« L’Américaine » de Catherine Bardon

Place aujourd’hui à la suite de l’épopée de la famille Rosenheck avec:

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

Septembre 1961. Depuis le pont du bateau sur lequel elle a embarqué, Ruth tourne le dos à son île natale, la République dominicaine. En ligne de mire : New York, l’université, un stage au Times. Une nouvelle vile… Elle n’en doute pas, bientôt elle sera journaliste comme l’était son père, Wilhelm. Ruth devient très vite une véritable New-Yorkaise et vit au rythme du rock, de l’amitié et des amours. Des bouleversements du temps aussi : l’assassinat de Kennedy, la marche pour les droits civiques, les frémissements de la contre-culture, l’opposition de la jeunesse à la guerre du Viêt Nam…

Mais Ruth, qui a laissé derrière elle les siens dans un pays gangrené par la dictature où la guerre civile fait rage, s’interroge et se cherche. Qui est-elle vraiment ? Dominicaine, née de parents juifs autrichiens ? Américaine d’adoption ? Où va-t-elle construire sa vie, elle dont les parents ont dû tout fuir et réinventer leur existence ? Trouvera-t-elle la réponse en Israël où vit Svenja, sa marraine ? Entrelaçant petite et grande histoire, explorant la question de l’exil et de la quête des racines,

Catherine Bardon nous livre une radiographie des États-Unis des années 1960, en poursuivant la formidable fresque romanesque inaugurée avec Les Déracinés.

 

Ce que j’en pense

 

Nous retrouvons dans ce roman, les héros qui ont fait la joie des lecteurs qui ont aimé « Les déracinés ». Le récit alterne toujours les faits et le journal des ressentis, émotions du héros principal, qui est Ruth, la fille de Wilhelm et Almah Rosenheck.

Un drame est survenu à la ferme, Wilhelm est décédé à la suite d’un accident de la route, idiot comme souvent : sa voiture a percuté une vache, dans la nuit, à peine quelques secondes d’inattention et c’est le grand voyage…

Ce drame traumatise tout le monde, on s’en doute, mais Ruth, « le premier bébé » de la colonie, dont le visage a été photographié, a même été utilisé pour des timbres-poste éprouve le besoin de quitter sa famille pour aller faire des études de journalisme à New-York.  Nous sommes en 1961.

Elle part en bateau, refaisant à l’envers le voyage que ses parents ont fait des années plus tôt, comme un pèlerinage. Elle fait la connaissance d’Arturo sur le steamer, un jeune Dominicain qui part faire des études aussi.

Ruth découvre ainsi la sinistre Ellis Island qui depuis ne retient plus personne en quarantaine, et comprend ce que ses parents ont dû ressentir quand les US ont refusé de les accueillir.

Elle vient vivre chez sa tante Myriam, qui tient une école de danse, et dont le mari Aaron a bien réussi dans son métier d’architecte, et une relation forte se noue avec leur fils Nathan, épris de danse lui-aussi. Leur réussite est teintée de tristesse, car Myriam pense à son frère Wil et à Almah qui n’ont pas peu réaliser leur rêve.

« Je voulais vivre ma vie comme je l’entendais sans m’encombrer des bagages pesants de l’histoire familiale. J’allais écrire une page de la vie des Rosenheck en Amérique. Ma propre page. »

Ce roman évoque surtout le statut difficile des enfants de la deuxième génération : ses parents sont des êtres tellement exceptionnels pour Ruth, qu’elle se sent nulle, ne pouvant jamais leur arriver à la cheville. Comment faire son chemin quand les parents ont tant souffert, ont dû supporter tellement de désillusions, travailler la terre, construire leur colonie ?

« Qui étais-je, moi Ruth Rosenheck, née en république Dominicaine de parents juifs autrichiens, parachutée à New-York ? Juive, Autrichienne, Dominicaine, américaine ? Avais-je fait le bon choix ? Je me sentais perdue… »

Un autre élément entre en ligne de compte : ils n’ont jamais parler de leurs propres parents, de l’antisémitisme, de la Shoah pour préserver leurs enfants, car c’était trop lourd à porter, alors ils les ont élevés dans la liberté, l’insouciance : Ils étaient « les petits princes de la colonie » dit Ruth.

