L’automne avec Brahms » de Olivier Bellamy

Je vous parle aujourd’hui d’un livre particulier passionnant mais ô combien difficile à « chroniquer »:

 

Résumé de l’éditeur :

 

À vingt ans, beau comme un demi-dieu, Brahms fait une rencontre qui va changer sa vie et le cours de l’histoire de la musique. Schumann célèbre son génie, tandis que le jeune homme tombe amoureux de Clara Schumann – la femme du compositeur et la plus grande pianiste de ces années.

Une tragédie succède à cette épiphanie : Schumann est enfermé, il meurt, et le destin de la musique allemande échoit entre les mains de Brahms.

Alors que le monde de l’art ne jure plus que par l’innovation et le progrès, Brahms va se lever, seul contre tous, et démontrer qu’on peut aller encore plus loin en regardant derrière soi. Chantant les beautés de la nature et puisant au plus profond de lui-même, il écrira la musique la plus parfaite et la plus originale qui soit.

Après Un hiver avec Schubert, Olivier Bellamy guide le lecteur dans l’œuvre et l’histoire de Brahms en 44 textes ciselés, documentés et sensibles. Le compositeur le plus secret de son époque nous devient aussi proche qu’un membre aimé de notre propre famille…

 

 

Ce que j’en pense :

 

Tout démarre avec une rencontre magique : Johannes Brahms fait la connaissance de Schumann, en pleine gloire et de sa femme Clara, pianiste renommée et il tombe amoureux de Clara qui a vingt ans de plus que lui. L’auteur n’hésite pas à employer le terme d’Épiphanie pour parler de cette rencontre qui va décider de la carrière de Brahms.

Catastrophe, Schumann est interné : on a parlé de mélancolie, De nos jours, on préfère le terme « troubles bipolaires » à celui de psychose maniaco-dépressive, cela paraît moins grave… Il va d’ailleurs mourir dans cet « asile ».

Toute l’orientation musicale de Brahms va découler de son inspiration pour Schumann.

On voit évoluer, le jeune Brahms, dans ses créations : les danses hongroises, puis les symphonies, les quatuors, les compositions pour piano, les lieder etc.

Au passage, on se rend compte des oppositions de l’époque : aux partisans de Schumann, Brahms, Beethoven, ou Bach ne tardent pas à s’affronter les partisans de la nouveauté : Wagner, Liszt par exemple, on en arrive à une querelle des anciens et des modernes, version musicale, avec pétitions à la clé… on s’affronte, on se déteste, on se critique parfois avant même d’avoir écouter une composition musicale qui vient de sortir… on a les partisans de Verdi en opposition à ceux de WagnerChopin versus Liszt

Bach est considéré comme le père immortel et l’auteur en conclut fort joliment d’ailleurs :  « Et puisque « Bach » signifie « petite rivière » et que Brahms est né au bord de la mer, la filiation s’impose tout naturellement. »

J’ai remarqué au passage la sentiment anti allemand qui règne à Vienne à l’époque et comme Brahms aime dire ce qu’il pense on imagine aisément ce que cela peut provoquer. Il aime provoquer, et la franchise est une de ses qualités. On retient également son perfectionnisme qui va le conduire à détruire les compositions qu’il juge mauvaises.

Olivier Bellamy évoque aussi les rivalités entre pays : il est de bon ton de dénigrer Berlioz, par exemple, uniquement par chauvinisme. Les goûts musicaux et les critères d’appréciations des Français à l’époque sont bien décortiqués…

Je connaissais très peu de choses sur la vie de ce musicien, et l’auteur m’a permis de découvrir les facettes de sa personnalité, son besoin d’être aimé, mais sa tendance à fuir dès qu’une idylle pourrait devenir sérieuse. Ce que je retiendrai aussi, c’est son côté altruiste, toujours prêt à aider les autres, ses parents d’abord, puis ses amis ensuite, il est le parrain de nombreux enfants.

