« Il y a un seul amour » de Santiago H. Amigorena

Continuant mon exploration de la collection « une nuit au musée », je vous propose aujourd’hui :

Résumé de l’éditeur :

Il y a un seul amour.


Ou plutôt, n’y a-t-il qu’un seul amour ? Parle-t-on du même amour pour une œuvre ou pour l’être aimé ? Qu’en est-il de notre amour ? semble adresser Amigorena à celle qu’il aime et qui ne sera pas auprès de lui cette nuit. N’a-t-il pas déjà écrit tout au long de sa vie sur des musées, des expositions, des peintures ? Oui, cette promenade nocturne au musée Picasso sera donc une tentative de s’extraire de l’amour, de prendre la distance nécessaire pour tenter d’y mettre des mots.


Justement les mots, il les dépose, les juxtapose et joue avec. Au cœur du musée endormi, les interrogations deviennent des affirmations, les affirmations des interrogations. Tenant résolument le fil de l’amour, Amigorena attend, dans le sommeil et les rêves, que les œuvres le guident et lui apportent quelques réponses. Dans cette nuit de solitude forcée, où s’invitent Picasso, Giacometti ou encore Vermeer et Bataille, il explore avec pudeur et profondeur le sentiment amoureux, l’écriture, les œuvres, et ce qui inextricablement les lie. 

Ce que j’en pense :

Renouant avec la série « Une nuit au musée » que j’ai découverte avec Lydie Salvayre et puis récemment Léonor de Recondo, j’ai eu envie de continuer l’aventure.

Santiago H. Amigorena nous invite à partager sa nuit au musée Picasso pour l’exposition Picasso-Giacometti où il va arpenter les couloirs du musée et tenter de dormir sur un lit de camp le reste de la nuit. Il choisit en fait, alors qu’il a l’habitude de parler d’art dans ses livres, un exercice de style particulier : écrire une lettre d’amour à sa compagne.

en fait, rien n’est simple car il est avant tout préoccupé par son histoire d’amour, l’angoisse de la séparation et le fait de passer une nuit loin d’elle est quasiment une torture. Il a emporté avec lui un livre de Bataille, « L’expérience intérieure », qu’il a lu il y a déjà longtemps mais qu’elle est en train de lire, comme une continuité entre leurs sentiments et pensées réciproques.

En fait, il va nous parler très peu de Picasso et Giacometti, contrairement à ce que l’on pouvait attendre mais surtout de son amour, des affres de cet amour, de la difficulté de l’exprimer, de ses doutes, de ses maladresses.

L’auteur évoque les peintres qu’il aime, son amour pour Vermeer depuis l’enfance : « la jeune fille à la perle », ou « La laitière » avec le lait qui coule à l’infini, hors du temps…Ou encore « La vue de Delft », on croise aussi Balthus, qui l’inspire, il aimerait se fondre dans un de ses tableaux.

Santiago H. Amigorena alterne les citations de Bataille et la lettre qu’il voudrait envoyer à son amour, parfois, il alterne tellement qu’il faut vérifier si c’est lui ou si c’est Bataille qui parle, et on se rend bien compte que son esprit est torturé.

A un moment, quand même, il lâche un peu prise, après s’être battu contre l’insomnie, et Picasso vient le chercher pour visiter l’exposition et jeter un regard critique sur ses propres toiles, et on a un dialogue qui se poursuit avec l’intervention de Giacometti qui surnomme Picasso « le Genou-qui-peint ». Ceci est assez savoureux mais il faut avoir parcouru plus de la moitié du livre pour arriver à cette rencontre.

Certes j’ai aimé les oppositions entre « Les Baigneurs » de Picasso et « Les soldats » de Giacometti, mais j’ai été un peu déçue, je m’attendais à voyager davantage dans l’œuvre des deux artistes que dans les tourments de l’auteur. Par contre, il peut devenir lyrique lorsqu’il évoque Vermeer que j’aime énormément ou Edward Hopper qui me fascine également.

