« Le mandarin » de José-Maria Eça de Queiroz

Je vous parle aujourd’hui d’un petit roman (ou une longue nouvelle) comme il vous plaira de choisir… Il s’agit de :

 

Le Mandarin de José-Maria Eça de Queiros

Quatrième de couverture   

 

« Tuer pour du fric ? Ça jamais ! mais si la victime se trouve au bout du monde, au fin fond de la Chine, par exemple, et qu’il s’agit d’un mandarin décrépit et goutteux… Si l’on vous assure, outre l’impunité, un héritage qui vous permettra, devenu millionnaire, de jouir chaque jour d’un romanée-conti et d’un Chambertin ; et si, en plus, vous n’avez pour tuer le mandarin, qu’à accomplir un geste anodin, gracieux même, par exemple, appuyer sur une sonnette, là… sans doute personne n’hésiterait à faire tin-tin…

« La touche d’Eça de Queiroz est comme un zeste d’angustura qu’on ajoute à un bloody-mary : ça change le goût du tout. »    Severo Sarduy in  le Nouvel Observateur

 

Ce que j’en pense   

 

Quand j’ai vu ce livre proposé par Masse critique de Babelio, c’était évident qu’il était pour moi. Je lorgne sur cet auteur portugais du XIXe siècle, depuis plusieurs années ; je voulais commencer par « Le crime du Padre Amaro » mais je ne le trouvais pas… J’étais pratiquement sûre d’être sélectionnée pour le recevoir car il était noyé dans une grande liste de romans attirant l’œil… Et Bingo !

José-Maria Eça de Queiroz (ou Queiros ) nous propose un conte philosophique, qui tutoie le fantastique Teodoro, ce petit homme ordinaire qui signe un pacte avec le diable : il suffit de tirer sur une sonnette et à l’autre bout du monde un mandarin chinois meurt, et il hérite de ses biens. Bien sûr, il provoque la mort mais, c’est si loin que cela a moins d’importance, après tout, il ne le connaissait pas, ce vieil homme, juste son nom : Ti Chin-Fu.

Teodoro profite de ses nouvelles richesses, quitte la pension de famille (qui rappelle la pension Vauquier dans « Le père Goriot ») pour emménager dans un hôtel particulier où tout le monde vient se prosterner à ses pieds pour entrer dans ses bonnes grâces : du Clergé en passant par les politiques, les pauvre, toutes les classes de la société. « Pendant ce temps-là, tout Lisbonne se traînait à mes pieds… » peut-on lire P 40

Mais, la conscience de Teodoro n’est pas tranquille et le regret, voire le remords s’insinue peu à peu, lui faisant perdre le goût à sa nouvelle vie : « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Et il commence à voir le mandarin mort partout :

« Allongé à travers de la couche, sur le dessus-de-lit, gisait la silhouette ventripotente d’un mandarin foudroyé, vêtu de soie jaune, avec une grande natte qui pendait, et, dans ses bras, il tenait un cerf-volant de papier qui semblait mort lui-aussi » P 35

Qu’importe, il va aller visiter Paris pour se changer les idées, jetant un clin d’œil à « L’Assommoir » et Zola au passage ;

« Puis je voulus descendre encore plus bas, m’encanailler, m’abandonner aux turpitudes alcooliques de « L’Assommoir » ; combien de fois, revêtu d’une blouse, la casquette sur la nuque, donnant le bras à Mes Bottes ou à Bibi-la-Gaillarde, n’allai-je pas, dans un charivari d’ivrogne, tituber sue les boulevards extérieurs en rotant et en hurlant : « allons enfants de la patrie-e-e… » P49

Mais cela ne suffit pas, il a besoin de réparer et s’embarque pour la Chine tenter de retrouver la famille du Mandarin…

J’ai adoré ce petit roman, d’une centaine de pages, d’une écriture remarquable; je rends hommage au passage à l’excellent travail de traduction de Michelle Guidicelli.

José-Maria Eça de Queiroz connaissait Paris, les autres capitales d’Europe car il était diplomate, mais il n’a jamais mis les pieds en Chine, alors il a lu beaucoup d’ouvrages, sur la culture, la géographie et tracé un vrai itinéraire de son périple en Chine, seule la ville de Tien-Ho a été inventée de toutes pièces.

Il nous livre, à travers son héros, Teodoro, profondément athée malgré son nom, (Encore une facétie !), ses réflexions sur Dieu, l’Église, la politique, l’argent qui rend tout puissant et les relations des hommes entre eux.

Il était proche du mouvement naturaliste au départ et peu à peu, il l’a trouvé trop rigide, (trop « trash » dirait-on de nos jours) et il s’est orienté vers plus de fantaisie, de fantastique, pour le plus grand bonheur du lecteur. On retrouve des allusions fréquentes à Zola, Rousseau ; on pense aux « Tribulation d’un Chinois en Chine » mais aussi à « La peau de chagrin », ce roman de Balzac que j’adore, et bien sûr, comment ne pas penser aussi à « crime et châtiment » ….

J’aime énormément le style de José-Maria Eça de Queiroz, ce roman est un véritable coup de cœur, et un coup de foudre pour l’auteur.

Il semblerait que j’ai bien fait d’attendre car « Le crime du Padre Amoro » semble ressembler beaucoup à « La faute de l’abbé Mouret » écrit dans sa période naturaliste… je vais donc privilégier les romans qui ont suivi : « Les Maïas » « Le cousin Bazilio ».

