui mesurait le monde de Metin Arditi

 

Quatrième de couverture:

Sur l’île de Kalamaki, Yannis, un enfant autiste, mesure chaque jour l’ordre d’arrivée des bateaux, les quantités pêchées, le nombre de clients du café Stamboulidis. Il cherche à capter l’ordre du monde. Un projet de construction vient diviser l’île et menacer l’équilibre. Mais, il y a Eliot, un architecte américain qui étudie le Nombre d’Or. Une amitié bouleversante se noue entre l’homme et l’enfant.

« Sa plage était entourée d’une forêt de pins parasols qui montait en pente douce et présentait la baie comme on offre un bijou. »

 

Ce que j’en pense:

Eliot Peters, citoyen américain, apprend brutalement le décès accidentel de sa fille Evridiki (Eurydice) alors qu’elle effectuait des recherches sur les vestiges de théâtres, en Grèce, notamment sur l’île de Kalamaki. En se rendant sur place pour s’occuper des formalités, il va l’enterrer sur sur l’île, dans le petit cimetière face à la mer. Ensuite, il faut continuer à vivre…

Bien installé et intégré comme architecte  aux USA, car sa famille a dû quitter la Grèce autrefois,  il a presque malgré lui, inculqué l’amour de ce pays, sa philosophie, sa culture à sa fille qui a senti l’appel des racines familiales. Finalement il choisit de s’installer sur l’île, et de reprendre les recherches de sa fille.

C’est ainsi que sa route va croiser celle de Yannis, un enfant autiste, que sa mère a du mal à apprivoiser : il refuse les contacts corporels, (on imagine la frustration douloureuse de la mère), les seuls contacts se font dans la mer quand elle lui apprend à nager, ou sur le chemin du retour en scooter.

Yannis pique de violentes colères, cassant tout, dès que l’angoisse l’envahit : les relations compliquées entre Maraki, sa mère et Andréa, son père, le maire de la ville, car l’autisme les a poussés vers le divorce, par exemple. Cet enfant est une éponge pour les émotions des autres et a mis en place des rituels pour tenter de se rassurer : les bols doivent être jaunes, il fait des pliages pour tenter de maîtriser les situations, va compter les clients du bar, ou l’arrivée des bateaux et les kilos de poissons pêchés tous les jours et traduit tout en chiffres…

Tout changement le perturbe et provoque des crises, mais dans le village il occupe une place particulière, chacun vivant en fonction de lui, de son rythme…

J’ai adoré la complicité qui se noue, peu à peu avec Eliot, qui remarque très vite son intelligence, sa maîtrise des chiffres, du calcul et va l’initier aux grands mythes grecs.

La mère de Maraki est très attachante car elle se bat seule pour assumer son fils, financièrement et affectivement. Elle va pêcher à l’aube avec son matériel traditionnel et Metin Arditi explique la fabrication de la palangre, comment la fabriquer à la main, comment l’utiliser…

Tous les personnages sont intéressants : Andréas, le maire qui veut à tout prix faire passer un projet immobilier qui va défigurer l’île, le prêtre qui donne des conseils, Grigoris qui tient le café Stamboulidis, le tout dans ce qui ronge la Grèce, avec les magouilles, les comptes truqués pour accéder à l’euro, la rancœur contre Bruxelles qui étrangle les habitants…

Metin Arditi m’a fait rêver, aussi, avec la suite de Fibronacci et le Nombre d’Or qu’on utilise en architecture (répartir les gradins d’un amphithéâtre) ou dans les proportions d’une statue. Avec lui tout est simple et harmonieux.

L’Histoire de la Grèce, sa culture, son passé, sa haine des turcs qui l’ont occupée, les grecs d’’Asie Mineure chassés d’Istambul en 1955, en passant par les nazis, puis la dictature des colonels, se mêlent harmonieusement à la petite histoire de nos protagonistes, sur fond de philosophie, d’architecture, archéologie…

L’auteur pose une question importante : l’île doit-elle rester une réserve avec sa plage protégée, ses pêcheurs, sa vie simple ou doit-elle céder aux sirènes de la spéculation immobilière, en attirant des étrangers riches, dans un hôtel luxueux, et des bateaux de tourisme énormes, ou étudier un autre projet qui respecte davantage la culture grecque ancienne?

