« Retour à Martha’s Vineyard de Richard Russo

Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui me tentait depuis longtemps, après avoir lu des chroniques pour le moins enthousiastes sur les blogs :

Résumé de l’éditeur :

Septembre 2015. Lincoln s’apprête à vendre sa maison de Martha’s Vineyard, et invite sur l’île, pour un dernier week-end, ses amis de fac, Teddy et Mickey. Ces trois hommes ne pourraient être plus différents, entre Lincoln, le « beau gosse » devenu agent immobilier et père de famille, Teddy, l’éditeur universitaire célibataire et angoissé, et Mickey, forte tête et rockeur invétéré, et pourtant, ils partagent une vie de souvenirs.

Parmi ces souvenirs, celui de Jacy, mystérieusement disparue il y a plus de trente ans, et dont ils étaient tous amoureux. Qu’est-il advenu d’elle ? Lequel avait sa préférence ? Les trois hommes vont rouvrir ensemble ce dossier « classé », et alors que par bribes la vérité émerge, ils vont devoir reconsidérer tout ce qu’ils croyaient savoir les uns des autres…

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Ce que j’en pense :

Lincoln Moser est sur le point de mettre en vente la maison familiale de Martha’s Vineyard qui lui vient de sa mère. Pour ce faire, il donne rendez-vous à ses amis Teddy et Mickey qu’il connaît depuis leurs années étudiantes. Alors qu’il vient à peine de débarquer du ferry, un fantôme vient s’ajouter au trio : leur amie commune Jacy a disparu il y a près de quarante ans et personne ne l’a jamais revue. Est-elle morte, s’est-elle enfuie ? le passé va refaire inévitablement surface.

Par un jeu d’allers-retours, l’auteur nous en apprend plus sur les trois compères : Lincoln, fils de Wolfgang Amadeus Moser (soyons fous !), alias Dub Yay, homme imbu de lui-même, narcissique, manipulateur, chrétien fondamentaliste avec tout ce que cela comporte pour asseoir sa tyrannie, qui règne en patriarche sur sa famille (réduite à sa femme et son fils !) et sur les ouvriers qui travaillent dans sa mine en Arizona. Lincoln a plus tard épousé Anita et vit confortablement, même si la crise de 2008 a fait quelques ravages.

Teddy, atteint de troubles bipolaires qui le font passer de l’euphorie à l’abattement le plus profond, auquel ses parents professeurs ne se sont jamais vraiment intéressés (ils connaissent mieux leurs élèves que leur propre fils !) qui a trouvé refuge dans la religion, la quiétude des monastères permettant de juguler ses crises d’angoisse. Gamin il a été victime de violence de harcèlement, car perçu comme « différent » avec une chute provoquée au basket qui lui a valu un handicap (il a failli se retrouver paraplégique quand même). Il a été sous l’influence d’un professeur de lettres à l’université dont le maître mot était : n’écrire un roman que lorsqu’on est sûr qu’il est parfait et qu’on ne pourra jamais faire mieux !

Mickey, fils d’un héros de la seconde guerre mondiale, dernier de la fratrie, et unique garçon après sept filles, passionné par le rock and roll, qui a encore un groupe et fait des concerts, habile à se servir de ses poings quand quelque chose l’énerve. Le voisin de Lincoln en a fait les frais quand il a tenté de se livrer à des attouchements sur Jacy…

Nous sommes à l’heure de la guerre du Vietnam quand ils terminent leurs études, et la date de naissance de Mickey est tirée au sort, neuvième, donc sûr de partir. Il est décidé à la faire en mémoire de son père, mais les autres notamment Jacy qui tente de le persuader de s’exiler au Canada.

En ce qui concerne Jacy, on sait peu de choses, au début, à part que, contrairement à notre trio, boursier, elle vient d’une famille huppée, et le but du roman est de nous apprendre davantage sur sa disparition et sur l’enquête de police bâclée de l’époque. Il est inutile de préciser, vous l’avez déjà compris, ils étaient tous les trois amoureux d’elle.

J’ai eu un peu de mal à entrer dans cette histoire, car le premier tiers du roman ronronne, et j’ai eu du mal à m’attacher, mais, peu à peu je me suis laissée prendre au jeu. Les surprises vont s’accumuler, Richard Russo prend un malin plaisir à nous orienter vers des fausses pistes, de lourds secrets de famille remontent, et nous remet dans l’atmosphère de l’époque : Guerre du Vietnam qui oppose les générations, références à Nixon, président plus ou moins pourri, (élu, il ne faudrait pas l’oublier, car Bobby Kennedy et Martin Luther King candidats en 1968 face à lui ont été assassinés) les hippies qui émergent, les relations dans le couple, la situation des femmes notamment.

L’auteur nous offre une réflexion sur l’amitié : peut-on vraiment dire qu’on est amis quand on se voit tous les dix ou vingt ans? La vie finit-elle pour prendre le pas sur ce que l’on éprouvait, étudiant?

C’est le premier roman de Richard Russo et grâce à lui j’ai passé un bon moment, mais je suis restée sur ma faim, peut-être ai-je trop attendu, et donc espéré davantage, ou était-ce compliqué d’arriver après avoir quitté l’univers si particulier de Jon Kalman Stefansson ?

Un grand merci à NetGalley et aux éditions 10/18 qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur dont j’ai beaucoup entendu parler, du moins lu beaucoup de critiques enthousiastes…

#RetouràMarthasVineyard #NetGalleyFrance !