Je remercie vivement les éditions Chandeigne qui m’ont offert ce roman et envoyé leur catalogue, (ainsi que des marque-pages) qui propose des livres portugais, en version bilingue (j’ai repéré ainsi deux livres de Fernando Pessoa…) mais aussi des livres de langue portugaise : Brésil, Cap Vert, Mozambique….

J’aime beaucoup la postface de Michelle Guidicelli car elle propose une analyse très pointue du texte, je me suis contentée de dire mon ressenti…

J’espère vous avoir vraiment donné envie de lire ce roman-nouvelle, car il est magistral. J’ai fait durer le plaisir au maximum, tant l’écriture est belle et je n’exagère pas (malgré cette envolée lyrique) car José Luis Borges considérait José-Maria Eça de Queiroz comme « un des plus grands écrivains de tous les temps ».

Vous l’aurez compris : un livre à découvrir absolument….

 

L’auteur   

 

Né le 25 novembre 1845, Maria de Eça de Queirós ou Queiroz est le romancier portugais du XIXe siècle.

Après des études de droit, il entre dans la diplomatie et sera consul à Bristol après l’avoir été à La Havane et à Newcastle.

On le présente souvent comme le Balzac ou le Flaubert portugais. Son rêve était d’écrire « Scènes de la vie portugaise »…

Lorsqu’il écrit le Mandarin », entre 1879 et 1880, il est On lui doit, entre autres, « Le crime du Padre Amaro » « Le cousin Bazilio », « Les Maia » ou encore « La relique »

Il meurt à Neuilly le 16 août 1900.

 

Extraits

 

Bossu, malheureusement, à force d’avoir courbé l’échine à l’université en reculant comme un moineau effrayé devant ces messieurs les professeurs et de m’être incliné jusqu’à terre devant mes supérieurs. C’est d’ailleurs une attitude qui sied aux bacheliers en droit : elle maintient la discipline devant un état bien organisé, et en ce qui me concerne, elle m’assurait des dimanches tranquilles. P 14

 

Il se peut bien que cet homme, inutile en tant que mandarin de l’Empire du Milieu, devienne utile sous d’autres cieux, métamorphosé en rose parfumée ou en chou délectable. Tuer, mon fils, revient presque toujours à équilibrer les besoins universels. P 22

 

Alors, volupté du luxe, plaisir de l’amour, orgueil du pouvoir, je jouis de tout cela par la pensée, en un instant et d’un seul trait. Mais aussitôt mon esprit fut peu à peu envahi par une grande lassitude et, voyant le monde à mes pieds, je baillai comme un lion rassasié. P 31

 

L’horreur suprême résidait dans cette pensée à jamais ancrée dans mon esprit, comme un poignard que l’on ne peut arracher : j’avais assassiné un vieillard…

… Que veux-tu donc ? Ton grand nom de conscience ne me fait pas peur ! tu n’es qu’une perversion de ma sensibilité nerveuse. Je peux t’éliminer avec de la fleur d’oranger ! P 41

 

Enfin, reconnaissant que ma conscience était en moi comme un serpent irrité, je décidai d’implorer l’aide de Celui dont on dit qu’Il est supérieur à la conscience parce qu’Il dispose de la grâce. P 45

 

Nous conversâmes longtemps sur l’Europe, le nihilisme, Zola, Léon XIII et la maigreur de Sarah Bernhard… P 54

 

Et, çà et là, nous apercevions des bouddhistes décrépits, desséchés comme des parchemins et noueux comme des racines, assis en tailleur sous les sycomores, immobiles comme des idoles, perpétuellement occupés à se contempler le nombril dans l’attente de la perfection du nirvana… P 75  

challenge portugal

 

Lu en septembre 2018

10 réflexions sur “« Le mandarin » de José-Maria Eça de Queiroz

    1. c’est la 2e fois que je choisis de cette manière et là j’ai été comblée …
      une belle histoire et une écriture d’une poésie (en lisant à haute voix il y a parfois des rimes.
      Je viens de m’acheter « Le cousin Bazilio » pour rester dans l’ambiance. Je vais essayer de lire tous ses livres (en fonction de ce que je pourrai trouver)

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  1. Tu me donnes envie de me plonger dans cette longue nouvelle. Une belle façon de me faire connaître cet auteur que je ne connais que de nom. Cela fait longtemps en plus que je n’ai pas lu d’auteurs portugais. Je le note car je suis sûre que je le trouverai à la médiathèque en ville. Merci pour ton ressenti

    Aimé par 1 personne

    1. Je ne le connaissais que de nom, je l’ai déniché en composant ma liste sur Babelio: « Bienvenue en Lusitanie » je ne savais pas qu’il était un pilier du XIXe portugais… Encore des lires à découvrir.
      et j’ai adoré cette lecture Je l’ai fait durer pour le déguster au maximum.
      Je viens de craquer avec « Le cousin Bazilio » que j’ai trouvé à la FNAC même éditeur mais traductrice différente. 🙂

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    1. L’histoire est intéressante et son style, son humour, me plaisent beaucoup… je l’ai déniché en constituant ma liste d’autres portugais ‘ »En route vers la Lusitanie » sur babelio…
      j’ai aussi Saramago en projet…

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