« Oublier les fleurs sauvages » de Céline Bentz

Je vous parle aujourd’hui d’un livre de cette rentrée qui m’a permis de faire un voyage, au Liban dans une époque difficile, avec :

Résumé de l’éditeur :

Dans la famille Haddad, on sait qu’il faut beaucoup de courage et de détermination pour échapper à un destin que l’on n’a pas choisi. C’est ainsi que les parents ont élevé leurs sept enfants ; mais des quatre filles, c’est sur l’espiègle et intelligente Amal que leurs espoirs reposent : elle ira faire ses études en France, horizon lointain qui la fait rêver depuis toujours. Jusqu’au jour où la jeune fille croise la route du beau Youssef aux yeux vairons, un homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer…

Des rues d’un pays coloré et instable aux pavillons de la banlieue de Nancy, de la chaleur du Liban aux hivers froids de l’Est de la France, après bien des obstacles, entre extase et violence, Amal connaîtra le goût amer de l’exil mais aussi celui, infini, de la liberté.

Inspiré librement de son histoire familiale, Céline Bentz raconte à travers une quête émouvante l’histoire hors du commun d’une femme déchirée entre deux pays. Un premier roman remarquable, porté par une écriture énergique et habitée, qui est aussi un magnifique hommage au Liban. 

Ce que j’en pense :

La famille Haddad est composée de Dibba la mère et Ahmad le père et leurs enfants, notamment Abbas qui s’est installé à Nancy avec sa femme professeur d’italien et ses deux enfants leur fils Yacine, militant actif au parti communiste, les deux filles ainées qui se sont mariées au Liban, Amal, la plus jeune des filles, veut faire des études et enfin le dernier enfant, trisomique.

Les parents ont été sommés de quitter leur maison et leurs terres dont ils ont été expulsés à la fin de la guerre des six jours, ce qui va leur laisser une blessure importante, le père étant obligé d’aller faire le ménage et nettoyer les toilettes pour faire vivre sa famille.

Illettrés tous les deux, Ahmad et Dibba veulent que leurs enfants fassent des études, s’ils en ont les moyens, quitte à trimer pour les aider.

On est en 1984, Amal est en première et va se trouver un travail pour aider la famille, dans une boutique tenue par un homme libidineux qui laisse traîner ses mains partout et la jeune fille est obligée de quitter le magasin. Elle fait la connaissance de Youssef, de confession maronite, dont elle commence à tomber amoureuse alors que leurs religions respectives ne voient pas cela d’un bon œil. Le Liban est en guerre, les rues ne sont pas sûres, les différentes parties ne se font pas de cadeaux, mais Amal s’accrocher et décroche son bac. Elle veut faire des études de médecine à Nancy où vit son frère Abbas et la famille est d’accord, malgré le déchirement, l’éloignement, mais Marie-Rose sa belle-sœur promet de l’aider tandis qu’en échange elle s’occupera des enfants…

Yacine milite de plus en plus activement au parti communiste ce qui le met en danger, et un jour il disparaît, enlevé et torturé…

Malgré sa culpabilité et le sentiment de trahir les siens Amal s’envole vers la France vers une nouvelle vie.

L’auteure nous raconte la difficulté des filles, au Liban, les mariages arrangés et les violences conjugales, les communautés qui peuvent cohabiter mais ne pas s’unir entre elles ce qui ne va pas en s’arrangeant… Elle parle aussi très bien de la pauvreté des gens, de leur chaleur, et de leur générosité : ils n’ont pratiquement rien mais ils se débrouillent par exemple pour faire une diner pour célébrer Amal.

J’ai admiré le courage d’Amal qui part dans un pays dont elle connaît à peine la langue, dans une ville où il fait froid l’hiver et où la magie de la première chute de neige se heurte à la difficulté de tous les jours. Elle réussit à refaire une terminale et passer le bac en France et surtout à faire ses études de médecine avec les difficulté du concours, le numerus clausus, le bachotage, le chacun pour soi des étudiants… Chapeau mademoiselle !