J’aime énormément ses « danses hongroises » inspirées de la musique Tzigane (mot à ne pas prononcer à l’époque déjà !) et je connaissais peu ses symphonies et ses autres compositions.

« Il ressentait pour la musique tsigane (qu’il appelait « hongroise ») la fascination du danseur étoile pour le hip-hop. Une autre idée de la virtuosité transcendante sans les rênes de l’académisme, l’exotisme en prime… Toute sa vie ce maître de la fugue est resté un éternel fugueur « 

On a beaucoup dit à l’époque que sa première symphonie était tellement la continuation de celles de Beethoven, qu’on l’appelait la « Dixième ».

A noter, un chapitre intéressant sur Wilhelm Furtwangler qui définit ainsi la musique : « La musique n’est ni intellectuelle ni abstraite mais organique, immédiate et comme jaillie des mains de la nature » ou mieux encore

« la musique n’existe que dans l’instant et rend caduque toute littérature. L’œuvre d’art se ressent totalement au moment où elle est jouée et entendue. Après cela, l’intellect fractionne morcelle, oublie le tout. »

L’auteur fait un clin d’œil en passant au célèbre « Aimez-vous Brahms » de Françoise Sagan, aux cinéastes qui ont choisi ses œuvres en bande-son : Godard dans « à bout de souffle », mais aussi Chabrol, Leconte, Kubrick et même Chaplin

D’autre part, j’ai découvert les lieder (il en a peu écrit par rapport à Schumann par exemple, car il pensait que si un poème était « parfait » il n’avait pas besoin de musique pour le mettre en valeur (ex Goethe ou Heine) …

Je préfère Beethoven, Bach, Chopin, (Mozart bien-sûr) que je peux écouter pendant des heures, mais avec Liszt, je coince un peu et Wagner m’insupporte : j’essaie de temps en temps d’écouter sa tétralogie par exemple, mais je dois tenir dix minutes d’affilée, c’est-à-dire écouter un petit bout de temps en temps façon puzzle. J’aurais presque envie de dire « Du bruit en guise de musique » pour reprendre un commentaire glacial de Staline lors d’un concert.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre mais, il faudrait le relire en écoutant la musique car chaque chapitre correspond à une période de la vie de Brahms, mais surtout à la progression dans ses compositions pour l’apprécier de manière plus approfondie.

J’admire la poésie de l’écriture, le travail et la passion d’Olivier Bellamy ; passion qui  est omniprésente dans cet ouvrage très convaincant. J’espère avoir été convaincante car point n’est besoin d’être un mélomane averti pour apprécier ce livre.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Buchet-Chastel qui m’ont permis de découvrir ce roman et de m’immerger dans l’œuvre de Brahms et dans son époque.

#LautomneAvecBrahms #NetGalleyFrance

 

❤️ ❤️ ❤️ ❤️ ❤️

Pour vous remercier d’avoir eu la patience de lire ma chronique jusqu’au bout et après avoir poursuivi l’intox avec des extraits difficiles à choisir, je vous propose quelques illustrations musicales ci-dessous, .

 

 

L’auteur :

 

Né à Marseille en 1961, Olivier Bellamy anime chaque jour « Passion classique » sur Radio classique. Il est aussi l’auteur de plusieurs documentaires à la télévision dont la série « A Contretemps » sur France 3 et anime un blog sur le Huffington Post.

On lui doit un autre livre: « Un hiver avec Schubert »

 

 

Extraits

 

Ce qu’il aime par-dessus tout : jouer des valses avec son camarades Johann Strauss. Les honneurs ? Il n’en a cure. Décoré de l’Ordre de Leopold des mains de l’empereur, il bougonne : « je préfère trouver une belle mélodie plutôt que recevoir une récompense. »

 

Très précoce, l’enfant invente un solfège à cinq ans, pour noter ce qu’il entend, avant d’apprendre la théorie de la musique…

… à dix ans « Hannes » sait qu’il veut être compositeur. Ses dons au piano sont si remarquables, que son mentor se désespère : « il aurait pu être un si bon pianiste ».

