« Over the Rainbow » de Constance Joly

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai attendu longtemps à la médiathèque et qui a fini par arriver entre mes mains impatientes, mais « tout vient à point à qui sait attendre » n’est-ce pas ?

Quatrième de couverture :

Celle qui raconte cette histoire, c’est sa fille, Constance. Le père, c’est Jacques, jeune professeur d’italien passionné, qui aime l’opéra, la littérature et les antiquaires. Ce qu’il trouve en fuyant Nice en 1968 pour se mêler à l’effervescence parisienne, c’est la force d’être enfin lui-même, de se laisser aller à son désir pour les hommes. Il est parmi les premiers à mourir du sida au début des années 1990, elle est l’une des premières enfants à vivre en partie avec un couple d’hommes.


Over the Rainbow est le roman d’un amour lointain mais toujours fiévreux, l’amour d’une fille grandie qui saisit de quel bois elle est faite : du bois de la liberté, celui d’être soi contre vents et marées.

Ce que j’en pense :

Constance nous raconte l’histoire de son père Jacques, qui a longtemps refoulé son homosexualité, par opposition à son frère, Bertrand, qui n’hésite pas à l’afficher et qu’il déteste pour l’image qu’il lui renvoie. Il a épousé Lucie, avec laquelle il a tenté de construire une vie de couple, de faire un enfant, pour tenter d’être comme tout le monde. Ce sont deux intellectuels de ce que l’on appelle alors l’Intelligentsia de gauche.

Constance a bien compris le combat de son père enfermé dans le long refoulement de son homosexualité, puisqu’il est allé jusqu’au mariage, pour tenter de tout verrouiller. Mais, même la naissance de sa fille qui pourtant le réjouit au plus haut point de suffira pas. Il n’est pas heureux.

Quand arrive Mai 68, les verrous sautent, il rencontre l’homme de sa vie, abandonne son foyer pour construire sa vie avec lui. Mais, Lucie, toujours très amoureuse de lui, n’accepte pas son départ et sombre dans une profonde dépression.

C’est leur fille Constance qui raconte ce qu’elle sait de l’enfance de Jacques, dans cette famille où la mère se comporte de manière rigide, s’abritant derrière ses principes, alors que le père est quasiment insignifiant. On imagine la réaction de la mère lorsqu’elle trouve Bertrand au lit avec un homme, Noir de surcroît…

Tu as haï ton frère très tôt…Bertrand et toi vous haïssez parce que vous êtes les mêmes. Deux garçons qui se savent homosexuels et qui le taisent. Ce que vous partagez ne peut se dire.

Elle exprime bien, la difficulté de comprendre, lorsqu’on est enfant, que les parents se séparent, ce qui en soit arrive à d’autres enfants, mais quand il s’agit d’aller le week-end, dans le couple de deux hommes, couple très amoureux et qui affiche son bonheur, c’est plus compliqué, surtout quand sa mère est au fond du lit, pleure sans arrêt et que Constance est impuissante.

Le fragile équilibre vole en éclat avec l’arrivée du SIDA : après les années d’insouciance, les expériences sexuelles non protégées, car Jacques n’est pas très fidèle, le virus commence à faire des ravages. On est dans les années quatre-vingts, des maladies surviennent, certaines bénignes vont faire des dégâts importants ; on commence à entendre parler de Kaposi, toxoplasmose, déficience immunitaire, puis trithérapie… L’insouciance s’est envolée, le virus prend le pas, malédiction et punition diront certains esprits…

Constance parle avec tendresse de ce père dont elle assiste à la longue descente aux enfers, il devient l’ombre de lui-même, certains amis prennent leur distance, la maladie fait peur, même sur fond de « Somewhere over the rainbow », chanté par Judy Garland, dans le « Magicien d’Oz » musique chère à Jacques. Arc-en ciel de l’espoir et symbole de la communauté homosexuelle à travers le monde.

J’ai beaucoup aimé ce livre, témoignage du combat d’un homme et du courage de sa fille qui ne quittera pas le navire, pas plus que Lucie d’ailleurs, ce qui est loin d’être toujours le cas. Constance parle de l’amour, de la maladie, la souffrance et la mort sans tomber dans le pathos, et avec une très belle écriture. Elle raconte la peur d’aller se faire dépister, autant que la peur du VIH lui-même et de la mort, avec des chapitres très courts, denses, incisifs, parfois lapidaires, mais l’émotion n’est quand même jamais très loin.

