« Laisse tomber les filles » de Gérard de Cortanze

Je vous parle aujourd’hui d’un livre reçu dans le cadre d’une opération « masse critique spéciale» et je remercie vivement Babelio et les éditions Albin Michel qui m’ont permis de le découvrir:

 Laisse tomber les filles de Gérard de Cortanze

 

Quatrième de couverture

Le 22 juin 1963 à Paris, quatre adolescents assistent, place de la Nation, au concert donné à l’occasion du premier anniversaire de Salut les Copains.

Trois garçons : François, rocker au cœur tendre, tenté par les substances hallucinogènes ; Antoine, fils d’ouvrier au cœur tendre qui ne jure que par Jean Ferrat ; Lorenzo, l’intellectuel, fou de cinéma et champion de 800 mètres.

Une fille, Michèle, dont tous trois sont amoureux, fée clochette merveilleuse, pourvoyeuse de rêve et féministe en herbe.

Commencé au cœur des Trente Glorieuses et se clôturant sur la « marche républicaine » du 11 janvier 2015, ce livre pétri d’humanité, virevoltant, joyeux, raconte au son des guitares et sur des pas de twist, l’histoire de ces baby-boomers devenus soixante-huitards, fougueux, idéalistes, refusant de se résigner au monde tel qu’il est et convaincus qu’ils pouvaient le rendre meilleur.

Ce que j’en pense

Dans ce roman, l’auteur nous propose de suivre le parcours de quatre jeunes gens : Antoine, François, Lorenzo et Michèle durant une période s’étalant de 1963 à 2015.

On va retrouver les années Yéyés et leur insouciance, avec tous les standards musicaux de l’époque, l’assassinat de JFK, la montée en puissance d’un nouveau média : la télévision, puis Mai 68, les grèves, les manifs, le conflit des générations, le bac et ensuite, chacun sa route. Les copains « qu’on n’oubliera jamais » s’éloigne, avec des vies différentes, des non-dits, même des secrets.

« Sa génération est celle de l’émergence quais-mécanique d’une nouvelle classe d’âge qui est aussi un nouveau groupe social : les adolescents – filles et fils de la prospérité. Le mot existe depuis plusieurs siècles, « adolescent », mais n’a jamais été utilisé dans ce sens. » P 14

Gérard de Cortanze a choisi de s’étendre sur les années 60 (année par année, voire mois par mois au début), sur 290 pages, puis se livre à des sauts dans l’espace marqués par quelques évènements : les années Mitterrand, la Perestroïka de Gorbatchev, la chute du mur de Berlin… le seul lien étant les brèves rencontres entre les protagonistes.

Chacun a suivi une trajectoire, ou une fuite en avant qui lui est personnelle : François dans la drogue, Lorenzo, mon personnage préféré, qui écrit des pages et des pages, rêvant sa vie plutôt qu’il ne la vit, pour faire « son grand livre » …

Je n’ai pas accroché avec le personnage de Michèle, la petite bourgeoise par excellence, qui couche avec tout le monde, au nom de la liberté et du féminisme, et ne pense qu’à elle.

Je vous livre une petite réflexion personnelle : j’avais deux ans de moins qu’eux et j’ai passé le bac cette année-là mais un fossé me sépare de ces quatre jeunes gens : habitant la Province comme disaient les Parisiens, (ils le disent peut-être encore), on n’a pas vécu les manifs, on voyait cela à la télé, on était obnubilées par cet examen tout à l’oral, dans ma classe, la plupart venait du milieu ouvrier comme moi, donc l’argent ne coulait à flots, pas les mêmes loisirs, et surtout pas du tout la liberté de Michèle…

On ne pouvait pas se payer N°5 de Chanel, on se contentait de la fameuse eau de Cologne, ni des tonnes de quarante-cinq tours, ni des vacances à Saint-Tropez… mais était-elle vraiment plus heureuse que nous ? Sans oublier que le TGV n’existait pas, donc Paris était presque à des années lumières…

Je pense que ce livre sera vécu de manière différente selon l’âge des lecteurs : nostalgie ou non des yéyés, des années Mitterrand, des espoirs déçus, ou rétrospective amusante et gaie, où les tubes joyeux peuvent fasciner pour ceux qui n’ont pas vécu cette époque.