Une mention spéciale à Kosmas, le prêtre orthodoxe, qui est à l’écoute de ses fidèles et aide Eliot pour affronter son deuil, parlant de religion avec douceur, sans être rigide dans ses conseils, loin des dogmes ou des diktats et à sa théorie des trois ancrages que nous propose le Christ : le libre arbitre, la Résurrection « à chaque instant l’être recommence. La vie reprend ses droits » et la troisième ancre : la vie renaît par le travail.

J’aime beaucoup Metin Arditi que j’ai découvert avec « La confrérie de moines volants » et dont j’ai adoré « Le Turquetto » et une fois de plus l’enthousiasme est présent. L’histoire est belle, de même que l’écriture sobre, sans jamais pontifier, le soin apporté au style, à la présentation, chaque chapitre ayant un titre et non un simple numéro, et racontant une petite histoire.

 Son approche de l’autisme est très fine, de même que ses répercussions sur la famille, les autres en général, et l’auteur l’intègre de fort belle manière dans le scénario, dans la réflexion sur le temps qui passe, le nécessité ou non du changement, le deuil. Tout est harmonieux dans ce récit, et l’auteur réussit même à faire rêver, lorsqu’il parle du parfum  du Nombre d’Or.

 

Extraits:

 

Pourtant, le libre arbitre existe. Dans les choses petites ou grandes, nous avons toujours une part de liberté, petite ou grande elle aussi…

… à toi de chercher ce qui, dans ta vie, dépendra de ta seule volonté. Ne serait-ce qu’une promenade le long de la mer. C’est ta part de libre arbitre. P 33

 

Aucun travail ne pourra effacer ton immense douleur. Mais, il t’aidera à l’adoucir. Mets-toi au travail. Où tu le voudras, en faisant ce que tu jugeras opportun. Ne reste pas désœuvré. Ici commence ton libre arbitre. P 34

 

Alors qu’il lisait et relisait les notes de sa fille, il éprouvait un sentiment déroutant. Plutôt que de raviver sa douleur, chaque lecture lui procurait un apaisement. Au fil des jours, ce sentiment se renforçait. Il se retrouvait en communion avec elle. P 37

 

Ce que je te demande est difficile, j’en suis conscient. Mais n’oublie pas ceci. Extraire quelqu’un des enfers, c’est s’en extraire soi-même. P 42

 

La maison du diable. Du temps de la drachme, emprunter coûtait vingt-cinq pour cent. A ce taux, personne ne s’endettait. Avec l’Europe, l’argent ne coutait rien ou presque. Du coup le pays entier a emprunté à tout-va. Puis est venue la crise, il a fallu rembourser Satan. Des maisons ont été saisies. Des familles ont dû se regrouper, quelquefois sur trois générations… P 61

 

Chaque anniversaire était plus douloureux que le précédent. Le passé, elle l’oubliait volontiers. Les crises, les hurlements, les objets cassés, tout cela n’avait pas d’importance. Le présent, elle s’en chargeait. Le problème, c’était demain. Yannis grandissait… P 110

 

Elefthéria i thanatos, disait la devise de l’île. La liberté ou la mort. Chacun était l’égal de chacun, et dans ce dialogue entre fiers, l’État n’avait pas sa place. Il ne s’était jamais montré digne de ses citoyens, et toute réconciliation semblait exclue. P 134

 

Lu en février 2018

16 réflexions sur “« L’enfant qui mesurait le monde » de Metin Arditi

    1. il est différent de ses autres romans car l’autisme y joue un rôle de protagoniste en fait (presque de prisme!) en plus de la quête architecturale et de l’histoire… c’est ce côté-là qui m’a vraiment touchée
      « Le Turquetto » reste mon préféré pour l’instant

      J’aime

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