« Tous ces gens, Mariana » de Maria Judite de Carvalho

 

J’ai acheté ce petit livre, il y a quelques années, pour connaître davantage la littérature portugaise, ce pays où est né mon mari, et il est resté pendant quelques années, sur une étagère, en bonne compagnie, entre Fernando Pessoa et José Saramago… J’ai même constitué une liste sur Babelio: « En route vers la Lusitanie ». Mais, je n’étais pas encore prête…

 

tous ces gens Mariana... de Maria Judite de Carvalho

 

QUATRIÈME DE COUVERTURE

 

Lisbonne, fin des années 50.
Une femme, seule, attend la mort.
«Pour la première fois, quelqu’un vient me chercher, quelqu’un se penche vers moi. Pourquoi ne serais-je pas heureuse, moi, l’élue ?» Et cependant, non : « Je voudrais vivre. Comme je sais. Comme je peux. »

Avec Tous ces gens, Mariana…, son premier récit publié au Portugal en 1959, Maria Judite de Carvalho atteint les sommets d’un art fait de désespoir et de lucidité.

 

CE QUE J’EN PENSE

L’auteure nous raconte l’histoire de Mariana, une femme confrontée à la mort qui fait repasser toute sa vie, en faisant un bilan de cette existence… Elle a toujours eu envie de mourir, et lorsqu’un médecin lui dit qu’elle est très malade, paradoxalement l’espoir montre le bout de son nez.

Mariana a perdu sa mère, alors qu’elle était enfant et son père ne s’est jamais vraiment consolé, laissant traîner dans la maison une mélancolie profonde. Leurs chagrins sont parallèles, ils pleurent seuls, ne partagent pas la douleur de cette mort tragique. Une seule fois, son père tentera de la consoler, et on ne peut pas dire que ce fût efficace :

« Nous sommes tous seuls, Mariana. Seuls avec une foule de gens autour de nous. Tous ces gens, Mariana ! et personne ne fera rien pour nous. Personne ne peut rien faire. Et si on le pouvait, personne ne voudrait. C’est sans espoir. » P 16

Elle va repenser à Antonio, l’homme qu’elle a épousé, pratiquement en cachette, car elle n’était pas assez bien pour la famille, à Paris, où ils ont vécu un peu tous les deux et où il a rencontré une artiste, Estrela qui va le lui enlever. Mariana les voit tomber amoureux, mais ne fait rien pour empêcher les choses, tant pour elle c’était inéluctable…

Elle subit sa vie, ne se révolte jamais, rencontre des gens, accepte qu’ils la délaissent, ou la traitent mal. Elle est fataliste, en amour comme en amitié.

Je retiens au passage la manière dont Mariana parle des cartes postales que lui envoie son ami Luiz Gonzaga, un homme que sa famille destinait au séminaire et qui est en proie au doute en ce qui concerne sa vocation:

« Comme lorsque arrivent ses cartes postales. Elles ne disent rien de particulier, mais c’est son écriture, et il est doux de me dire que quelqu’un a pensé à moi, ne serait-ce que deux minutes. » P 56

J’ai eu un vrai coup de cœur pour ce récit (court roman de quatre-vingt treize pages ou longue nouvelle comme on veut), tant l’histoire est belle, empreinte de tristesse voire de mélancolie. L’écriture est rapide, jouant avec les espaces, la ponctuation, et d’une précision presque chirurgicale. Lire ce texte à haute voix procure beaucoup de plaisir.

Une très belle réflexion sur la vie et ce qu’on en fait, sur ce qui nous échappe, sur la résignation, et surtout la mort dans ce qu’elle a de fascinant, quand on la côtoie de près depuis longtemps, quitte parfois à jouer avec elle.

Une auteure, trop peu connue hélas, que j’ai beaucoup appréciée et dont je vais continuer à explorer l’œuvre.

♥ ♥ ♥ ♥ ♥

 

 

L’AUTEUR

Maria Judite de Carvalho (1921-1998) est l’auteur d’une dizaine de livres. Malgré leur succès, elle reste peut-être l’écrivain portugais le plus secret.

