« Ils vont tuer Robert Kennedy » de Marc Dugain

Je vous parle aujourd’hui du premier livre de cet auteur prolifique qui me tentait peu jusqu’à présent mais quand s’agissant de la famille Kennedy, je me suis dit pourquoi pas?

Ils vont tuer Rober Kennedy de Marc Dugain

 

Quatrième de couverture

Un professeur d’histoire contemporaine de l’université de Colombie-Britannique est persuadé que la mort successive de ses deux parents en 1967 et 1968 est liée à l’assassinat de Robert Kennedy. Le roman déroule en parallèle l’enquête de son père, psychiatre renommé, spécialiste de l’hypnose, qui a quitté précipitamment la France avec sa mère à la fin des années quarante pour rejoindre le Canada et le parcours de Robert Kennedy. Celui-ci s’enfonce dans la dépression après l’assassinat de son frère John, avant de se décider à reprendre le flambeau familial pour l’élection présidentielle de 1968, sachant que cela le conduit à une mort inévitable. Ces deux histoires intimement liées sont prétexte à revisiter l’histoire des États-Unis des années soixante. Contre-culture et violence politique dominent cette période pourtant porteuse d’espoir pour une génération dont on comprend comment et par qui elle a été sacrifiée. Après « La malédiction d’Edgar » et « Avenue des Géants », Marc Dugain revient avec ce roman ambitieux à ses sujets de prédilection où se côtoient psychose paranoïaque et besoin irrépressible de vérité.

 

Ce que j’en pense

 

Dans ce roman, il revient sur l’assassinat de JFK et la façon dont il est arrivé au pouvoir, ses addictions au sexe, le rôle du père Joe, maffieux antisémite, qui a magouillé pour faire élire son fils, la baie des cochons, le FBI, l’attitude de Johnson que  Robert Francis Kennedy alias RFK (ou encore Bobby pour les intimes) appellera le félon.

Marc Dugain nous décrit un John flamboyant, beau gosse, décomplexé par rapport à son père, plutôt misogyne, et un Bobby réservé, timide, obsédé par sa foi catholique, qui va finir par aller au combat comme un kamikaze car il sait très bien ce qui va se passer.

Ce qui rend Bobby attachant, outre la manière dont il va chercher à comprendre le pourquoi de l’assassinat de son frère et les personnes impliquées, c’est son idéalisme, son côté adolescent toujours dans l’ombre des aînés son réel désir de justice sociale pour les pauvres, les Noirs et sa bipolarité : il est capable de s’enthousiasmer pour mieux retomber dans la dépression, ce mal qui le ronge, le pousse vers le questionnement intérieur, la foi et lui fait découvrir la philosophie existentielle, notamment Camus.

Ce qui frappe également chez lui, c’est cette culpabilité immense par rapport à l’argent, la place dans la société qu’il pense ne pas mériter: « Moins réaliste et moins fataliste que Jack, le passé sombre de leur père, un affairiste antisémite et pro-nazis qui a fait fortune dans la prohibition, fait naître chez lui un fort sentiment de culpabilité. » P 41

Mais comment trouver sa place dans une telle famille, entre le père maffieux, qui le méprisait à cause de sa maladresse lorsqu’il était enfant, allant jusqu’à le traiter de chochotte « Un tel père est-il admirable ou simplement misérable ? Le pendule oscille interminablement. » P 121, la mère froide incapable d’amour, le frère aîné mort en héros au combat, et le deuxième, président martyr ? Marc Dugain a tendance parfois à nous les présenter comme des « malades mentaux » : l’addiction sexuelle et la touche dépressive de JFK, la bipolarité de Bobby, entre autres.