J’ai lu pas mal d’ouvrages sur le SIDA, côtoyé des personnes atteintes, vu les tâtonnements du début, la recherche qui évolue et les réactions de l’entourage. Par contre, au niveau des livres, c’est plus limité :  j’ai lu et pas beaucoup apprécié « Les nuits fauves » et d’autres dont je ne me souviens plus très bien… J’ai vu et revu « Philadelphia », un de mes films préférés et plus récemment « Cent-vingt battements par minutes » …

Si vous ne l’avez pas vue, je vous conseille la très belle et touchante série anglaise : « It’s a sin » qui évoque à travers une bande d’amis, homosexuels qui s’éclatent dans l’insouciance jusqu’à l’arrivée du SIDA et la réaction de certaines familles…

9/10

L’auteure :

Constance Joly travaille dans l’édition depuis une vingtaine d’années et vit en région parisienne.

Le matin est un tigre, son premier roman, a été très bien accueilli par la critique et les libraires.

Extraits :

Il paraît qu’avant même de me prendre dans tes bras, tu avais compté mes doigts. Tu avais été rassuré – c’est bien, il y en avait dix – tu avais réussi, tu étais père d’une enfant normale, toi qui devais te vivre en mari usurpé, en père imposteur. Toi qui devinais sans doute que l’élan qui t’avait jeté vers le corps de ta femme, celle que tes amis t’enviaient, n’avait rien de spontané.

Vous êtes un échantillon de ce que l’intelligentsia de gauche de l’époque peut produire en cet été 1968.Vous êtes les glorieux, si pleins de confiance en l’avenir.

C’est toi qui proposes le prénom « Constance ». Tu as envie de cette vertu dans ta vie, creuser ton sillon dans ce mariage, dans cette fiction. Durer, persévérer, j’en porte le nom et la charge. Tu ne persévéreras pas dans ton rôle de mari, mais dans celui de père, si. Tu as été un père discret, emprunté, timide et merveilleux.

Nous sommes les produits d’une vie trouée de mystères, tissée de songes et de dénis. Je suis passée, moi aussi, entre les mailles de tes mensonges.

Le bonheur se voit. On te dit que tu as changé, que tu as l’air épanoui. Tu es bien plus que cela, tu es toi, tu peux faire confiance à tes sensations, tu es dans le cercle de ton existence. Ta frustration à ne pouvoir le dire. A étouffer ce bonheur…

En ce mois de septembre 1976, le chagrin de Lucie est pareillement suffocant…Elle se sent à peine exister, elle compte encore moins que l’air, moins que l’eau, elle est à peine une vapeur. Existe-t-on quand on n’est plus réchauffé par le soleil, quand on n’entend plus la rumeur du monde ? Quand on craint la lumière du jour, son reflet dans la glace, le vol des oiseaux, existe-t-on ?

L’acte de naissance officiel de la « plus grande catastrophe sanitaire que le monde ait connu », selon l’expression de l’Organisation Mondiale de la Santé, vient de paraître, mais personne ne le sait pour le moment.

Mais, je ne veux pas tourner la page. Il y a des zones comme ça où le jardin reste en friche. J’écris pour ne pas tourner la page. J’écris pour inverser le cours du temps. J’écris pour ne pas te perdre pour toujours. J’écris pour rester ton enfant.

La vie emporte tout, l’amour et les visages de ceux que nous avons aimés, et pourtant nous agissons relâche. Nous nous construisons des digues dérisoires, bientôt emportées. Encore quelques minutes de soleil. Juste quelques minutes…

Qui se souviendra de ta façon de chanter Somewhere over the rainbow quand tu prépares ta sauce verte. De tes balcons couronnés de chèvrefeuille, de passe-roses et de fruits de la passion. De ta façon de circuler chez toi en slip, tes jambes de statue grecque, ton parquet constellé de fleurs de pétunia fanées…  

Lu en février 2022

20 réflexions sur “« Over the Rainbow » de Constance Joly

    1. il est vraiment bien elle a su trouver le ton juste … Je m suis sentie en phase avec elle tout au long du récit cela rappelle tellement de choses et on n’a toujours pas trouvé de vaccin!
      Philadelphia me me fait toujours pleurer et pourtant je le connais par coeur…

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    1. j’espère qu’il te plaira autant que moi, j’ai frôlé le coup de cœur… et en plus elle a une belle écriture, et le choix des chapitres courts est judicieux comme des nouvelles qui tombent au fur et à mesure.
      Coup de cœur pour « It’s a Sin » pour moi aussi! l’émotion montait au fil des épisodes une belle réussite et c’est comme pour le roman, il n’y a pas de pathos 🙂

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    1. j’avais tellement envie de le lire que j’ai foncé pour le réserver à la BM j’ai laissé de côté ma PAL (elle n’est plus à un près!)
      j’ai d’ailleurs très envie de l’acheter quand il sortira en poche car je sais que j’aurais envie de le relire 🙂

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