« Jardins d’exil » de Yanis Al-Taïr

Aujourd’hui, afin d’oublier au plus vite, ma dernière lecture trop violente à mou goût, je vais vous parler d’un roman que j’ai pu découvrir grâce à une opération masse critique spéciale de Babelio :

Montreuil, janvier 2011, la vie d’Alejandro bascule. Jeune paléogénéticien, il vient d’apprendre que sa sœur est gravement malade.

De l’autre côté de la méditerranée, tandis que la place Tahrir bat au son de « dégage Moubarak », son ami archéologue Sacha sauve un mystérieux journal intime datant du VIème siècle.
Pour Alejandro, ces deux évènements concomitants a priori sans lien, marquent le début d’un long parcours initiatique et introspectif de six mois, aux confluences des siècles et de la méditerranée.
Roman érudit et foisonnant, ample et généreux, aux frontières du soi, du corps et de notre identité, Jardins d’exil explore avec justesse et sensibilité l’intrication de l’intime et des civilisations et nous livre ainsi une réflexion aigüe sur la finitude, notre finitude et celle des sociétés. Pour qu’émerge enfin au bout du chemin, un nouveau récit, un nouvel exil.

En ce jour de janvier 2011, la vie d’Alejandro va soudain basculer en apprenant que sa sœur Laura est atteinte d’une leucémie myéloïde fulgurante. Il avait pris ses distances depuis quelques années avec sa famille.

En effet Alejandro, né au Maroc à Al-Bariya, près de Rabat, où il a grandi avec sa sœur et ses parents : son père espagnol et sa mère française forme un couple a priori uni, même si la mère, ingénieure agronome est plutôt du genre psychorigide. Tout va pour le mieux, quand Alex choisit d’entamer des études de médecine, à Madrid, pour répondre aux desiderata de la famille.

Mais, le contact avec le milieu hospitalier, les visites de grands patrons, lui font comprendre qu’il n’est pas à sa place, et décide d’abandonner se dirigeant alors vers la paléontologie, notamment les études sur l’ADN au grand dam de sa mère ce qui provoque une rupture. Pendant ce temps, Laura choisit de faire des études pour plaire à ses parents plutôt que par choix personnel.

Alejandro s’éclate dans ce nouveau choix de carrière, rencontrant au passage Sacha archéologue, d’origine russe, qui a fui son pays et fait des recherches en Égypte. Mais, nous sommes au printemps 2011 et les « printemps arabes » soulèvent l’espoir, sur la place Tahrir, résonnent les « dégage Moubarak » entraînant au passage des dégradations notamment au musée.

Lorsqu’il trouve un parchemin qui s’avère être un journal intime, il préfère le garder pour éviter qu’il soit saccagé. Il s’agit du journal intime d’une jeune femme Aemilia et de sa rencontre avec Théodora, une jeune femme qui lui apprendre l’amour entre femmes, une autre manière de sexualité alors qu’elle est sous le joug d’un mari violent. Or, Théodora n’est pas n’importe qui : en épousant Justinien 1er, elle n’est autre que la future impératrice byzantine. Étrangement le dernier feuillet est maculé d’une tache qui pourrait bien être du sang.

Sacha a un passeport russe, ce qui ne facilite pas un retour prématuré en France, il va devoir ruser pour rapporter clandestinement ce journal intime, le premier du genre car écrit au Vie siècle.

Dans le même temps, le père d’Alejandro l’appelle pour lui apprendre la leucémie de Laura et il va suivre tout le processus : bilan hospitalier, chimiothérapie, séquençage HLA, en vue d’une greffe, protocole rigoureux avec un oncologue compétent mais disert.

Alejandro va devoir renouer avec la famille et revenir sur les anciennes blessures, les jugements à l’emporte-pièce de sa mère, et approfondir ses connaissances sur l’ADN qu’il soit situé dans les corps lors des fouilles ou dans le présent.

J’ai adoré me promener dans les pas d’Alejandro, à Montreuil où il habite, ou les souvenirs de l’enfance à Al-Bariya, de plonger avec lui dans les difficultés familiales, en revisitant les printemps arabes, car Yanis Al-Taïr nous livre un récit documenté, foisonnant, passionnant, en partageant aussi avec nous sa relation torride et tourmenté avec la belle Mathilde, et également sa relation apaisée avec Azadeh, une jeune pianiste qui a dût fuir l’Iran des Mollahs.

J’ai beaucoup aimé ce roman, car c’est le roman des exils, sujet qui me tient particulièrement à cœur, du mélange des cultures. De plus, Yanis Al-Taïr évoque le milieu médical qui me passionne toujours, avec une ouverture médecine traditionnelle, versus médecines douces, sans les opposer, et son approche de la paléogénétique m’a plu, ainsi que sa manière d’aborder les civilisations disparues ou non, éclairant de manière différente le monde actuel.

Bien sûr, il y a des imperfections, parfois, le récit se disperse un peu, certains détails sur la relation d’Alejandro et Mathilde sont parfois scabreux mais c’est un premier roman, alors un peu d’indulgence !

