« Isabelle, l’après-midi » de Douglas Kennedy

Il y avait un moment que je n’avais pas ouvert un roman de l’ami Douglas, (pour être parfaitement sincère j’ai mis du temps à m’intéresser à la littérature états-unienne), et comme ce titre éveillait ma curiosité, j’ai foncé :

Résumé de l’éditeur :

Après La Symphonie du hasard, Douglas Kennedy nous offre une œuvre sensuelle, délicate, nostalgique, sur les amours contrariées, le destin que l’on se forge et les regrets qui peuvent jalonner l’existence. C’est aussi sa déclaration d’amour à Paris, ville de tous les possibles et de toutes les réinventions.

Avant Isabelle, je ne savais rien du sexe.

Avant Isabelle, je ne savais rien de la liberté.

Avant Isabelle, je ne savais rien de la vie.

Paris, début des années 1970.

Dans une librairie de la rive gauche, un jeune homme rencontre une femme. Il est américain, étudiant, sans le sou, et a tout quitté pour assouvir ses fantasmes de la Ville Lumière ; elle est française, un peu plus âgée, sophistiquée, mystérieuse et… mariée.

Entre Sam et Isabelle, c’est le coup de foudre.

Commence alors une liaison tumultueuse, des cinq à sept fiévreux, des rendez-vous furtifs, des moments volés. Mais Sam veut plus. Isabelle lui a ouvert les portes d’une autre vie mais est-elle prête à tout lui sacrifier ? La passion saura-t-elle résister au quotidien, aux épreuves et au temps qui passe ? 

Ce que j’en pense :

Samuel étudiant américain, peu argenté est venu passer quelques mois à Paris. Petit intermède avant d’intégrer Harvard, découvrir la magie de la ville, fuir une famille peu aimante.

Un jour, dans une librairie où une auteure est venue présenter son livre, il rencontre Isabelle, plus âgée que lui, mariée et le coup de foudre est immédiat. Ils vont se retrouver l’après-midi vers 17 h dans le studio où se situe le bureau d’Isabelle, traductrice de son métier.

Il tombe amoureux d’elle, à moins que ce soit plutôt amoureux de l’amour. Elle a subi un drame dans sa vie, son bébé étant décédé de la mort subite du nourrisson et elle s’en est mal remise, les blessures sont à vif, elle s’est contentée de continuer à vivre, pour se conformer à la tradition de la famille d’aristocrate de son époux. Lui, se console avec ses maîtresses sans même prendre la peine de se cacher. Alors ces rendez-vous de l’après-midi (on note au passage que c’est Isabelle qui décide du jour autant que de l’heure). Est-ce pour pimenter un peu ?

Cependant, tout a une fin. Sam doit rentrer aux USA, il aurait pu tout quitter pour construire un couple, une vie avec Isabelle mais elle l’a renvoyé dans ses pénates, lui annonçant qu’elle ne quitterait jamais son époux, son milieu aisé et que de toute manière elle voulait démarrer une nouvelle grossesse et donner une chance à son couple. En fait, elle n’est pas prête à abandonner sa vie avec Charles, elle est trop confortable : l’appartement luxueux, la maison familiale en Normandie…

Sam reprend donc ses études, il travaille d’arrache-pied car, comme il le dit si bien : « Contrairement à la plupart de mes condisciples, je ne me plaignais pas de l’emprise dévorante des études à Harvard. Ma vie ne contenait rien d’autre. »

Il rencontre une jeune femme, « libérée au lit » avec un comportement sadomaso souvent, cette violence contraste avec la douceur des relations qu’il avait avec Isabelle : il a choisi une femme complètement à l’opposé ; en fait ce serait plutôt Siobhan qui l’a choisi lui… Pour elle c’est un dernier défoulement avant de commencer une vie typique de l’Amérique des années 70. Elle est quand même lucide, a bien compris qu’il y a une femme dans l’ombre :

« Même quand tu auras trouvé ce que tu penseras être l’amour, tu te prendras à rêver d’une autre réalité. Tu ne poseras jamais tes valises. Ta solitude te hantera pour toujours, parce qu’elle fait partie de toi. C’est elle qui te définit » lui dit-elle !

