« Les chemins de la Chartreuse » de Jean Sgard

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai eu l’occasion de lire grâce à l’opération Masse critique.

Chemins de la chartreuse Jean Sgard

 

Quatrième de couverture

Une promenade littéraire sur les routes de la Chartreuse pour découvrir les secrets de ce massif.

Un plateau défendu de gorges profondes et torrentueuses, des défilés étroits soulignant des sommets enneigés… Tel est le lieu où les moines chartreux ont choisi d’implanter leur monastère. Mais les voies sinueuses du massif ont aussi été sillonnées par des pèlerins, des voyageurs, des artistes, des constructeurs de routes, des bûcherons, des paysans en route vers les foires, etc.

Deux routes historiques furent empruntées. Une route utilitaire, utilisée par les paysans locaux et les bûcherons qui convoyaient jusqu’à l’Isère les troncs de pins destinés aux mâts de la flotte royale, et une route touristique, empruntée par les Parisiens et les Lyonnais, les pèlerins et les promeneurs.

Jean Sgard nous raconte l’histoire de ce massif au fil de ces chemins, depuis le haut Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui. On y croise des écrivains – Balzac, Rousseau, Chateaubriand, etc. –, des peintres, des bandits de grand chemin, comme Mandrin, mais aussi des travailleurs, des habitants, le petit peuple de Chartreuse.
Cette balade littéraire et humaine, pleine d’anecdotes savoureuses, nous permet de découvrir d’une autre façon ce beau parc naturel régional de Chartreuse.

Ce que j’en pense

Je remercie vivement Babelio et les Presses Universitaires de Grenoble (PUG) dans la collection « L’empreinte du temps »  qui m’ont permis de découvrir cet ouvrage.

Dans ce livre, qui nous décrit l’évolution des chemins de la Chartreuse de Saint Bruno à Balzac, l’auteur nous propose un travail remarquable, mais que cette critique est difficile à rédiger ! il y a une telle profusion d’informations, de thèmes de l’Histoire à l’économie en passant par la littérature, étayé par des textes d’époque…

Il nous explique la nature et la formation des deux chemins qui relient la Chartreuse et les petites villes. « Le grand Chemin du Sappey, utilitaire, fréquenté surtout par les bûcherons, les charroyeurs », et l’autre chemin plus touristique. Les routes utilitaires, par lesquelles étaient « transportés » les troncs d’arbres, qu’on appelait les « bois de marine » en direction des chantiers navals pour construire les bateaux, faisant des dégâts au passage, le chemin étant toujours à remettre en état.

Il y a eu également un arrachage pour fournir des essences au parc de Versailles aux dépens des habitants, et pour étayer ses dires, l’auteur cite « la remontrance des habitants de la commune du Sappey » en 1726 :

« Les Jardiniers du Roi arrachèrent en 1672, 1673 et 1674 plus de cent mille plants d’arbres dans les bois de ladite commune (Le Sappey) qu’ils transportèrent à Paris pour les transplanter dans les jardins de Versailles et ailleurs […] sans aucun dédommagement » P 29

L’auteur nous livre une étude détaillée sur l’évolution des petites communes, la manière dont elles tentent de s’organiser pour résister avec de faibles moyens tout au long des différentes périodes de l’Histoire.

On voit émerger, grandir, se structurer ce monastère, en suivant les traces de Saint Bruno. Les relations pas toujours simples avec les paysans locaux.

C’est ma région, alors j’ai eu beaucoup de plaisir à voir l’évolution de ces accès, les villes ou villages avec leurs noms de l’époque.

J’ai voyagé aussi avec Saint Bruno certes, mais aussi avec des « pèlerins » célèbres : Rousseau, qui a marché durant toute sa vie car il accordait beaucoup d’importance à la notion d’hygiène corporelle « marchez, voyagez, herborisez » disait-il, Chateaubriand, Stendhal :  Jean Sgard cite au passage des extraits des « Mémoires d’un touriste » ou de « Voyages en France »

On croise aussi Mandrin avec une étude intéressante des trafics du tabac, des étoffes et de la manière dont celui-ci a pris de l’ampleur ainsi que des conditions de son arrestation.

Il consacre un chapitre très intéressant à mon ami Honoré de Balzac : « Balzac à cheval » dans lequel il évoque le pèlerinage que celui-ci dit avoir fait et qui sert de trame à la rédaction de « Le médecin de campagne » en se demandant s’il a bien suivi le trajet ou s’il s’est inspiré des guides de l’époque, ce qui n’enlève rien au fait qu’il ait vraiment potassé son sujet…

Les hommes à l’époque marchaient énormément, par rapport à nous, ils ne devaient pas avoir trop de surcharge pondérale, et pratiquaient le « Mens sana in corpore sano ».

Jean Sgard partage avec nous ses références, les textes de l’époque, une bibliographie très étoffée.

Le livre nous propose aussi une belle iconographie de Catherine Cœuré, avec notamment des eaux fortes magnifiques, des cartes, des portraits…

Un bon et beau livre, très intéressant, passionnant même, aussi bien quand on est de la région, que pour tous les personnes qui ont envie de la découvrir.

http://www.pug.fr/produit/1327/9782706126680/Les%20chemins%20de%20la%20Chartreuse

 

Extraits

Alors que le Vercors, dont la structure géographique est comparable, est toujours figuré comme une forteresse d’accès difficile, la Chartreuse est ici un asile où l’on trouvera la solitude et la paix. Cette image dominera toutes les représentations : le massif est un lieu de silence et de méditation. Sans doute la montagne reste-t-elle effrayante, mais elle est un refuge, et se convertit finalement en un lieu de pèlerinage. P 13

Les maires de Grenoble qui étaient à la fin du XVIIe siècle, cultivateurs ou meuniers, sont au lendemain de la Révolution propriétaires ou grands bourgeois de Grenoble, ayant leur résidence à Corenc. P 50

Mandrin n’est pas sans instruction ; il se compare dit-on à César et Alexandre. Il connaît surtout la « science de la géographie » et se déplace avec une habileté consommée : « du Rhin à la Méditerranée sur quarante lieues de large il n’ignorait pas un sentier ». il connaît également le marché du tabac, des mousselines et des indiennes, aussi bien en suisse qu’en Angleterre et en Hollande. P 80

On pourrait évidemment objecter que les moines ont choisi leur site (non sans mal dans le cas de la Chartreuse) pour des raisons de sécurité, de fertilité et de commodité ; pour Chateaubriand, non, le monument chrétien imprime sa marque au site, le convertit en quelque sorte. Le Christianisme se définit finalement comme un style. P 120

 

On découvre ici, aujourd’hui encore, une mise en scène impressionnante de la solitude, du silence et de la sainteté. Le site illustre une vision du christianisme des origines, la beauté du paysage et de l’architecture n’efface pas son caractère religieux ; le voyage à la Grande Chartreuse restera désormais, si peu que ce soit, un pèlerinage. P 147

Personne mieux que Balzac n’a montré l’essor de l’économie montagnarde au cours des années de la Restauration. Dans « Le médecin de campagne », publié en 1833, il met en scène de façon dramatique la misère des paysans de la Chartreuse au début du siècle. Pauvreté, ignorance, isolement, crétinisme. La Chartreuse semble reléguée dans un monde primitif, sans espoir de progrès. P 161

Lu en juin 2017

6 réflexions sur “« Les chemins de la Chartreuse » de Jean Sgard

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