Je suis d’accord avec l’auteur sur le fait qu’on a vraiment cru que le monde allait changer, plus de liberté, d’égalité, de fraternité et surtout qu’on allait pouvoir le changer par nous-mêmes. Je garde aussi le même souvenir du retour sur terre après mai 68 : la vie a repris son cours, avec les études comme objectif et devoir de réussir pour réaliser par procuration les rêves des parents.

Je me pose quand-même une question : est-ce que tous les baby-boomers sont désabusés, plus ou moins dépressifs, nostalgiques ? C’est un peu l’impression que j’ai eue en fermant le livre…

La première partie m’a plu, car il a fait remonter un parfum d’enfance et une certaine nostalgie du temps qui passe mais j’ai trouvé les personnages trop caricaturaux, donc j’ai passé un bon moment, tout en gardant un avis mitigé, ce n’est donc pas un emballement.

 

Extraits

 

Ils arrivent à l’âge de la consommation, tandis que leurs géniteurs accèdent à une aisance jusque là inconnue. Le choc de deux planètes. Rencontre explosive de l’ancien et du nouveau. P 18

 

François et Lorenzo font partie de ceux qui ont vu la tuerie à la télévision, face à ceux qui ne l’ont pas vue. La télévision coupe la France en deux. D’un côté les témoins, de l’autre ceux à qui on a raconté l’évènement. On parle de « télé-tragédie planétaire ». P 68

 

Nous sommes la proie d’un encombrement mortel. Nous avons besoin d’un nombre croissant d’objets pour croire qu’on existe. Consommer. Consommer. Où cela nous mènera-t-il ? P 137

 

La société est en train de changer, de bouger lentement, comme un continent qui dérive. Pour Lorenzo, la musique exprime clairement cette dérive, ce décrochement irréversible.  « Satisfaction » est un appel au plaisir immédiat, au rejet des conventions amoureuses traditionnelles. P 137

 

Ainsi François est-il tenté par la vie menée par ces voyageurs venus des États-Unis qu’on appelle des « Beatniks ». D’aucuns ne voient en eux qu’un synonyme pour chevelus et mode de vie extravagant, voire des voyous associables. P 140

 

Le monde d’Antoine est plus simple. Sans doute n’a-t-il pas le temps de se poser trop de questions. Il n’a pas le temps libre que donne l’argent. Il milite. Il travaille. Et il écoute Barbara. P 141

 

A la vérité, c’est ça qui lui plaît chez Antoine. Cet intérêt pour le monde. Son envie de changer les choses. François est prêt à arpenter la terre, à pied, par amour de l’humanité. Et Antoine, au nom de ce même amour pour les gens, voudrait changer, par l’action, la société. Ses modèles : Che Guevara, le Viêt-Cong, Fidel Castro, les communistes chinois, et d’autres. P 155

 

« Liberté », voilà un mot que Michèle aime particulièrement. L’utilisant à tort et à travers.   Mais, n’est-ce pas le privilège de son âge de pouvoir utiliser les mots à tort et à travers, comme pour structurer ses phrases bancales ? Le temps se chargera bien, un jour ou l’autre, de remettre les mots à l’endroit. P 197

 

Et, pour Lorenzo, ne pas participer à ces manifestations, ne pas être avec ces étudiants et ces lycéens, c’est sortir de cette communauté, se mettre en dehors. Habiter cette communauté, c’est laisser l’Histoire pénétrer dans les cavités de son être, participer à la respiration du corps communautaire. P 225

 

Mai, c’est la crise d’une génération qui n’a pas trouvé une vision du monde qui lui apporte une raison de vivre. P 266

 

La révolution, ce ne sont ni les étudiants, ni les ouvriers, ni les fils de bourgeois, ni les camarades syndiqués qui la font, mais chacun dans sa solitude. Je le sais, cette révolution ne changera rien à la destinée de l’homme, ni à la mienne, ni à la vôtre. Elle n’est qu’un pas de danse, un écart léger, un pas de côté, un frémissement de brise. La fin d’un rêve. P 272

 

Une société peut-elle vraiment se dispenser de savoir ce que sont le bien et le mal ? La dignité de la personne, l’égalité entre l’homme et la femme, le respect d’autrui, le sens du pardon… P 303

Lu en décembre 2017

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