Sam va tenter de se persuader qu’il peut tomber amoureux d’une autre femme lorsqu’il rencontre Rebecca, et finit par l’épouser. Il ne fait qu’obéir aux diktats de l’époque : un mariage ou plutôt une association de deux personnes compatibles qui ont les mêmes buts, dans la vie, un travail rémunérateur et qui confère un statut privilégié, des enfants…

Ce qui frappe dans ce roman, c’est d’abord l’aura de tristesse qui entoure Sam tout au long de son histoire. Sa mère est morte quand il était jeune, son père est d’une froideur extrême et il est sans cesse en quête d’amour, de reconnaissance, avec une estime de soi dans les chaussettes. Il a le chic pour tomber sur des femmes qui sont soit inaccessible, l’idéal de l’amour avec Isabelle qui ne peut que rendre les autres femmes ternes, car il subit sa vie au lieu de la vivre.

On baigne dans le mélodrame : Rebecca est « foldingue », elle relève de la psychiatrie, elle est alcoolique, obsédée par le rangement, et a complètement décompensé lorsque Sam a eu la promotion dont elle rêvait et qu’elle n’a pas eu dans le cabinet d’avocat où elle devait devenir associé… Elle se montre jalouse, une tigresse, mais même s’il est conscient qu’elle est malade, il continue à subir.

Sam est amoureux de l’amour, il ne cherche pas à agir, il préfère subir, et il est parfois lourd, le roman s’éternise car un pas en avant, deux pas en arrière. Il revoit régulièrement Isabelle, même si parfois des années s’écoulent entre deux visites, ils s’écrivent de la même manière, par période.

Douglas Kennedy nous offre une belle histoire d’amour et de souffrances, digne du Romantisme du XIXe siècle, avec des allusions fréquentes à « Madame Bovary » : Isabelle lui ressemble étrangement avec son ennui abyssal, et n’oublions pas que son mari se prénomme Charles. Il aurait d’ailleurs pu appeler son roman « La poursuite du malheur » ! (Clin d’œil à un de ses romans précédents « La poursuite du bonheur »). Il insiste sur la sensibilité du héros, ses états d’âme, et le côté rédempteur de la souffrance. Certes, c’est jouissif intellectuellement, mais on plonge vite dans la victimisation.

Petit bémol : même si c’est une lecture agréable, car les personnages sont bien étudiés, et la plume de Douglas Kennedy est quand même belle ; on a de jolies réflexions sur l’amour, l’espoir, les regrets mais il faut s’accrocher parfois pour pouvoir résister à ce côté mélancolique, fataliste même qui plombe un peu la lecture…

C’est le troisième roman de l’auteur que je lis et je n’ai pas retrouvé la fougue, l’inventivité de « L’homme qui voulait vivre sa vie » ou surtout, « La poursuite du bonheur » qui m’avait tant plu…Quitte à baigner dans la mélancolie ou le blues, je préfère la plume d’Olivier Adam

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver un auteur que j’apprécie.

#Isabellelaprèsmidi #NetGalleyFrance

7/10

L’auteur :

Douglas Kennedy est né à New York en 1955, et vit entre les Etats-Unis, le Canada et la France. Auteur de trois récits de voyages remarqués, dont Combien (2012), il s’est imposé avec, entre autres, « L’homme qui voulait vivre sa vie »et « La Poursuite du bonheur » (1998 et 2001), suivis des « Charmes discrets de la vie conjugale »(2005), de « La Femme du Ve »et tant d’autres,notamment sa trilogie « La Symphonie du hasard »

Extraits :

Après l’ « avant » et avant l’ « après »… C’est de ça que sont faites les histoires. Surtout celles qui ont trait aux choses de l’intime.

Toute vie n’est qu’un conte éphémère. C’est ce qui rend mon histoire, la vôtre, la nôtre, si essentielles. Toute vie a sa propre portée, si fugace et si mineure qu’elle puisse paraître.

Il était la voix de l’autorité, et je ressentais toujours le besoin de lui obéir. Si mon père avait été un homme complètement renfermé sur lui-même, il m’aurait sans doute été plus facile de rationaliser notre manque de proximité.

