« L’enfant qui regarde » de Dany Laferrière

Depuis longtemps, je désirais découvrir l’univers de Dany Laferrière et c’est chose faite, avec le livre dont je vous parle aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :

M. Gérard séduit les femmes. Pourtant, il ne sort déjà presque plus de chez lui quand le narrateur, son voisin, un enfant d’un quartier pauvre de Port-au-Prince, se découvre une fascination pour cette figure mystérieuse, au savoir-vivre exquis et au rare bon goût. Cet ancien professeur congédié d’une école pour jeunes filles l’initie à Baudelaire, Keats et Wagner.
 
Les ragots fusent. Pour le Pr. Désir, il aurait aimé une belle jeune femme, ou il aurait été épris de la mère d’une élève, à moins qu’il ne soit impuissant. Selon le Dr Hyppolite, un homme l’aurait giflé dans un bar, sans que lui, digne, ne réplique. Tout est énigmatique chez cet homme qui semble vivre dans le malheur. Qu’en est-il réellement de son mystère et de son charme ?
 
Nous l’apprendrons en suivant le regard du narrateur, cet enfant sensible et intelligent, dans cette nouvelle écrite de main de maître.  

Ce que j’en pense :

Manuel est en manque d’image paternelle : son père est parti quand il était petit et il ne sait pas vraiment pourquoi, sa mère préférant se cacher derrière le silence. A-t-il fui la dictature, est-il parti pour une autre femme ? le pourquoi finalement va occuper peu d’espace dans le récit, le manque étant le plus important pour l’enfant.

Sa mère a rencontré Monsieur Gérard alors qu’elle se rendait à la messe de quatre heures du matin, et devant la détresse de cet homme, son empathie l’a poussé à lui apporter un bol de soupe. On apprend que cet homme était enseignant et qu’il a tout perdu : dans un lycée privé, ses élèves le trouvaient tellement beau qu’elles tombaient amoureuses de lui. Et bien sûr, c’est lui qui a été accusé de harcèlement et il a été renvoyé.

Il finit par être logé dans un studio et la mère de Manuel lui demande de donner des cours à son fil pour améliorer ses difficultés scolaires. Ce qui va très bien fonctionner. Manuel va découvrir l’univers de Mr Gérard, sa passion pour Baudelaire, et Wagner qu’il écoute religieusement lorsqu’il est seul. L’enfant va projeter sur lui l’image du père qui lui manque, (l’idéal du père serait plus exact). Désirant en savoir plus sur Mr Gérard, il va poser des questions au Docteur Hyppolite.

Mais, là encore, les versions diffèrent, rumeur oblige. Mr Gérard aurait été amoureux d’une belle femme dont le mari jaloux serait venu le gifler, par exemple. Pour d’autres, il serait en fait impuissant. Quoi qu’il en soit, cet homme étrange, mystérieux va fasciner l’enfant rêveur qui peu à peu se lance dans une quête presque obsessionnelle pour découvrir le passé, la personnalité de cet homme.

L’auteur nous propose deux beaux portraits et rend ces deux personnages très attachants, de même que la mère de Manuel et son attitude parfois étrange. Comment ne pas être troublé par cette phrase :

Un enfant qui regarde mûrit plus vite que celui qui n’arrête pas de courir. L’enfant qui regarde est toujours le plus mélancolique. Je pense tout le temps. Je n’arrête jamais, et cela énerve ma mère.

Quel talent ! un conteur dans l’âme, Dany Laferrière ! il emmène le lecteur très loin, avec une écriture chantante, pleine de poésie ! cette nouvelle de soixante-quatre pages m’a fait faire un beau voyage, en Haïti et au pays de l’amour, car la fin est superbe. Un seul défaut ce livre, évidemment, il est trop court j’aurais aimé que cela dure encore et encore…

C’est ma première incursion dans l’univers de Dany Laferrière, auteur que j’ai repéré depuis longtemps, dont j’ai apprécié chacune des prestations à La Grande Librairie, mais voilà toujours remis à plus tard… Kolossal erreur !!! mais vue la bibliographie de l’auteur, j’ai encore de belles découvertes en perspective, le plus dur va être de choisir

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#Lenfantquiregarde #NetGalleyFrance !

Dany Laferrière est né à Port-au-Prince en 1953. Lauréat du prix Médicis en 2009 pour L’Enigme du retour (Grasset), il a été élu à l’Académie française en 2013. Il est l’auteur chez Grasset de Je suis un écrivain japonais (2008), de L’Art presque perdu de ne rien faire(2014) et de trois romans dessinés, Autoportrait de Paris avec chat (2018), L’exil vaut le voyage (2020) et Sur la route avec Bashô (2021).

Extraits :

Monsieur Gérard passait son temps à repousser les avances de plus en plus insistantes, pour ne pas dire agressives, de jeunes filles surexcitées par ce trop-plein qui vient avec la puberté. Malgré tout, la directrice a choisi de lui donner tort…

Nous avons pris l’habitude, c’est un homme de rituels, de terminer rapidement mes devoirs de classe pour passer le reste du temps à lire de la poésie ou a écouter de la musique classique. Il était vraiment décidé à me transmettre sa culture.

C’est un homme déroutant qui cherche à enchanter les moindres actes de la vie quotidienne. Il vous ouvre la porte, puis se conduit comme si c’était lui l’invité et non vous.

Il faut voir, quand il écoute Wagner, ses mains osseuses et son corps tendu, comme s’il s’apprêtait à bondir sur une proie, pour comprendre que rien n’est concret, ni anecdotique, chez cet homme. J’irai jusqu’à dire que c’est le seul être abstrait de ma connaissance. S’il ne savoure (ce n’est pas le bon verbe) que Wagner, il me fait écouter pêle-mêle Mozart (il est franc-maçon comme lui), Liszt, Debussy, Satie…

Et Gérard est trop brillant pour ce pays. Je vais te dire, mon jeune ami, ce n’est pas la dictature, le plus terrible. Le plus terrible, c’est la société haïtienne… Le panier de crabes.

Ma mère sait quelque chose qu’elle ne veut pas dire, et je sens bourgeonner un secret au plus profond de moi. Si on ne peut croire en personne dans cette vie, alors tout est vrai.

Pour Monsieur Gérard tout doit passer par le cerveau. Est-ce mon cas ? M’a-t-il inoculé le poison de l’intellectuel qui fait qu’on écoute la musique au lieu de la danser ou qu’on regarde au lieu de prendre part à la fête.

Lu en juillet 2022

12 réflexions sur “« L’enfant qui regarde » de Dany Laferrière

  1. J’avais lu de lui « le goût des jeunes filles » et j’ai lu lors de sa sortie « l’énigme du retour » qui a eu de nombreux prix. J’avais aimé mais il me faudrait les relire à présent car depuis je l’avoue, je n’ai rien lu de plus récent… Merci de nous parler de celui-ci.

    Aimé par 1 personne

    1. quel talent 🙂 je l’apprécie depuis très longtemps pour ses passages à la TV il sait tellement bien raconter, on se croirait dans les mille et une nuits…
      je note illico les deux livres dont tu parles car sa bibliographie est immense et je ne sais pas par lequel commencer

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