« Là où je nous entraîne » d’Isabelle Desesquelles

Je vous parle aujourd’hui d’un livre de cette rentrée littéraire que j’ai choisi pour retrouver la plume d’une auteure dont j’avais beaucoup apprécié un précédent roman :

Résumé de l’éditeur :

Une enfant lit un roman dans lequel la mère de l’héroïne est malade, à la fin elle guérit, l’histoire se termine Une enfant lit un roman dans lequel la mère de l’héroïne est malade, à la fin elle guérit, l’histoire se termine bien. Le lendemain, on annonce à l’enfant que sa propre mère est à l’hôpital, la petite vit enfin une aventure, elle est entrée dans le livre. Seulement la réalité trahit la fiction, sa mère meurt. Devenue romancière, Isabelle Desesquelles n’aura de cesse de franchir la frontière du vrai et du faux.

Avec ce livre, elle imagine une famille en Corse, deux sœurs et leurs parents un jour d’été. Au réveil ils sont quatre, le soir ils sont deux. Un secret venu du passé a bouleversé leur existence. Cette famille inventée entraîne l’auteure là où elle ne pensait pas aller : écrire les siens. Comment leur bulle a éclaté un autre jour d’été.

Là où je nous entraîne aimante et marque l’aboutissement d’une œuvre romanesque remarquable.

Ce que j’en pense :

Alors qu’elle lit un roman où la mère de l’héroïne, malade finit par guérir, voilà que dans la réalité, la petite fille apprend l’hospitalisation de sa propre mère et la réalité fait irruption dans la fiction. Devenue adulte, l’enfant qui est en fait l’auteure elle-même, revient sur cette maladie, ce qu’on leur a caché à elle et à sa sœur, car cet épisode a marqué son existence et elle ne parvient pas à se pencher sur son histoire.

Il s’en suit un retour à la fiction, l’auteure nous proposant de découvrir l’histoire d’une famille : Louis, sa femme Zabé et ses deux filles Rachel et Pauline qui vont vivre eux-aussi un drame. C’est un couple assez original, Louis féru de chasse et de course à pied, Zabé plongée dans ses traductions des œuvres d’auteurs russes, notamment Tolstoï qu’elle vénère, allant jusqu’à transformer son lit en bureau.

Un jour Louis découvre un secret de Zabé et rien ne va plus. Il crie tout le temps, insulte son épouse, devant les filles. Elle ne l’appelle désormais plus papa mais Luiii. Zabé disparaît un jour et cette absence va donner lieu à des cogitations chez les filles.

Isabelle Desesquelles choisit de nous présenter un double récit, l’histoire de cette famille, et en parallèle ses souvenirs d’enfance ou ce qu’il en reste, ce qui n’a pas été censuré, deux récits en miroir, qui finissent par s’entremêler très vite, pour ne faire plus qu’un. Une phrase dans le livre résume bien le désir de l’auteure :

Ce qui est arrivé, je veux l’écrire. Même mon roman me le réclame, je le savais avant de commencer. La fiction ne suffit plus. 

Elle évoque, l’absence, la disparition, la mort, le suicide, et les répercussions sur la famille, la culpabilité de l’enfant, qui se demande ce qu’elle aurait pu faire pour éviter la mort de la mère. Elle aborde avec talent et sensibilité, les dégâts sur les enfants quand il manque un des parents et qui l’autre devient un autre qu’on croyait connaître mais qu’on ne connaît pas vraiment, la recherche de l’amour à tout prix, les troubles du comportement alimentaires, ou autres addictions pour combler ce vide de l’absence.

L’auteure joue sur ce double récit en proposant une présentation spéciale : double police d’écriture, petits caractères pour l’une gros caractères pour l’autre. Choix douloureux pour la lectrice que je suis, car mes problèmes visuels n’ont pas goûté l’aventure, en version électronique il m’a fallu sans arrêt faire des réglages ce qui a perturbé la lecture. C’est plus être plus facile en version papier.

C’est un roman plein de sensibilité, pour évoquer des thèmes difficiles, avec des termes précis bien choisis, une belle écriture, que j’ai pris le temps de déguster car l’auteure déclenche une réflexion intense chez le lecteur. C’est le deuxième livre de l’auteure que je lis, après avoir découvert en 2019 « UnPur » qui m’avait fait déjà une grosse impression.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions J.C.Lattés qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver le style si particulier de son auteure.

#Làoùjenousentraîne #NetGalleyFrance

8,5/10

Isabelle Desesquelles est notamment l’auteure de Je me souviens de tout, Les hommes meurent, les femmes vieillissent et Je voudrais que la nuit me prenne, prix Femina des Lycéens en 2018. Ancienne libraire à Paris et à Toulouse, elle a fondé une résidence d’écrivains, la maison De Pure Fiction.

