« Le Turquetto » de Metin Arditi

En traînant dans les rayons de la bibliothèque, j’ai choisi ce livre car il était orné d’un cœur rouge sur la tranche signifiant qu’il avait été beaucoup aimé par les lecteurs…

  Le Turquetto de Metin Arditi

 

Quatrième de couverture

Se pourrait-il qu’un tableau célèbre – dont la signature présente une anomalie chromatique – soit l’unique œuvre d’un des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne : un élève prodige de Titien que lui-même appelait « Le Turquetto » (le petit Turc) ?

Metin Arditi s’est intéressé à ce personnage. Né de parents juifs en terre musulmane (à Constantinople, aux environs de 1519), ce fils d’un employé du marché aux esclaves s’exile très jeune à Venise pour y parfaire et pratiquer son art. sous une identité d’emprunt, il fréquente les ateliers de Titien avant de faire carrière et donner aux congrégations de Venise une œuvre admirable nourrie de tradition biblique, de calligraphie ottomane et d’art sacré byzantin. Il est sommet de sa gloire lorsqu’une liaison le dévoile et l’amène à comparaître devant les tribunaux de Venise…

 

Ce que j’en pense

Je retrouve cet auteur, dont j’ai bien aimé  » La confrérie des moines volants », avec un immense plaisir.

J’ai beaucoup aimé ce roman, car il s’agit bien d’un roman, bien que Metin Arditi nous propose une note au lecteur concernant un portrait attribué à Titien : « L’homme au gant » où il semblerait que la signature Ticianus soit peinte de deux couleurs différentes. De là, naît la légende du Turquetto.

Cette histoire est passionnante, tout d’abord, elle est écrite d’une façon tellement prenante que le premier réflexe est d’aller vérifier si le Turquetto a vraiment existé (cf. les nombreuses recherches en ce sens sur Google).

D’autre part, cet enfant Elie, de confession juive, la famille ayant fui l’Espagne pour émigrer en Turquie (musulmane) et le père vit dans un quartier où se retrouvent aussi des chrétiens orthodoxes, des Arméniens et travaille pour un marchand d’esclaves, notamment des jeunes filles destinées aux harems.

Elie a honte de son père qui est malade et n’a qu’une seule envie : dessiner, peindre. Or la religion juive interdit la reproduction qui sous-entendrait oser se comparer à Dieu. Il va apprendre la calligraphie chez un musulman Djelal, mais c’est considéré par son père comme une transgression.

A la mort de son père, il fuit à Venise pour apprendre la peinture auprès de Titien en prenant un nom grec et se faisant passer pour un chrétien car à Venise les juifs sont des parias et doivent porter le bonnet jaune et vivre dans un ghetto.

Un très beau roman sur la quête de l’identité, sur la transgression, sur la religion catholique à cette période et son intransigeance, son intolérance, avec deux personnages à l’opposé l’un de l’autre : le cardinal Gandolfi chrétien tolérant et le juge Scanziani, véritable inquisiteur, rusé, manipulateur.

Metin Arditi nous livre un portrait sans concession de Venise au XVIe siècle, avec les arrivistes de tout poil qui veulent se faire un nom, tel Cuneo, mais aussi sur la peinture, la représentation des scènes bibliques.

Ce Turquetto m’a beaucoup plu avec sa quête spirituelle, sa recherche de l’identité, qui tente d’allier des dogmes de chaque religion de les faire coexister, une quête bien d’actualité par ces temps où l’on tue au nom de Dieu, où certains parlent de reconstruire El Andalous. La religion, n’est-ce pas ce qui nous relient ?

L’atmosphère m’a rappelé un roman que j’ai beaucoup aimé de Amin Maalouf : « Léon l’Africain » obligé de quitter l’Andalousie? Reconquista oblige pour s’exiler à plusieurs reprises.

J’aime beaucoup ce genre de récits, c’est une époque et des thèmes qui m’intéressent, donc je continuerai à lire l’œuvre de cet auteur dont l’écriture est pleine de magie.

Un lien intéressant: https://www.littera05.com/rencontres/metinarditi.html

 

Extraits

 

L’encre, c’est une voix silencieuse, mon Elie. Et pour que les paroles du Prophète puissent pénétrer le croyant de toute leur beauté, cette voix doit être aussi belle que possible. P 35

 

Très vite, Elie avait acquis une maîtrise de grand calligraphe, tant pour la précision du trait que pour la sensualité du dessin. Et, lorsque Djelal lui donnait des indications, on aurait dit qu’Elie les avait devinées d’avance.

Le garçon éprouvait un bien-être immense lorsqu’il se trouvait chez Djelal. La calligraphie l’apaisait. Sa rigueur le rassurait. Il aimait l’effort qu’elle exigeait de lui, la possibilité qu’elle lui offrait de dessiner de façon à la fois précise et pleine de fantaisie. P 37

 

Abraham est notre père à tous,  reprit Djelal. Nous l’appelons Ibrahim. David s’appelle chez nous Davout, et Salomon, Süleyman. Nous avons un même Dieu. Nous lui parlons dans des langues différentes. P 37

 

A Balat, nous sommes tranquilles. Pour l’instant… Tant qu’il n’y a pas de Turcs dans le quartier… Mais si demain ils viennent habiter ici, nous serons déplacés… D’un jour à l’autre… Comme un troupeau! Grecs, juifs, Arméniens, ils nous chasseront tous. Ils nous mettront quelque part sur la route d’Andrinople, là où même les chèvres ne vont pas brouter… Cette église sera transformée en mosquée et ses mosaïques seront passées à la chaux, et tout sera éteint à jamais. P 63

 

Sur le chemin du retour, il repensa à sa discussion avec le pope. Cette histoire de Jésus qui était juif, c’était impossible. Efthymios avait dû dire cela pour le mettre à l’aise. Les Espagnols n’auraient pas chassé les juifs si Jésus était juif. P 65

 

C’était à cela que servait l’Église. A consoler. Pas à prévenir le péché. P 91

 

Le goût de Cuneo l’aurait porté à plus de sobriété. Mais, à Venise, il fallait prendre en compte les yeux des autres. P 144

 

Lu en juillet 2017

10 réflexions sur “« Le Turquetto » de Metin Arditi

  1. odot sylvie

    on encore un bon livre à lire, mais l’année « pause café » reprend avec pour thème l’Algérie, pour moi, je commencerai par « la cousine K » de Yasmina Khatra, et j’enchainerai sur « ce que le Jour doit à Nuit » du même auteur au talent immense
    Bises

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