Le fonctionnement de cette famille est particulier pour une autre raison : « Un Kennedy succède toujours à un autre, auprès des femmes comme dans les fonctions publiques, c’est une règle non écrite de l’organisation de la tribu » P 50. De là à avancer l’hypothèse qu’il lui a succédé auprès de Marylin, de Jackie…

J’aime bien la phrase fétiche de Bobby, empruntée à George Bernard Shaw : « Vous voyez le monde tel qu’il est et vous vous dites : « Pourquoi ? », moi je rêve d’un autre monde et je me dis : « Pourquoi pas ? »

Marc Dugain revient très souvent sur le rôle de la CIA où  Hoover régna en maître absolu pendant plus de cinquante ans, obnubilé par sa haine du communisme, tenant en horreur tout ce qui peut y ressembler, y compris les personnes ayant des politiques tournées vers le peuple et tente de le réduire en miettes, coups d’états, assassinats discrets ou lavages de cerveaux ou du moins manipulation d’individus fragiles…

La théorie de l’auteur sur la récupération du mouvement de la contre-culture par la CIA inondant la Californie de LSD, en décérébrant tous ceux qui s’opposaient à la guerre du Vietnam, (ou en utilisant l’hypnose) est séduisante et plaira sûrement aux complotistes. Et on s’interroge quand même sur la manière dont les USA s’acharnent à semer le trouble sur la planète : ils ont « armé » les Talibans contre l’URSS, ou la guerre d’Irak car Saddam aurait eu des armes chimiques, grâce à W (ah le fameux « Dobeulyou » des guignols) ou simplement l’Amérique du Sud…

J’ai trouvé un déséquilibre entre le récit de l’histoire des parents assassinés de Mark O’Dugain (Marc Dugain) et celui de l’histoire des Kennedy. Le père du héros ressemble curieusement à Jack, résistant, passé à Londres puis espion à la solde du MI6, il doit fuir la France après la guerre car accusé de viol sous hypnose, par des personnes au comportement trouble pendant la guerre et qui meurt soi-disant par suicide… ce qui nous permet un détour par Bordeaux, puis les pseudo-résistants, le passé trouble de Mitterrand …

Je ne suis pas adepte de la théorie du complot mais je n’arrive à croire que JFK a été assassiné par un tueur isolé, Oswald, lui-même assassiné le lendemain dans les locaux de la police par un maffieux. En ce qui concerne RFK, j’ai moins réfléchi à la question, car on nous a moins matraqué avec des infos, à l’époque, car il n’était pas président.

Néanmoins, il est curieux de constater les similitudes entre les exécutions de JFK, RFK et Martin Luther King : un tueur isolé, les yeux hagards, des tirs qui se ressemblent… et de toute manière on ne saura rien tant qu’un membre de la famille Bush sera encore dans les parages.

J’ai lu ce livre en allant chercher des infos sur Internet pour vérifier ce qui était avéré et ce qui ne l’était pas, mais cela devenait fastidieux alors j’ai fini par me laisser porter par le récit… Je me suis souvent demandée en le lisant s’il n’aurait pas été préférable de lire  « La malédiction d’Edgar » et « Avenue des Géants » avant…

L’auteur réussit à semer le doute chez le lecteur car il y a des vérités et des interprétations qui sèment le doute, donc objectif rempli ! comme le dit si bien Marc Dugain : « J’ai toujours considéré que la vérité est comparable à Dieu, la question n’est pas de la trouver mais de la chercher, intensément, sans intermédiaire, de bonne foi. » P 315

Dans l’ensemble, malgré mes réticences, j’ai plutôt aimé ce roman, qui a titillé ma curiosité et j’ai éprouvé beaucoup d’empathie pour Robert Kennedy que je connaissais peu, ce qui m’a donné envie d’en savoir davantage sur lui.

 

Robert Kennedy

 

 

Extraits

Le souvenir de mon père planait au-dessus de la propriété. J’avais beaucoup aimé cet homme mais il était difficile, pour ne pas dire impossible de le connaître. Il était intimement organisé pour échapper aux autres, à leur curiosité, à leur emprise… Il restait au seuil de lui-même, et l’idée que les autres y pénètrent à sa place lui était intolérable. P 12

 

Mon père disait que chacun était libre de nommer comme il le voulait le grand Tout qui nous dépassait mais il n’avait pas l’intention, lui, de le nommer autrement que le grand Tout. « L’univers est infini, lui apporter des réponses finies, c’est renoncer et la grandeur de l’être humain, c’est de ne jamais renoncer ». P 16