Parmi ses livres, on trouve des récits : « Tous ces gens, Mariana… », « Les mots qu’on retient » ou encore « Paysages sans bateaux », des romans : « Les armoires vides », « Le temps de grâce » ou encore des nouvelles : « Anica au temps jadis », « Chérie ? »

 

EXTRAITS

 

Penser à l’espoir, c’est idiot ! c’est même comique. L’espoir… Il y a vraiment des gens… Et l’espoir se cache, comme le sable, dans les plis et les ourlets de l’âme. Il se passe des années, des vies, puis vient le dernier jour, et la dernière heure, et alors il surgit, fait paraître inattendu ce à quoi l’on s’attendait, rend plus amer ce qui l’était déjà. Tout est plus difficile à cause de lui.   P 11  

 

Tout est exact, ce que le médecin a dit et ce qui est écrit. Et l’espoir qui ne veut pas céder, qui s’accroche à la moindre brindille, si fragile, si inconsistante qu’elle soit. P 15  

 

Ma vie est comme un tronc, dont toutes les feuilles et toutes le branches, l’une après l’autre, se sont desséchées. Et maintenant, il va s’abattre, faute de sève. P 17 

 

Le pire, ce sont les nuits. Longues. Sans fin. Peuplées de fantômes. Les uns anciens, bien que récents, des corps légers qui n’ont pas commencé à se décomposer, qui n’en sont pas là, malgré le temps qui passe. P 26 

 

Je sais que je vais mourir, et cette certitude me suffit, c’est comme un calmant. Tout s’efface devant elle. Mais parfois aussi, tout ressurgit, cela dépend de la couleur des jours. Les gris sont mous, tristes, pétris de larmes. Les noirs, je les passe à faire défiler devant moi toute mon existence ratée. P 49  

 

Je parlais haut, quand les usages les plus élémentaires exigeaient de parler tout bas, je me taisais quand j’aurais absolument dû dire quelque chose, je n’ai jamais su « être ». J’ai toujours tout confondu, tout mélangé, au point de ne pas me retrouver. P 51 

 

Que pèse l’amitié quand la réputation est en jeu ? P 57 

 

C’est bizarre, mais les années passent et nous nous souvenons de détails anciens avec une netteté presque photographique, nous entendons une phrase dite par la voix même qui l’a prononcée, mais ce que nous avons éprouvé à un moment donné est resté en arrière, dans le passé, est mort en même temps que l’instant. P 58

 

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LU EN MAI 2018

18 réflexions sur “« Tous ces gens, Mariana » de Maria Judite de Carvalho

    1. il est excellent et paradoxalement ne provoque pas le blues chez le lecteur vraiment une belle découverte pour moi. Je profiterai de la prochaine opération de la FNAC : 2 livres de poches, acheté le 3e gratuit pour me procurer 2 autres de ses livres 🙂

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  1. Je le note car ta chronique me touche beaucoup et je ne connais pas du tout cet auteur…Il est des livres qui ainsi trônent sur nos étagères mais vers lesquels nous ne tendons la main que longtemps après. Il t’attendait et la rencontre a eu lieu. Merci pour ta belle chronique

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    1. et je crois qu’en plus je m’étais trompée en l’achetant (je cherchais un autre auteur!!) donc le hasard a bien fait les choses.
      Son héroïne m’a beaucoup touchée, un peu comme si l’auteure parlait de moi… j’espère que les extraits reflètent bien l’atmosphère 🙂

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  2. Ping : Objectif pal de mai ~ le bilan – Les lectures d'Antigone

    1. je l’ai découverte par hasard au départ, ce livre m’a tentée d’emblée et je l’ai énormément aimé, j’ai l’intention de continuer à explorer son œuvre.
      son écriture me plaît beaucoup.
      En fait je connais très peu de romancières portugaises,et cela attise forcément ma curiosité 🙂

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