Céline Bentz explique très bien la douleur de l’exil la difficulté de vivre au Liban à cette époque de guerre, avec les bombes, les mines qui estropient des enfants qui jouaient tranquillement, les méthodes utilisées par chaque camp pour terroriser l’autre, les enlèvements.

Cette lecture a fait remonter beaucoup de souvenirs en moi, je me souviens l’enlèvement de Jean-Paul Kaufmann, Michel Seurat et leurs deux autres compagnons, et de l’anxiété qui régnait en France à ce moment-là : tous les soirs aux infos, le JT commençait avec leurs photos et le présentateur disait cela fait tant de jours qu’ils ont été enlevés et on est toujours sans nouvelles ainsi que du combat de Joëlle Kaufmann pour qu’on ne les oublie pas.

J’ai beaucoup aimé ce roman, qui est en fait l’histoire de la mère de l’auteure, si j’ai bien compris, j’ai aimé voir Amal grandir, évoluer, ses relations avec sa famille… C’est tellement difficile de leur dire qu’elle est tombée amoureuse d’un chrétien, qu’elle doit se cacher.

L’écriture est belle, sensuelle, j’avais le cœur rempli par l’odeur des fruits, de la bananeraie, des épices, de la cuisine et de la mer….

Une image qui m’a bouleversée parmi d’autres : Ahmad emmène sa fille au souk pour organiser le repas et lui offre un luth car il sait qu’elle aime la musique, en dépit des privations que cela va entraîner pour la famille.

Je mettrais un petit bémol : la fin est brutale et on ne sait pas ce que devient réellement Amal, on le devine mais j’aurais aimé en savoir plus. Mais, pour un premier roman, c’est réussi et j’espère qu’on aura l’occasion de retrouver l’auteure bientôt.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Préludes qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure qui rend un bel hommage au Liban.

Si le Liban dans ces années vous intéresse et notamment les otages français, je vous conseille le livre de Marie Seurat, l’épouse du chercheur Michel « les corbeaux d’Alep » où elle évoque tout ce qu’elle a pu faire pour trouver les traces de son mari, les trahisons…

#Oublierlesfleurssauvages #NetGalleyFrance

8/10

L’auteure :

Céline Bentz est née d’une mère libanaise et d’un père français. Elle a grandi dans l’est de la France, nourrie de ces deux cultures.

Diplômée de la Sorbonne et de Sciences Po Paris, elle est passée, au cours de ses études, par l’université Saint-Joseph de Beyrouth.

Actuellement elle travaille en Alsace, dans l’administration publique.

Extraits :

Quant à la jeune fille, elle savourait le bonheur de voir son frère si farouchement engagé du côté des pauvres et des opprimés, des Palestiniens, des spoliés, des misérables. Elle était fière de lui.

Au Liban, la distinction suprême s’acquérait, et s’acquiert toujours dans la plupart des milieux, par l’obtention d’un doctorat. Personne dans la famille Haddad n’avait encore décroché de telles lettres de noblesse – pas même Abbas — Amal avait donc décidé d’être la première.

Amal se disait donc que son entrée au Panthéon des « docteurs », qui plus est en médecine, servirait à venger les sacrifices de ses parents, à leur offrir un peu du prestige et de la gloire pour lesquels ils avaient tant donné.

Il était de notoriété publique que les bourreaux préposés aux interrogatoires étaient – d’un côté comme de l’autre – rompus aux meilleurs techniques, développées par les pires écoles de la guerre froide.

Si je te reprochais ton départ, je serais un père indigne, car tu ne m’appartiens pas. Tu n’es pas ma chose, tu n’es pas mon objet. Le fait de t’avoir engendrée ne me donne pas de droit de propriété sur toi.

Au Liban, c’était ainsi, les femmes devaient être soignées, montrer qu’elles avaient déployé une panoplie considérable d’atours pour plaire. C’était une façon de se mettre en avant, mais aussi de dire à son entourage que l’on s’était apprêtée pour lui.

