« King Kasaï » de Christophe Boltanski

Aujourd’hui, je vous propose un retour dans une collection que j’aime beaucoup (je les ai presque tous lus) « Une nuit au musée » avec ce livre :

Résumé de l’éditeur :

« Il est tout blanc, d’un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière – l’ivoire – à travers ses multiples usages exhumés d’un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n’est plus qu’un bibelot parmi d’autres. »


King Kasaï est le nom d’un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l’Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C’est devant le « roi du Kasaï » et près d’un Léopold II à la gloire déboulonnée, dans cette ancienne vitrine du projet colonial belge aujourd’hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit.


En partant sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l’éléphant en 1956, l’auteur s’aventure au cœur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire.

Ce que j’en pense :

Bienvenue à l’Africa Museum qui fut autrefois Musée du Congo belge, puis Musée royal de l’Afrique Centrale, édifié à la gloire de l’empire colonial belge. Fermé en 2013 pour « réparations » il a été rouvert en 2018 et Christophe Boltanski a décidé d’y passer la nuit. Il arrive par un petit chemin, et découvre des tombes où sont enterrés des Africains jadis « exposés » dans le musée. Puis direction, le sous-sol où sont entassés statues, masques qui étaient exhibés autrefois à la gloire du colonialisme.

Puis ses pas le conduisent au pied de celui qui fut le symbole du musée, King Kasaï, un éléphant abattu puis empaillé en 1956.  

Je suis allongé en chien de fusil devant l’un des plus grands éléphants d’Afrique. Eu égard à son rang et en raison de ses origines, il a été baptisé King Kasaï

L’auteur nous raconte l’histoire du musée, la manière dont le Congo est devenu propriété personnelle de Léopold II, roi des Belges qui était vexé de ne pas avoir d’empire colonial. On apprend, au passage qu’un village « typique » avait été créé les Africains étant habillés comme dans leur pays (avec la différence de température, on imagine leur ressenti !) cela fait froid dans le dos.

On va ainsi connaître l’histoire coloniale, mais aussi le pillage du Congo belge, devenu Zaïre, puis RDC, les massacres d’animaux à visée « taxidermiste » ce qui nous permet de faire la connaissance de quelques-uns de ces massacreurs tel Léon Rom qui chassait les crânes humains, comme d’autres les papillons, qui a inspiré à Joseph Conrad le personnage de Kurtz dans son roman « Au cœur des ténèbres » ?

Léon Rom est un collectionneur. Il pratique la décapitation à titre de passe-temps. Il accumule des crânes humains comme d’autres des timbres-poste…

… Il attrape des papillons avec un filet et les épingle sur du liège, de la même façon qu’il empale les têtes sur des piquets. Il traite les populations dont il a la charge comme des insectes.

Christophe Boltanski évoque également, outre le pillage des sols, le calvaire des Africains chargés de récolter le caoutchouc, les châtiments encourus quand le rendement n’était pas celui escompté : mains coupées par exemple (c’est certain, on est plus efficace, les mains en moins !).

Ce petit livre (160 pages) est un véritable uppercut, dans l’exploration de la colonisation et des horreurs commises au nom de la suprématie blanche, sur fond de racisme profond et de haine, à l’heure où l’on déboulonne les statues, mais est-ce vraiment la solution ? Ce passé a bel et bien existé et ce n’est pas en effaçant qu’on peut se faire pardonner. Il faut expliquer encore et encore comme pour la Shoah.

Une petite note d’humour (on rit jaune c’est vrai) à la manière dont Hergé a conçu « Tintin au Congo » sans jamais mettre les pieds en Afrique, mais uniquement inspiré par le musée.

Ce livre m’a donné envie de lire « Au cœur des ténèbres » qui ne me tentait pas tellement jusqu’à présent, et aussi « La cache » de Christophe Boltanski qui attend toujours dans ma PAL.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce livre et son auteur.

#KingKasaï #NetGalleyFrance !

9/10

L’auteur :

Christophe Boltanski est écrivain. Il a publié aux éditions Stock La Cache (prix Femina 2015), Le Guetteur (2018) et Les Vies de Jacob (2021).

Extraits :

Je me dirige vers une énormité. Un empire comprimé dans une boîte, une encyclopédie en trois dimensions, une arche qui contient tout. Faune, flore, hommes et dieux. Toute la mémoire d’un monde, rassemblée dans un même écrin.

Pourquoi m’enfermer dans une salle obscure alors que la visite qui m’est proposée commence dans cette nécropole oubliée, envahie par les herbes folles et les roses trémières ?