Comme je l’ai compris avec le temps, lorsqu’on commet une grossière erreur ou que l’on prend une décision stupide, on en vient souvent à réécrire l’histoire afin de s’épargner reproches et remords.

Mes tentatives pour initier un semblant d’intimité père-fils n’ont fait que le rendre plus évasif et mal à l’aise. Il n’y avait pas la moindre antipathie dans nos rapports ; juste un manque criant de proximité.

L’espoir amoureux n’est souvent rien d’autre que l’art de se dérober soigneusement à l’évidence.

Pourquoi est-ce qu’on veut toujours ce qu’on n’a pas ? Et pourquoi, dès qu’on obtient ce qu’on voulait, on se rend compte que ça ne valait pas du tout le coup de courir après pendant tout ce temps ?

Quand on est profondément amoureux, il est impossible de se borner à considérer l’instant présent. Notre regard se porte de lui-même vers l’avant, vers la vie à deux qui ne peut manquer de nous attendre. Former un couple, c’est se rendre à jamais captif d’une obsession : le futur.

Notre vie sentimentale est entièrement dirigée par cela : le désir de quelque chose au-delà de ce qu’on possède. La croyance en une meilleure expérience de l’amour. Un rempart contre les incertitudes de l’existence.

Elle était, à bien des égards, le meilleur choix à faire – à supposer qu’on puisse choisir quand tomber amoureux. Ces réflexions me semblaient désespérément pragmatiques, mais je ne cessais de me répéter que Rebecca était la femme que m réservait le destin, et qu’avec elle un avenir était possible…

Une action produit un résultat. L’inaction, un autre. Mais, à la fin, nous faisons tous nos choix en fonction des choix d’autrui. Qui eux-mêmes se décident en fonction des signaux que nous leur envoyons. Ou que nous ne leur envoyons pas.

On pleure sur ce qui aurait pu exister, sur une histoire triste à présent achevée et dont le dénouement ne changera jamais.

Je savais aussi que je vivrais toujours dans l’ombre de mon père qui, par son triste caractère, n’avait jamais été présent pour moi. Il y avait donc dans mon désir de devenir père une volonté de montrer à cet homme qui m’avait courtoisement évité toute ma vie que, contrairement à lui, je saurais me montrer disponible et aimant.

Il suffit d’une fausse note dans la symphonie du hasard pour précipiter un couple dans la mésentente.

Un regard échangé, deux vies bouleversées. Ainsi va la vie, lorsque le hasard répond à la plus humaine des quêtes : la recherche d’une passion qui ne s’éteint jamais.

Car le plus grand mystère de la vie n’est pas la personne auprès de laquelle on cherche l’amour. Le plus grand mystère réside en nous-même.

Lu en juin 2020

18 réflexions sur “« Isabelle, l’après-midi » de Douglas Kennedy

  1. Ping : Isabelle, l’après-midi, Douglas Kennedy – Pamolico, critiques romans, cinéma, séries

    1. il est facile à lire, belle analyse de l’époque, de ce qui faisait la réussite d’une vie mais vraiment fataliste…En le refermant j’ai eu envie de retourner chercher « Jacques le fataliste » de Diderot…
      Olivier Adam sait mieux captiver dans ce domaine-là alors que Kennedy a tendance à ronronner

      Aimé par 1 personne

    1. honnêtement ce n’est pas celui que je préfère, « La poursuite du bonheur » reste mon préféré et je ne sais pas si j’en lirai un autre, j’ai pourtant le T1 de « La symphonie du hasard » dans ma bibliothèque…

      J’aime

    1. c’est un bon moment de lecture, ne crachons pas dans la soupe!!! j’ai beaucoup aimé « La poursuite du bonheur » d’où la petite déception mais roman idéal pour les vacances (ou le confinement ou reconfinement)… Je deviens difficile ces derniers temps. 🙂

      J’aime

    1. certains (certaines?) sont très enthousiastes, je maintiens mon bémol son héros ressemble à une émanation d’Emma Bovary, mais c’est mieux quand c’est Flaubert…
      une lecture facile pour l’été ou le re-confinement mais attention au blues 🙂

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.