Elle expliqua que, depuis plusieurs mois, se jouait une guerre des otages, que les gens disparaissaient, y compris des étrangers. Elle évoquait des noms que personne ne connaissait vraiment, Michel Seurat ou Jean-Paul Kauffmann, des intellectuels français disparus depuis le mois de mai…

Elle s’était préparée à la solitude, elle avait tenté de se faire une idée de ce que serait l’exil. C’était une jeune femme lucide, qui ne se laissait pas berner par les illusions, et pourtant, ce fut bien pire que tout ce qu’elle avait anticipé.

Tu vois, ma fille, cette guerre ne m’a peut-être pris aucun enfant, mais elle les a presque tous abîmés ou dispersés. Tes deux frères sont à l’étranger, toi aussi maintenant, et tes deux sœurs sont dans des situations dont je ne sais pas comment les tirer.

La France entière pleurait les sept morts et cinquante-cinq blessés (attentat de la rue de Rennes), tués alors qu’ils flânaient sur les trottoirs du sixième arrondissement. Elle était étrangère. Elle devait se faire discrète.

A l’université, l’individualisme régnait en maître. La pressions du concours était si forte que tous les étudiants adoptaient des attitudes de requins. Ils arrivaient dès potron-minet dans les amphithéâtres pour prendre d’assaut les places des premiers rangs et les réserver aux membres de leur groupe de travail. Les uns et les autres s’adressaient à peine la parole, les crasses et les coups bas étaient légion.

Sa vie ne se résumait plus qu’en un prodigieux écartèlement entre deux langues, deux cultures, deux aires géographiques et deux appartenances. Plus le temps passait et plus elle se sentait perdue au milieu du gué.

Amal n’avait pas fui le Liban ou la guerre, elle avait essayé de se départir de l’absence de choix.

Lu en août 2021

22 réflexions sur “« Oublier les fleurs sauvages » de Céline Bentz

    1. il est très fort, on a l’impression de faire partie de l’histoire (la grande et la petite) tellement c’est bien écrit et analysé.la pauvreté, l’exil sont très bien abordés, avec ce qu’il faut de pudeur..
      J’avais la trentaine à l’époque et je m’étais passionnée pour cette guerre, essayer de la comprendre
      donc cela a fait remonter beaucoup de souvenirs.
      et quand on voit ce qui se passe en Afghanistan cela donne l’impression que la folie des hommes ne s’arrêtera jamais 🙂
      un grand merci à toi car c’est ta critique qui m’a donné envie de le lire 🙂

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    1. c’est la chronique de Frédéric qui m’a donné envie et je suis vraiment sous le charme. Tout est bien dans ce livre et on espère retrouver l’auteure car elle est prometteuse 🙂
      il y a un tout petit bémol, la fin trop rapide, sinon c’était un coup de cœur 🙂

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    1. c’est une belle découverte! je l’ai lu dans les premiers livres de la rentrée que j’ai eus et j’espère qu’on va la retrouver bientôt car elle a du talent et évoque tellement bien des thèmes que j’aime, le poids des religions, l’exil notamment 🙂

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  1. Le liban… pays qui me semble toujours plus ou moins en guerre, en crise économique etc depuis ma prime jeunesse. je me souviens parfaitement des otages dont le visage ouvrait les J.T. Il y avait aussi Roger Auque, dont j’avais lu le témoignage à l’époque.
    Pour autant, je ne connais pas grand chose du Liban, alors ce roman pourrait bien m’ntéresser.

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    1. on vivait vraiment cette guerre en direct avec les otages tous les soirs à la une du JT : cela fait aujourd’hui 150 puis 300 puis 900… La descente d’avion de JP Kaufmann entre autres était bouleversante, il avait l’impression que personne ne l’attendait…
      j’ai retrouvé ce que je ressentais à l’époque et j’ai aimé tout ce qu’elle dit sur le Liban, les odeurs (la bananeraie) les fruits qui n’ont plus de goût en France, le luth 🙂

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