L’auteur cite souvent au passage, des poèmes de mon auteur fétiche Omar Khayyam dont le recueil de quatrains : (les Robâiyât) n’est jamais très loin de moi, car je m’y replonge régulièrement.

Un dernier clin d’œil :  le cours d’introduction à l’anthropologie est absolument génial (P 173 et suivantes) et m’a passionnée car ce métier m’intéresse aussi…

Un immense merci à Babelio, masse critique et surtout aux éditions du Lointain qui m’ont permis de découvrir ce premier roman de l’auteur, dont la couverture est magnifique, en espérant que d’autres suivront.

9/10

Yanis Al-Taïr est né au Maroc dans les années 80. Il a grandi à Rabat, à New-York et à Paris. D’une formation d’ingénieur, il partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et son activité. Jardins d’exil est son premier roman.

Les récents soulèvements des nations arabes étaient sur toutes les lèvres. Jusqu’où irait cet élan populaire ? La révolution, pareil à une maladie contagieuse, a le don parfois de modifier l’ADN des sociétés. Mais, comme la génétique nous l’apprend, une simple mutation n’entraîne souvent qu’un changement mineur.

Détruire le mal sans détruire le patient, c’est la plupart du temps s’en remettre indirectement à la nature. Sans le pouvoir naturel du corps, la médecine peine à exister. Mais inversement, sans médecine curative, la guérison naturelle devient un pur jeu de hasard.

D’après Sacha, le cas qui nous intéresse est différent. En effet, en ce début de VIe siècle, l’Empire romain, coupé en deux – Empire d’Occident et empire d’Orient – adopta le christianisme comme religion officielle. Cependant, des schismes éclataient un peu partout. Alexandrie en particulier, grande métropole de l’Empire d’Orient, au même titre que Jérusalem de nos jours, abritait en son sein d’innombrables communautés religieuses, chrétiennes, juives et païennes, ce qui la rendait ingouvernable et sujette à de multiples tensions.

Selon Sacha, l’Occident n’a rien compris. Cette révolution s’éteindra comme elle a débuté, dans l’ignorance totale. On remplacera la momie téléguidée par une autre, un peu mieux faite que la précédente, et tout le monde vivra comme avant dans la corruption la dévotion plus ou moins violente et la peur.

… La transmission orale m’a toujours fasciné. Si les livres retiennent les mots, la voix conserve tout le reste, le souffle, les silences, l’intonation. L’oralité crée ainsi un pont intergénérationnel.

Mais comment appeler cette cellule devenue folle ? La cellule cancéreuse nie la mort, la défie et oublie que le décès de l’organisme hôte provoquera la sienne. Oublier qui on est, c’est mourir deux fois.

Et malgré l’angoisse que cette pensée suscita en moi, je devais l’admettre, les trois grandes religions monothéistes prises à témoin, je n’avais entamé des études de médecine que pour répondre au désir inconscient de mes parents. Personne ne m’y avait forcé. Je me l’étais imposé à moi-même, par un travail acharné d’auto persuasion, comme un bon fils qui ne veut pas prendre le risque de décevoir.

Les difficultés de ma sœur pour déléguer me font prendre conscience à quel point son hyperactivité traduit chez elle une profonde angoisse : la peur de se retrouver face à elle-même. Cette peur entretenue toute sa vie s’efface pourtant devant celle, plus grande encore de disparaître demain.

Pour grandir, faut-il donc arrêter de suivre ses intuitions au profit de la moyenne des opinions des autres ?

A présent, emprisonné dans un corps d’adulte je cherche au-delà des frontières de mon esprit la clé d’un coffre tombé au fond de moi. L’adulte est celui qui a enterré ce que l’enfant chérissait le plus. Vieillir, c’est le retrouver.

13 réflexions sur “« Jardins d’exil » de Yanis Al-Taïr

    1. il m’a vraiment passionné, j’aime tous les thèmes qu’il aborde notamment les exils, les civilisations…

      Les quatrains de Khayyam !!! c’est superbe, je l’ai découvert grâce à Amin Maalouf (un autre de mes auteurs fétiches) qui raconte sa vie dans « Samarcande » :-)

      J’aime

    1. c’est un beau voyage qu’il nous propose, j’ai eu du mal à le lâcher…

      je vais aller voir ta chronique, car j’ai attendu d’avoir rédiger la mienne avant, j’avais envie de rester immergée dans l’histoire et j’avais peur d’être trop dithyrambique

      J’attends le prochain 🙂

      J’aime

    1. c’est passionnant à lire il arrive à mettre en relation les différents sujet d’étude (ex: la tache de sang sur la parchemin et la leucémie de sa sœur)

      j’aime bien les réflexions sur les civilisations disparues ou qui vont l’être…

      le cours d’anthropologie m’a donné envie mais l’institut est loin et mon grand âge me rend casanière 🙂

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.