Alors dans ce cas, comment savoir qui l’on est et d’où l’on vient ? Comment se construire ? Ruth a choisi le journalisme comme son père, après avoir abandonné ses études d’infirmière, (dans la famille d’Almah, ils étaient médecins depuis des générations) et le virus était entré en elle lorsqu’elle avait couvert le procès d’Eichmann…

A l’université, elle se rend compte qu’il y a des clans, l’élite et les autres dont elle fait partie, ce qui ne facilite pas l’intégration… les US n’ont guère fait de progrès depuis l’arrivée de ses parents, la fermeture d’Ellis Island n’est qu’un symbole et encore…

Ruth a idéalisé aussi le couple formé par ses parents, en mettant la barre aussi haut, comment s’engager dans une histoire d’amour, construire un couple ou une famille ?

Elle se cherche, s’égare dans des amours sans lendemains, comme si elle voulait se perdre elle-même, seul Arturo son ami est fidèle au poste. Avec lui, elle va assister, à l’assassinat de JFK, le racisme, Johnson et la guerre au Vietnam, et la marche des droits civiques avec Martin Luther King, le plus jeune prix Nobel, ne l’oublions pas… en passant par les jeunes hippies, la drogue, l’amour libre, (où elle retrouvera Lizzie qui faisait partie de la bande des quatre copains autrefois.

Même si le récit qui s’étend jusqu’à 1966, allume un projecteur sur Ruth, on ne perd pas de vue les autres personnages, Almah, Marcus, Svenja, Frizzie entre autres, ni l’évolution de la situation politique et sociale de la République Dominicaine, ou la construction d’Israël.

J’ai aimé la manière d’aborder la recherche de l’histoire familiale pour savoir ce que l’on veut transmettre, le besoin de se connecter avec les grands-mères qu’elle n’a pas connues, pour continuer le chemin tout en partant à la quête de son identité. Mettre de la distance, géographiquement parlant, ne rend pas forcément plus autonome. Cette jeune femme est intéressante, même si l’on parfois envie de la « secouer un peu » pour qu’elle avance…

Catherine Bardon, nous fait parcourir les US par le biais de tous les évènements importants qui se sont déroulés sur cette période, et pointe le traitement des Noirs, le rejet dont ils sont victimes. Elle n’est pas tendre dans sa description et tout ce qu’elle évoque résonne tristement avec la période actuelle. En choisissant de faire participer Ruth et Arturo à la marche pour les droits civiques pour écouter le discours de Martin Luther King : « I have a dream », elle donne au lecteur la possibilité de « revivre » cette manifestation pacifique.

J’ai bien aimé ce roman, même s’il manque quelque chose de la magie du premier tome « Les déracinés », cela reste une belle histoire, qui étrille « l’Amérique » et sa société qui ne brille pas par sa tolérance, et se comporte comme le gendarme du monde, n’hésitant pas à envoyer des soldats pour maintenir à tout prix une dictature en République dominicaine par exemple…

Ce roman est dense, il ne s’étend que sur six années et pourtant il se passe tant de choses ! j’espère que l’auteure nous proposera une suite car il est difficile de se détacher des personnages…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Les Escales qui m’ont permis de découvrir ce roman et d’apprécier une nouvelle fois son auteure.

♥ ♥  ♥ ♥ ♥

#Laméricaine #NetGalleyFrance

 

Extraits

 

Une fois de plus, il m’a été difficile de choisir les extraits que je propose…

A l’aube d’écrire page de ma vie, j’avais besoin de ce lent arrachement à ma terre natale, et surtout, je m’étais mis en tête de refaire à l’envers le voyage qui avait amené Wilhelm et Almah Rosenheck, mes parents, sur cette île, plus de vingt ans auparavant. Ils comptaient au nombre de cette poignée d’« immigrants involontaires », comme on avait cyniquement baptisé à l’époque ces laissés pour compte, qui avaient échoué là à cause des cahots de l’Histoire, faute d’Amérique ou d’une meilleure terre d’asile.

 

Elle (Almah) se consola en se disant que la vie allait ainsi, une succession de petites déchirures qui ne rendaient que plus étincelantes les retrouvailles.