 

La rencontre avec Schumann ainsi que la mort prématurée de celui-ci vont presser Brahms à devenir cet aigle à deux têtes, l’une classique, l’autre romantique. En quelques mois, il prend conscience de sa responsabilité vis-à-vis de la musique, signe une sorte de pacte faustien à l’envers et devient « vieux » d’un seul coup.

 

Si Schumann disparaît pour laisser place à sa légende, Brahms enchaîne son existence au souvenir du défunt et ne peut se détacher de Clara.

 

Chaque œuvre de Brahms sonne comme une continuation de l’œuvre de Schumann, avec modestie et loyauté : ce noble et pur artiste me sert constamment de modèle ».

 

Ce lien entaché de frustration et de culpabilité n’a d’autre issue que la sublimation ‘résignée de l’amitié. Mélange de romantisme hollywoodien et de vaudeville français, mâtiné de névrose bergmanienne.

 

Brahms pensera au suicide et le vivra en musique : son quatuor avec piano N°3 en ut mineur en porte le souvenir tragique.

 

Souvent, la poésie populaire germanique est le catéchisme de l’âme allemande. Les notes coulent sur la joue de l’être humain qui aime, gémit, souffre et pleure comme s’il réservait le poids de son chagrin à Dieu.

 

Il existe une conjonction miraculeuse entre l’Allemagne et la musique (comme entre la France et la littérature) mais, ne nous y trompons pas : ce « peuple élu » des sons travaille pour la planète entière. Ce que Sacha Guitry a résumé d’un mot définitif : « Mozart n’est pas né à Salzbourg, il est venu au monde entier ».

 

C’est un grand arbre aux racines larges et profondes, exposé aux quatre vents dont Brahms a hérité. Tous les oiseaux du monde viennent y chanter avant d’emporter au loin un bout de ses rameaux fleuris où la sève du vieux père Bach continue de vivre et de se perpétuer.

 

C’est la sauvagerie domestiquée : le tigre devenu chat d’appartement qui fait ses griffes sur le canapé du salon.

 

Je sens la première volcanique, la deuxième campagnarde, la troisième fluviale, la quatrième aérienne. On a donc bien l’exact déroulement des quatre éléments de l’astrolabe : Feu, Terre, Eau, Air.

 

Si Wagner a changé l’histoire de la musique, Brahms l’a empêchée de se perdre dans une illusion de progrès.

 

La part baroque ne doit pas être oubliée chez cet amoureux d’art ancien. Le mot portugais barroco signifie « perle irrégulière » et l’irrégularité (dixit Schönberg) est un des principes de l’écriture brahmsienne.

 

Le premier concerto était un chant de mort et de transfiguration, le second devient un hymne à la vie, une puissante réflexion sur le sens de l’existence.

 

Il a été embarrassé par le fameux slogan des « trois B » (Bach, Beethoven, Brahms) lancé par le chef d’orchestre Hans von Bülow. Ainsi que le titre de « Dixième » décerné à sa Symphonie N°1. Par modestie, et parce qu’on en oubliait Mendelssohn et surtout Schumann qui n’avait pas démérité en laissant la « maison allemande » en l’état, malgré ses fragilités intimes.

 

Beethoven avance sans cesse. Brahms avance et recule. Comme la mer ! Beethoven n’a jamais vu la mer. Brahms est né au bord !

 

Pour Brahms, Vienne est « la ville sainte de la musique ». Mozart, Beethoven et Schubert y ont vécu. Le « deuxième empereur », celui de la valse, Johann Strauss fils règne sur les cœurs. Tout y respire musique du matin jusqu’au soir. Mais Vienne est aussi connue pour sa légèreté, sa cruauté envers les musiciens trop allemands, trop novateurs ou trop sérieux.

