« Le liseur » de Bernhard Schlink

Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui m’a attendu longtemps sur une étagère de ma bibliothèque :

 Le liseur de Bernhard Schlink

 

Quatrième de couverture

A quinze ans, Michaël fait la connaissance d’une femme de trente-cinq ans dont il devient l’amant. Pendant six mois, il la rejoint chez elle et lui fait la lecture à haute voix. Cette Hanna, mystérieuse, disparait du jour au lendemain.

Sept ans plus tard, Michaël assiste au procès de cinq criminelles parmi lesquelles il reconnaît Hanna. Elle se défend mal et est condamnée à la détention à perpétuité. Mais, sans lui parler, Michaël comprend soudain l’insoupçonnable secret qui, sans innocenter cette femme, éclaire sa destinée. Il la revoit une fois, des années plus tard. Il se met alors, pour comprendre, à écrire leur histoire, et son histoire à lui, dont il dit : « Comment pourrait-ce être un réconfort, que mon amour pour Hanna soit en quelque sorte le destin de ma génération que j’aurais moins bien su camoufler que les autres ».

Ce que j’en pense :

J’ai beaucoup aimé l’histoire car cette époque me fascine toujours autant et j’avais lu peu de romans jusqu’ici sur la période située juste après la deuxième guerre mondiale, côté allemand.

Michaël, cet adolescent qui découvre ses premiers émois dans les bras d’une femme plus âgée, dont il ne sait rien en fait, est un héros plutôt sympathique, ainsi que les rituels instaurés dans cette relation : il lui fait la lecture à haute voix avant de passer aux ébats amoureux. Elle lui apprend tout en ce qui concerne la sensualité, mais il ne sait rien de son histoire.

En la retrouvant sur le banc des accusées, quelques années plus tard, alors qu’il est étudiant en droit, il comprend ce qu’elle a fait pendant la guerre. Néanmoins, il lui restera fidèle malgré tout, et essaiera toujours de comprendre en jugeant le moins possible et en suivant son parcours lors de l’incarcération. A propos du crime, il dit :

« Lorsque je tentais de le comprendre, j’avais le sentiment de ne plus le condamner comme il méritait effectivement de l’être. Lorsque je le condamnais comme il le méritait, il n’y avait plus de place pour la compréhension. » P 177

Il a compris aussi qu’elle préfère porter la responsabilité plutôt que d’avouer qu’elle ne sait pas lire. Nous avons chacun notre dignité…

Bernhard Schlink aborde aussi dans ce roman le thème de la génération suivante : peut-on juger ses propres parents en ce qui concerne leur attitude, leur passivité devant les crimes du 3e Reich et qu’en est-il de la honte ? Peut-on avoir honte et juger en même temps ?

« Ces distances prises par rapport aux parents, n’était-ce qu’une rhétorique, un bruit, un brouillage, cherchant à dissimuler que l’amour pour les parents avait irrémédiablement entraîné une complicité dans leurs crimes ? » P 191

J’ai aimé l’idée que la lecture à haute voix, avec tous ces romans qu’il enregistre sur cassettes, pour les partager avec elle, puisse l’amener à apprendre à lire et écrire. Le lecteur vu sous l’angle du passeur en quelque sorte. Je retiens, surtout, la puissance de la lecture, de l’instruction aussi afin de pouvoir réfléchir, avoir un libre arbitre pour ne pas suivre aveuglément une idéologie barbare et  prendre sa vie en mains au lieu de la subir…

J’ai pris mon temps pour entamer cette lecture, alors que j’ai ce roman dans ma bibliothèque depuis longtemps, mais je pense qu’il y a un moment où on est prêt pour rencontrer un livre ou un auteur et qu’il faut suivre cette intuition.

J’ai trouvé un seul bémol à ce roman : l’écriture est assez froide, parfois même chirurgicale, ce qui m’a un peu désarmée, mais l’auteur l’a voulu ainsi, peut-être par pudeur, ou par respect pour l’autre. En tout cas, ce qui lie ces deux êtres est fascinant et conditionne leur avenir à tous les deux.

Quoi qu’il en soit, j’ai beaucoup apprécié cet hommage que Bernhard Schlink rend à l’amour et à la littérature et c’est ce que je retiendrai de ce roman qui soulève de nombreuses réflexions chez le lecteur…

Extraits

Parfois, le souvenir n’est déjà plus fidèle au bonheur quand la fin fut douloureuse.  Parce que le bonheur n’est pas vrai s’il ne dure pas éternellement ? Parce que ne peut finir douloureusement que ce qui était douloureux, inconsciemment et sans qu’on le sût ? P 48

                                                                  * * *

Mais, au bout d’un certain temps, mon souvenir d’elle cessa de m’accompagner. Elle resta en arrière, comme une ville quand le train repart. Elle est là quelque part, derrière vous, on pourrait s’y rendre et s’assurer qu’elle existe bien. Mais, pourquoi ferait-on cela ? P 99

                                                                  * * *

Je me souviens aussi que certains petits gestes d’affection me restaient en travers de la gorge : s’adressaient-il à moi ou à quelqu’un d’autre ? Il suffisait parfois d’une scène de film. Même à moi, ce mélange de cynisme et de sensiblerie paraissait suspect. P 101

                                                                  * * *

Je me souviens que dans ce séminaire, on débattait de l’interdiction des condamnations rétroactives. Suffisait-il que le paragraphe motivant la condamnation des gardiens et bourreaux des camps eût figuré dans le code pénal dès l’époque de leurs actes, ou bien fallait-il tenir compte de la façon dont ce paragraphe était alors interprété et appliqué, et du fait que de tels actes n’y ressortissaient justement pas à l’époque ? Qu’est-ce que la légalité ? Ce qui est dans le code, ou ce qui est effectivement pratiqué et observé dans la société ? P 102

                                                                  * * *

Je n’étais pas seulement anesthésié dans la salle d’audience, au point d’affronter la vue d’Hanna comme si ç’avait été un autre qui l’avait aimée et désirée, quelqu’un que j’aurais bien connu mais qui n’était pas moi. Tout le reste du temps aussi, j’étais debout, à côté de moi et je me regardais : à l’université, en famille, avec mes amis, je fonctionnais mais intérieurement, je ne participais à rien. P 115

                                                                  * * *

Mais enfin l’on condamnait et châtiait quelques rares individus, tandis que nous, la génération suivante, nous nous renfermions dans le silence de l’horreur, de la honte et de la culpabilité : et voilà, c’était tout ? P 119

                                                                  * * *

Par peur de la honte d’être analphabète, plutôt la honte d’être démasquée comme criminelle ? Plutôt être une criminelle ? P 150

                                                                  * * *

J’ai tenté de me persuader que j’étais dans l’état d’innocence qui est celui des enfants aimant leurs parents. Mais, l’amour qu’on porte à ses parents est le sul amour dont on ne soit pas responsable. P 191

                                                                  * * *

Lu en octobre novembre 2017

11 réflexions sur “« Le liseur » de Bernhard Schlink

    1. beaucoup de questionnement de tous ordres depuis que j’ai tourné la dernière page et notamment : qu’est ce que j’aurais fait « si j’avais été Allemande » comme le chante si bien JJ Goldmann et dans les 2 générations

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