Extraits :

L’impensable on l’écrit de toute façon et avec un peu d’imagination et on en fait ce que l’on peut.

Réalité et fiction sont des partenaires, pas des adversaires, je suis un pont suspendu entre elles. L’enfantôme est bien plus qu’une échappatoire romanesque et Zabé, ses filles, sont des strates ; à un moment ou un autre j’ai été elles, il n’y a pas de personnages, il y a des êtres nourris au lait du souvenir.

Ma sœur avait ce pouvoir d’incarner une morte, l’écrivant, je réalise à quel point cela aura pu être terrible pour elle, un fardeau. L’émerveillement cousu à la douleur quand on entrait dans une pièce, et chaque fois que l’on se regarde, on ne peut pas se voir, on est l’absente…

J’imagine une famille, Louis, sa femme Rachel et Paulina, et les vrais, nous quatre de la bulle, s’écrivent en moi, me débordent, je l’accepte. Le roman, cette fois ne pourra tout contenir qui est nous. Dans la fiction, je poursuis ce qui aurait pu arriver, imagine un drame qui n’a pas eu lieu…

Plus de bulle. Je cours sur un fil, à un bout ce qui est vrai, à l’autre ce que j’en fais : un roman.

Je comprends notre mère… je ne l’ai jugée ni faible, ni courageuses, je ne la juge pas. Je suis avec elle. C’est à moi que j’en veux, j’ai beau me raisonner, analyser, m’analyser, je m’en veux de ne pas avoie été assez. Assez importante, assez intéressante, assez précieuse, notre vie, les filles, contre la sienne.

Se tuer est l’état extrême de la vie. La dernière extrémité pour en finir de mourir chaque seconde de son existence qui n’est pas une vie. On ne sait que faire d’autre qu’en finir avec soi et on n’y pensera plus. Juste trouver un repos, quelques minutes, et tant pis tant mieux si elles font une éternité. On ne doit rien à la mort, surtout pas de vivre.

Toutes les familles ont leur cicatrice, parfois la plaie suppure, la blessure ne s’est pas refermée, elle nous rassure, nous façonne autant qu’on la façonne et j’atteins notre mère. Je veux être hantée.

On est là où un livre naît en vous, on ne peut l’en empêcher. Je vais l’écrire cette histoire. Ce qui est arrivé ma sœur l’a muré en elle, j’en serais emmurée de l’étouffer, ce serait comme réenfouir des fouilles que l’on n’a eu de cesse de découvrir.

Les livres sont une boule noire, elle fait tomber toutes les quilles ou on ne tiendrait pas sur les nôtres. L’écrivain est cette mèche allumée sur un baril de poudre, la famille.

C’est une époque pas si lointaine où un enfant ne posait pas de question. Il n’intervenait pas dans les conversations des grands, ouvrait la bouche uniquement pour y enfourner de la nourriture…

On est obligé d’aimer ses parents même si à un moment on leur fait payer de ne pas être ceux que l’on espérait… contourner une absence ne suffit pas à l’éviter, on l’invite et quel tapage elle fait.

Lu en juillet-août 2022

18 réflexions sur “« Là où je nous entraîne » d’Isabelle Desesquelles

  1. J’avais beaucoup aimé « je voudrais que la vie me prenne » et c’est certain que je lirai celui-ci si je le croise à la médiathèque…Merci pour cette présentation en avant-première, je n’ai encore rien lu au sujet de ce roman

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    1. c’est très puissant comme histoire et comme exercice de style, elle a beaucoup de talent… ma seule réserve c’est la difficulté de lecture en version e-book mais c’est une question de confort j’aurais préféré qu’elle alterne avec l’italique 🙂
      décidément, cette rentrée littéraire me plaît 🙂 🙂

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    1. ce n’est pas une lecture facile mais elle mérite vraiment le détour… Belle plume et beau sujet 🙂
      encore une fois je n’ai pas su résister à la tentation!!!
      j’ai déjà lu plusieurs romans qui m’ont plu mais retard dans mes chroniques …
      Demain je vais parler d’un autre auteur qui m’a bien plu « Dis moi pour qui j’existe » de Abdourahman Waberi 🙂

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    1. c’est un récit original,et la sensibilité particulière de l’auteure réussit à capter l’attention elle « s’humanise » de plus en plus 🙂
      c’est la lecture qui m’a coûté, plus que les thèmes abordés… J’ai passé beaucoup de mon temps à adapter les tailles de police 🙂

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    1. ce n’est pas perturbant en fait, grâce au procédé littéraire qu’elle utilise, on passe d’une histoire à l’autre donc on ne souffre pas vraiment en progressant dans la lecture 🙂
      j’avais un peu hésité mais « UnPur » m’avait plu donc je me suis lancée 🙂

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