 

C’est à Vienne que Brahms est enterré, pas loin de Beethoven et Schubert, juste à côté de Johann Strauss avec lequel il aimait jouer des valses à quatre mains.

 

Brahms avait le chic pour se faire des ennemis. Un peu par goût de la provocation, surtout par devoir moral de franchise. Si la flatterie lui était foncièrement étrangère, la vanité ne lui était pas plus naturelle.

 

« Il n’y a que deux sortes d’hommes : les responsables et les irresponsables, écrit Furtwängler. Les premiers ont la passion en eux et la mettent au service d’une forme. Les seconds recherchent la passion comme une exaltation ». Brahms est le parangon de l’artiste responsable.

 

L’évolution du goût d’un peuple conserve toujours une part de mystère, mais l’on comprend bien que la vivacité schumannienne est plus proche de l’esprit français que le développement brahmsien.

 

Les Français n’ont jamais aimé Berlioz ni Debussy, pas plus que Brahms. Ils raffolent d’Offenbach. Un Teuton à la mode franchouillarde ; du sérieux sans qu’on s’embête…

 

Sitôt qu’ils sont devenus coiffés de Wagner, les Français n’ont eu aucune envie d’aimer deux Allemands à la fois. Le « sublime » wagnérien ne faisait qu’accuser en comparaison le provincialisme « vieille fille »de Brahms.

 

Nous pouvons continuer à entendre battre le grand cœur de Brahms dans ses œuvres. Comme l’homme est pudique, il cache ses élans et sa tendresse derrière des formes et des structures, mais le sentiment est partout.

 

Brahms a su se montrer généreux (Dvorak ou Grieg), enthousiaste (Bizet), respectueux (Wagner), poliment distant (Liszt), indifférent (Tchaïkovski), partagé puis bienveillant (Mahler)

 

Lu en janvier 2020

 

Pour les « Danses hongroises »: mes préférées sont la 5e que je connais presque par cœur et la 6e me plaît bien aussi:

 

 

ou quelques brefs extraits de chacune d’elles:

 

La symphonie N°1:

 

Le Concerto N°2 pour piano:

 

Pour les lieder, l’interprète le plus prestigieux: Dietrich Fischer-Dieskau

8 réflexions sur “L’automne avec Brahms » de Olivier Bellamy

    1. ce livre est passionnant et j’ai appris beaucoup de choses sur Brahms, ses contemporains, comment sont nées ses œuvres…
      En plus l’auteur n’étale pas « sa science » c’est un vrai partage.
      Je connais peu Schubert mais j’ai bien envie de lire « un hiver avec Schubert » 🙂

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      1. je connais certains assez bien mais j’ai des problèmes avec certains, notamment ceux du XXe siècle…
        par contre si on me parle des »baroques » je cours… Rameau, Marin Marais,par exemple.
        Situ as l’occasion: écouter Alfred Deller (haute contre alias castrat d’autrefois) chanter King Arthur de Purcell un choc que je dois à Télérama il y a très très longtemps

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  1. Je suis une amoureuse de Schumann et, du coup, au début je n’aimais pas trop Brahms pour « la pagaille de sentiments » qu’il avait mis dans le couple Schumann. Mais, un ami me l’a fait découvrir et maintenant j’adore ! J’ai l’intention de lire ce livre, de même que celui consacré à Schubert (dont je suis aussi une fan).

    Aimé par 1 personne

    1. je ne connaissais bien que les « Danses hongroises » et avec ce livre, j’ai envie de tout découvrir, car l’auteur présente la genèse de l’œuvre, comment il a composé,et abordé les différents styles. C’est un homme très intéressant en plus sur le plan psychologique, ses relations avec les autres!
      je connais peu Schubert mais je vais me lancer je pense qu’il va y avoir plein de découvertes aussi.
      Je vais le relire chapitre par chapitre en écoutant les œuvres évoquées.je suis sûre que j’apprécierai encore plus 🙂

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