 

Je passais des heures, alanguie dans une chaise longue, à regarder la mer en faisant défiler les séquences les plus réussies du film de mes jeunes années. C’était une manière de faire mes adieux à mon enfance à laquelle je tournais définitivement le dos, en fermant les yeux, je voyais une longue plage blonde où le bonheur n’en finissait pas de couler…

 

Un véritable voyage à l’envers. Le steamer dépassa lentement Ellis Island. Le purgatoire où mes parents avaient perdu leurs dernières illusions, l’impasse d’où ils s’étaient embarqués pour ce qui devait être leur seconde vie avait triste mine…

 

Elle imaginait ses parents, orphelins de leur pays, patientant dans cet îlot sinistre, dans l’impossibilité de rejoindre ce qu’ils considéraient alors comme le rêve d’une terre promise qui les narguait depuis la rive du fleuve, puis se désespérant devant le spectacle des gratte-ciels de New-York qui leur étaient interdits.

 

Wilhelm était parti, la laissant veuve. Un mot vide de sens qui ne disait rien de son désarroi, du vide incommensurable, du manque chevillé à son esprit, tatoué à la moindre parcelle de sa peau. Wilhelm disparu, un trou dans son âme s’était creusé, qu’elle ne pourrait jamais combler.

 

Il y avait deux camps, celui des étudiants légitimes, issus des collèges new-yorkais huppés et celui des pièces rapportées, les étudiants venus d’autres états ou pire encore de pays étrangers, comme Deborah et moi…

…  On appartenait à l’un ou à l’autre camp, mais il était inenvisageable d’en changer, et il devenait clair que ce ne seraient ni mes efforts de sociabilité ni mes résultats académiques qui me permettraient d’intégrer la caste des Wasp « White anglo-saxon protestant ». J’étais condamnée à rester à la lisière de l’élite de la faculté.

 

Avec Cuba, il y avait bien assez de communistes aux portes de la Floride. Il ne fallait pas renouveler les erreurs du passé, ils devaient garder le contrôle et continuer de tirer les ficelles dans l’ombre pour rester les maîtres du jeu.

 

Elle mit le doigt sur une vérité : mieux valait vivre intensément, ne fût-ce qu’un instant, que de ne vivre qu’à demi sans rien risquer…

 

Les Dominicains, comme tous les Hispaniques, étaient victimes du racisme ordinaire. Ruth et Arturo étaient à peu près épargnés grâce à la couleur de leur peau, mais ils étaient tout à fait conscients de l’ostracisme qui frappait la plupart de leurs concitoyens de couleur.

 

Dans le bus qui les ramenait à New-York, Bernie exultait. Aucun dérapage, aucune violence. La marche avait été exemplaire. Un véritable succès. Un triomphe même. Plus que cela, elle marquerait l’histoire des Etats-Unis …

 

Il me semble que depuis ma naissance, on me fait endosser un rôle trop grand pour moi. Je sais que Maman, Frizzie, ma tante, Svenja, et toi, sans parler de mon père, avez placé de grands espoirs en moi.

Eh bien, vous vous êtes tous illusionnés sur mes capacités et vous attendez trop de moi. Je sens, je sais, que je ne serai jamais à la hauteur de vos espérances, ni même de mes propres rêves…

… Je ne serai pas non plus la plume que papa n’a pas pu être à cause de la guerre. Je n’aurai jamais le millième de son érudition, même si je lisais jusqu’à la fin de mes jours. Je ne réussirai pas non plus à être une femme aussi exceptionnelle que ma mère, je ne lui arrive pas à la cheville. Voilà, je suis une ratée.

 

Tu vois, je ne suis pas capable de grand-chose. J’ai l’impression de faire de l’amateurisme partout où je passe, de rester à la surface des choses et de passer entre les gouttes sans jamais m’investir.

 

Avaient-ils fait une erreur en l’élevant à l’abri des soucis, en la laissant grandir dans un paradis artificiel ? Était-il possible que leur détermination à faire de ces enfants, héritiers d’un lourd passé, des petits princes, les ait finalement fragilisés ? La charge symbolique de sa naissance, de sa vie même, était-elle trop lourde pour Ruth ? Ou n’étaient-ce que les atermoiements d’une jeune fille qui avait du mal à négocier le tournant de sa vie adulte ?

 

Lu en juillet 2019

18 réflexions sur “« L’Américaine » de Catherine Bardon

    1. je l’ai vraiment beaucoup aimé un petit peu moins que « Les déracinés » mais je crois que ça tient plus au fait que je suis passionnée par la période montée du nazisme, Anschluss, et Zweig entre autres.
      Les années 60 sont intéressantes quand même 🙂

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