7,5/10

L’auteur :

Richard Russo est née en 1949 aux USA. Après avoir longtemps enseigné la littérature à l’université, il se consacre à l’écriture.

On lui doit, entre autres : « Un homme presque parfait », « Le déclin de l’empire Whiting », « Quatre saisons à Mohawk »

Extraits :

Certaines se manifestent sous forme d’authentiques accès de panique, des ouragans qui s’abattent sur lui pendant un jour ou deux avant de repartir vers le large, tandis que d’autres se traduisent par un état de fugue dissociative et peuvent, à l’instar d’une zone de basse pression durer une semaine ou deux.

Et puis il y a les crises précédées d’une sorte d’euphorie, la conviction profonde qu’une chose merveilleuse va se produire, une promesse de sensibilité accrue, voire de sagesse. Ce sont celles qu’il redoute le plus, car ensuite, quand la réalité retrouve ses droits et que la clairvoyance promise ne parvient pas à se concrétiser, il a vraiment l’impression d’être détraqué.

Avait-il senti que sa femme, si elle retournait à l’endroit où elle avait été heureuse enfant, risquait d’y rester ? Elle pourrait se souvenir de la personne qu’elle avait été avant de le rencontrer, avant qu’il ne la façonne à sa manière… (Dub-Yay le père de Lincoln)

A l’époque de la fac, je croyais qu’on pouvait changer la façon de penser des gens. Il suffisait de raisonner avec eux et si on savait plus de choses, si on était plus habile, plus tenace, on finissait par les convaincre.

Car, à une époque, Jacy avait donné l’impression de les étudier, intriguée par leur existence si éloignée de Greenwich. Les écoles publiques. Les Ford Galaxy garées dans l’allée des maisons mitoyennes. Les hypothèques. Les quartiers remplis d’immigrants de la première et de la deuxième génération.

Ce qui Mickey aime aujourd’hui – le rock and roll joué à fond – c’est ce qu’il aimait gamin. Ayant trouvé ce qui emplit son âme à la faire exploser, il s’y est cramponné, et au fil des décennies, sa passion et lui sont restés les plus fidèles des amants.

La croyance et le savoir sont deux choses différentes.

Lincoln avait des doutes. L’idée principale semblait être que le comportement masculin couvrait un large spectre, à l’image de l’autisme. D’accord, certains hommes étaient mieux élevés que d’autres, mais en définitive, ils étaient tous complices car ils serraient les rangs, pour reprendre son expression, dès que cela devenait nécessaire.

Ils croyaient que le fait d’avoir raison à propose d’une guerre au sujet de laquelle leurs parents s’obstinaient à avoir tort faisait d’eux des êtres à part, voire exceptionnels. Ils changeraient le monde.

Peut-être était-ce le but non formulé de l’éducation : inciter les gens jeunes à voir le monde à travers les yeux fatigués de la vieillesse ; la déception, l’épuisement et l’échec prenant l’apparence de la sagesse.

Lu en janvier 2021

24 réflexions sur “« Retour à Martha’s Vineyard de Richard Russo

    1. c’est une lecture très agréable, mais qui flirte parfois trop avec la romance et j’avais compris l’histoire de Jacy alors …
      Pour retrouver l’atmosphère de l’époque c’est sympa! le lieu est chargé de la présence des Kennedy 🙂

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    1. c’est exactement ce que je lui reproche, on flirte avec la romance parfois… C’est dommage car j’aime cette époque sur le plan historique…Il aurait dû approfondir davantage les personnages ! j’ai bien aimé Teddy 🙂 et Wolfang Amadeus aussi 🙂

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  1. Même si tu es restée sur ta faim tu me donnes envie de découvrir cet auteur et son univers. Je n’ai encore rien lu de lui…Merci de nous le présenter et pour les extraits, que j’aime aussi découvrir car ainsi je vois tout de suite si le style me plait (et l’ambiance), je sais le temps que ça prend de les sélectionner avec attention comme tu le fais…

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    1. j’attendais plus, ou alors je suis trop exigeante… Mais c’est une lecture agréable pour l’ambiance, les clins d’oeil à l’histoire mais trop resté en surface (je connais bien cette période Nixon Vietnam car j’avais vingts ans …
      J’ai dû choisir des extraits qui ne révèlent rien de l’histoire,
      je surligne sur ma liseuse après je recopie sur word et je »fais le tri » et en fait cela prend plus de temps que la chronique elle-même mais cela la facilite au bout du compte 🙂

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  2. Je l’avais beaucoup aimé mais avait très vite compris ce qui était sûrement arrivé à Jacy mais sa disparition n’était qu’un prétexte pour évoquer des tranches de vies et j’aime assez la manière dont l’auteur mêle actualité, époque, intimité et devenir de ses personnages. Je suis d’accord au début on ne sait pas trop où l’on va mais le charme opère et cela fonctionne. 🙂

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    1. j’ai deviné aussi trop vite,d’où la frustration mais l’histoire familiale de Jacy m’a plu par contre…
      je vais garder l’atmosphère et certains vont rester dans ma mémoire: Teddy, Lincoln et l’abominable Wolfgang Amadeus qui vaut se pesant d’or et en dit beaucoup sur la religion et ses travers et sur le statut des femmes leur place dans le couple…

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