Plus loin à l’étage, j’ai retrouvé ces Baigneurs que Picasso, tels des soldats chinois, a bâtis plus que sculptés, immense armée de bronze aussi solide que les Soldats, la forêt de fantassins de Giacometti qui lui faisait face pendant l’exposition, est fragile. J’ai regardé les Baigneurs. J’ai regardé les Soldats. Les guerriers de Picasso étaient aussi féroces que les fantassins de Giacometti sont à jamais timides, craintifs, effarouchés.

J’aime beaucoup la manière dont il parle, non seulement de l’art en général, mais surtout de la littérature, des mots, de la langue auxquels il rend un véritable hommage au fil des pages…

Le mot est ce qui reste, dans la langue, de cet instant qui précède le poème et qui ne demande pas à être écrit.

Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer avec « La leçon de ténèbres » de Léonor de Recondo qui m’avait permis de mieux connaître El Greco qui était omniprésent dans le livre et qu’elle avait suivi aussi bien dans le musée que dans sa maison…

J’ai encore d’autre auteurs de cette collection à découvrir, notamment Kamel Daoud avec  « Le peintre dévorant la femme ».

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce livre et de connaître un peu plus son auteur.

#Ilyaunseulamour #NetGalleyFrance

7/10

Extraits :

L’amour a-t-il une histoire ? Peut-il être étudié, annoté, disséqué ? L’amour est-il une suite d’événements qui peuvent former un récit, une chronique ? Peut-on rendre compte de l’amour ? Peut-on en faire le compte rendu ?

Peut-on apprendre à aimer ? L’amour est-il physique ou métaphysique ? L’amour est-il une affaire de larmes ou de joie ? une affaire de caresses ou de coups ? une affaire de corps – ou de mots ?

Ce soir où l’amour de la peinture allait tenter d’apaiser l’amour de t’aimer.

Surveillé par deux statues de Giacometti – une grande Femme assise située au-dessus de ma tête et un grand Marcheur sombre debout face à moi –, j’allais pouvoir écrire sur un minuscule bureau ou dormir dans un sac de couchage étendu sur un lit de camp.

J’avais marché, marché, marché, et marché encore, mais mon corps ne désirait qu’une seule chose : revenir vers la douceur perdue de ton corps, de tes mots, de ton regard – ton regard aussi profond que la nuit et aussi doux que la pluie.

J’ai parcouru les salles, encore et encore. J’ai profité à outrance de mon privilège. Mais plus j’observais les œuvres, plus elles m’échappaient : visiteur cupide du musée dépeuplé, j’étais là, et j’étais absent, absolument absent. Je voulais voir et mon désir, ma volonté de voir aveuglaient mon regard.

J’avais peur comme si t’abandonner un soir c’était toujours, aussi, comme tu le sens à chaque fois, comme tu me l’as si souvent reproché, le signe prémonitoire d’un abandon total.

J’ai autant écrit sur la peinture que j’ai tu, dans mon écriture, l’influence de la musique. La peinture m’a toujours semblé, instinctivement, plus proche de ce que je cherche en écrivant : un espace plutôt qu’un temps, une terre plutôt qu’un air – plutôt qu’un fleuve un océan.

La mémoire est toujours une œuvre d’art.

Il n’était que neuf ou dix heures du soir, la nuit au musée commençait à peine, et une certitude me sautait déjà aux yeux : pleines de lumière, les œuvres de Picasso s’endorment lorsque le jour finit ; Giacometti, en revanche, n’a fait que des monstres débordants d’humanité qui – comme toi, mon amour – s’éveillent dans la nuit.

Je sais, et je crois que tu le sais aussi : il est des moments de ma vie où, si je n’avais pas écrit, j’aurais eu la faiblesse – ou la force – de me tuer.

Le mot n’est pas la parole. La parole lance, distribue. Le mot tait, revient vers soi. La parole évoque le bavardage incessant des cigales ; le mot, le silence assourdissant du regard mélancolique d’une vache. La parole est multiple, finie parce qu’elle est infinie. Le mot est unique, inépuisable.