 

L’Irlande, un des plus petits pays du monde, avait produit plusieurs millions de migrants, phénomène accentué par la grande famine du XIXe siècle. Aucun d’entre eux n’était arrivé si haut dans la hiérarchie humaine. Cet Irlandais-là était devenu le premier homme de la première des nations. Et on venait de l’abattre dans un dépôt de livres, à Dallas, d’une balle dans la tête. P 19

 

Le courage est la qualité qui conditionne toutes les autres, disait Kennedy. L’antisémitisme est une atrocité de l’âme qui conditionne toutes les autres. P 20

 

« Ce qui différencie les démocraties des régimes autoritaires, c’est que les démocraties acceptent qu’on dise la vérité. En revanche, il est rare qu’elles acceptent qu’on la démontre à un moment qui n’est pas le leur. P 32

 

Joe Kennedy, le père, a élevé ses fils dans la doctrine de la stricte séparation de l’amour et du sexe, comme d’autres ont imaginé la séparation de l’Église et de l’État. Mais Jack, pas plus que son père ne semble savoir ce qu’est l’amour. Un fond de misogynie entretenu par une mère glaciale, peu aimante, aveugle à toutes les traîtrises de son mari, ne l’y aide pas. P 81

 

De tous, Bobby est le plus profondément irlandais. Il porte en lui la mémoire de la tragédie irlandaise, d’une occupation coloniale scandaleuse a précipité un peuple dans la famine et l’exil. La revanche est à prendre sur ce sol d’immigration où les Britanniques ont exporté au cours des siècles la lie de l’humanité, un mélange de puritains exterminateurs et de marginaux à l’âme mitée. P 121

 

Jack n’est pas mort de l’ambition de son père mais d’un malentendu qui lui a fait croire qu’une fois élu il s’emploierait à changer le monde. P 124

 

Idéaliste, romantique, Bobby l’est par sa sensibilité et par une générosité non feinte, mais il sait se montrer réaliste : « l’espèce humaine ne s’amendera jamais complètement, on n’empêchera jamais certains hommes de tuer des enfants, notre responsabilité, c’est de faire en sorte qu’ils en tuent le moins possible. P 197

 

Les hommes comme Jack Kennedy et mon père ont un besoin profond de montrer aux autres que leur réussite ne tient qu’à eux, et qu’ils sont seuls maîtres de la détruire.

 

La charité c’est prendre aux pauvres tout ce qui leur reste : leur dignité. P 255

 

Un long deuil a commencé, et avec lui celui d’une Amérique différente, où l’argent et ses pulsions de mort ne serait plus le seul étalon, où le brassage ethnique se ferait avec bienveillance, où la violence civile et la guerre ne seraient plus que les tristes souvenirs d’une époque révolue. Une utopie en quelque sorte, et cette utopie vient de mourir. P 324.

 

La dynastie Clinton, parfois trouble, n’avait pas nui à la planète comme celle des Bush qui a fini par installer au plus haut de l’État la marionnette de Dick Cheney, le ventriloque au cœur transplanté, l’inoubliable pourfendeur du mal, George W. Bush, le fils prodigue à qui il a manqué certainement un quart d’heure de cuisson à la naissance et dont le seul héritage et le cancer islamiste. P 379

 

Lu en janvier 2018

13 réflexions sur “« Ils vont tuer Robert Kennedy » de Marc Dugain

      1. Jean -Pierre Ladet

        Bonjour,
        « La chambre des officiers » est un très beau roman ; le sujet est sombre, plein de destinées tragiques, mais l’écriture est simple (du moins en apparence), précise et dépeint tellement bien les sentiments.
        Les personnages sont attachants.
        Pour moi, c’est quasiment un chef d’oeuvre.
        Si ce n’est déjà fait, je vous souhaite une bonne lecture.
        PS Je termine « Ils vont tuer RFK ». J’apprécie beaucoup également et cela me donne envie de me documenter davantage sur l’histoire contemporaine des EU.

        Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.