Il y a des montreurs d’ours ou de singes savants. Le deuxième roi des Belges était un montreur d’hommes. Chez lui, tout prête à l’excès, tout confine à la caricature : sa barbe en forme de balai-brosse, sa taille de géant avec son mètre quatre-vingt-quinze, son crâne de dolichocéphale, son nez protubérant…

Dès que la porte d’entrée se referme derrière moi, dans un déclic discret, le silence et la nuit m’envahissent. C’est comme si quelqu’un avait scellé quelque chose d’irrémédiable, de définitif, pareil à un couvercle posé sur un cercueil. J’éprouve le vertige d’un nécromant ou d’un pilleur de tombes.

A les entendre, l’ancien musée du Congo Belge a non seulement été restauré, rénové de fond en comble, mais plus encore rajeuni, délivré de ses préjugés et de son lourd passé, en un mot – et je me borne une fois encore à citer leur propos – « décolonisé ». Une ambition qui mérite d’être examinée en ces temps de déboulonnage.

L’Afrique souffre d’une sorte de mal des profondeurs. Depuis le début de la colonisation, elle est renvoyée à ce qu’elle renferme. A ses tréfonds. On ne l’appréhende que verticalement. Quand on n’y étudie pas les premières strates de l’humanité, on exploite ses gisements.

En 1909, le président américain Theodore Roosevelt vient de terminer son second mandat à la Maison Blanche. Pour se changer les idées, il part au Congo à la tête d’une expédition à but scientifiques. Il en revient avec 11 400 animaux destinés au Natural Museum de Washington. Il clame avoir descendu avec sa winchester dix-sept lions, vingt rhinocéros, onze éléphants et quatre crocodiles. A cette échelle, il ne s’agit plus d’échantillons collectés à des fins savantes mais d’un massacre.

Les naturalistes, c’est bien connu, sont des accumulateurs compulsifs. Ils prétendent à une impossible exhaustivité qui les conduit à vouloir toujours plus.

Lu premier trimestre 2023

11 réflexions sur “« King Kasaï » de Christophe Boltanski

  1. Je suis une Belge vivant à Bordeaux. Ce que j’ai appris de ce « roi bâtisseur » à l’école n’était qu’en tant que roi extraordinaire et merveilleux. Le Congo faisait partie de notre culture. Un jour en regardant un documentaire sur ce roi et ce Congo Belge, j’ai fait la découverte de la mise à jour d’une horreur.
    J’ai débuté la lecture du livre et je connais ce musée où je me suis rendue à diverses reprises avec l’école. Il y avait de quoi apprendre, rien bien entendu au sujet de cette horreur de roi esclavagiste dans une colonie, comme ici à Bordeaux où les esclaves ont été légions.
    Hélas même les professeurs ou instituteurs de l’époque ignoraient tout de ces faits, jusqu’au moment où la boîte de Pandore a été ouverte. Ce roi a sur la conscience bien des morts. Tant d’endroits dans le monde ont été créé par des esclaves de toutes couleurs. J’excèderai ce qu’ils ont tous vécu. Il fut admiré pour ses œuvres en Belgique. La forêt de Soignes qui lui appartenait si ma mémoire ne me fait pas défaut. J’ai appris qu’il n’y avait jamais mis les pieds. Mon parrain, le frère de maman Français a été envoyé au Congo Belge en pleine brousse comme géologue. Il en est revenu lors des premiers événements là bas. Dans ma vie je ne l’ai vu que très peu. Cela ne m’intéressait pas ce qu’il faisait là bas, j’étais trop jeune.
    L’auteur commence son livre d’une manière qui m’a beaucoup plue. Quant à cet éléphant, je ne m’en souviens pas.
    Je me rappelle surtout des insectes comme ces mygales dont je n’ai plus peur. N’empêche qu’une dans la salle de bains, non merci. 😅
    Une belle écriture que j’ai appréciée jusqu’à présent.
    L’être humain est son plus grand prédateur.

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    1. je suis bien d’accord, je connaissais vraiment très mal l’histoire coloniale de la Belgique.
      à mon époque, l’enseignement de l’histoire s’arrêtait après la seconde guerre mondiale, on ne nous a jamais enseigner la guerre d’Algérie (on parlait des évènements d’Algérie à l’époque) donc j’ai appris par les livres et les rares témoignages des hommes qui l’ont faite et sont revenus déboussolés … On ne parlait pas de SSPT …

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  2. Je le lirai sans doute un jour, pour l’instant j’ai envie de lectures plus légères et celui-ci me parait bien lourd bien qu’intéressant forcément vu le sujet et poignant. De toute façon le seul livre présent dans ma médiathèque de cet auteur c’est « la cache » dont on avait beaucoup parlé à sa sortie mais que je n’ai pas encore lu…je commencerai donc pas lui en attendant. Merci pour ta belle chronique

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