Vermeer. A-t-on le droit d’encore parler de Vermeer ? Son silence intempestif et atemporel, le seul de toute la peinture occidentale qui ait hérité la douceur de celui de Bellini et la puissance de celui de Piero, n’a-t-il pas déjà eu sa farandole de louanges ?

Cette manière de s’adresser à nous comme si nous étions des amis d’enfance, cette manière de nous parler si simplement pour nous dire des choses si complexes, fait de Vermeer l’un des peintres les plus mystérieux de la peinture occidentale.

J’ai décidé de dormir comme si dormir pouvait se décider, comme si éteindre l’esprit était une décision de l’esprit, comme si plonger dans cet état où nous ne sommes plus nous-mêmes, où nous ne sommes plus personne, était une décision qu’on pouvait prendre en étant soi-même.

Le rêve avait duré une éternité. Une éternité dans un instant infime, comme durent tous les rêves – ceux que nous faisons endormis, aussi bien que ceux que nous faisons éveillés.

Il n’y a qu’une grandeur : celle du partage. Seuls nous ne sommes rien. Nous ne sommes que des pas qui s’éloignent dans la nuit. Non, même pas des pas : des pieds dissociés qui s’en vont chacun dans un sens, et qui sombrent dans l’abîme obscur du silence.

Souvent, j’ai confondu l’amour des êtres et l’amour des œuvres, puisque leur but ultime, à tous deux, croyais-je, n’était que de me permettre de bâtir l’illusion de mon œuvre.

Ce ne sont pas les choses qu’on doit renouveler : c’est notre regard.

Lu en mai 2020

16 réflexions sur “« Il y a un seul amour » de Santiago H. Amigorena

  1. J’avoue être restée un peu en dehors de celui-ci… Peut-être, parce qu’il était le premier de cette série Une nuit au musée, il semblait difficile de trouver son style. Cette confrontation entre les baigneurs de Picasso et L’homme qui marche de Giacometti est un passage savoureux… Dommage qu’il y en ai eu si peu ! Merci pour ce retour😉

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    1. je crois que cela tient aussi à l’état d’esprit de l’auteur qui est parfois torturé!
      je me suis rendue compte en regardant la vidéo qu’en fait Picasso ne lui plaisait pas vraiment! ceci explique peut-être cela:-) je pensais découvrir davantage Picasso qui me pose des problèmes, je n’arrive pas à me sentir emballée comme je peux l’être avec Dali par exemple 🙂
      il est trop dans le questionnement intérieur, nombriliste c’est ce qui m’a gênée mais cela ne doit pas être facile comme exercice, le livre de Lydie Salvayre m’avait un peu déroutée aussi 🙂

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      1. Oui, j’ai un peu eu l’impression qu’il était passé à côté de la demande. Je sais ton admiration pour Dali. Il faudrait alors vraiment faire un saut à Figueras pour voir son Théâtre Musée. Je suis moins emballée que toi et préfère Picasso. L’homme Dali m’interroge bcp …je n’ai pas lu celui de Lydie Salvayre, je le mets dans ma liste. Bon weekend, Eve

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      2. je suis allée 2 fois à Figueras mais j’aimerais bien y retourner c’est magnifique…
        Ado j’aimais bien l’entendre et le voir parler avec ses adverbes son accent, même quand « il était fou du chocolat Lanvin » toute une époque 🙂

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  2. C’est une collection que je veux découvrir à tous prix, mais la médiathèque ouvre à peine et c’est bien compliqué de s’y rendre en ce moment avec beaucoup de livres mis de côté pour la désinfection…j’attendrais encore un peu et je note 🙂 Merci pour la présentation

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    1. tous ceux que j’ai lus m’ont plu, mais celui-ci un peu moins car trop autocentré à mon goût,mais il écrit bien et parle de l’art, de la littérature avec beaucoup d’amour alors je ne lui en veux pas trop 🙂
      un conseil: garde celui de Léonor de Recondo pour la fin car c’est le plus abouti et il donne vraiment envie de mieux découvrir El Greco le travail en amont est dense.
      Là, je n’ai pas plus envie de visiter le musée Picasso qu’avant 🙂

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