« Nos richesses » de Kaouther Adimi

J’ai un coup de cœur en écoutant Kaouther Adimi parler de son roman lors de son passage à La Grande Librairie, donc je l’ai emprunté illico à la bibliothèque:

 

Nos richesses de Kaouther Adimi 

 

Quatrième de couverture

En 1935, Edmond Charlot a vingt ans et il rentre à Alger avec une seule idée en tête, prendre exemple sur Adrienne Monnier et sa librairie parisienne. Charlot le sait, sa vocation est de choisir, d’accoucher, de promouvoir de jeunes écrivains de la Méditerranée, sans distinction de langue ou de religion. Placée sous l’égide de Giono, sa minuscule librairie est baptisée Les Vraies Richesses. Et pour inaugurer son catalogue, il publie le premier texte d’un inconnu : Albert Camus. Charlot exulte, ignorant encore que vouer sa vie aux livres c’est aussi la sacrifier aux aléas de l’infortune et de l’Histoire.

En 2017, Ryad a le même âge que Charlot à ses débuts. Mais lui n’éprouve qu’indifférence pour la littérature. Étudiant à Paris, il est de passage à Alger avec la charge de repeindre un local poussiéreux, où les livres céderont bientôt la place à des beignets. Pourtant, vider ces lieux se révèle étrangement compliqué par la surveillance du vieil Abdallah, le gardien du temple.

Ce que j’en pense

D’emblée, l’auteure  prend le lecteur par la main, et guide ses pas dans les rues d’Alger, en 2017, face au soleil, passant devant les boutiques, la Casbah, l’imprégnant des couleurs, pour arriver devant ce qui fut la librairie « Les Vraies Richesses ».

Certes, la librairie n’existait plus en tant que telle depuis les années 90, reconvertie en une bibliothèque, gérée par Abdallah, un vieil homme qui veillait jalousement sur les livres. A son grand dam, elle va être vendue et transformée en commerce de beignets, tâche confiée à Ryad, jeune homme qui arrive de France pour un stage de formation qui va consister à faire place nette…

Le décor est planté et l’auteure va nous raconter l’aventure de cette librairie, bibliothèque, maison d’éditions, alternant les récits de Charlot, ses carnets précieux et l’opération de grand nettoyage de Ryad et l’Histoire.

Kaouther Adimi nous donne la liste impressionnante de tout ce dont il doit se débarrasser : des milliers de livres d’auteurs français, étrangers, en arabe, des livres pour enfants, des ouvrages scientifiques, les meubles, les photos… mais aussi les manuscrits, les correspondances précieuses avec les auteurs que Charlot a publiés…

Le simple fait de la lire m’a fait frissonner, (je dirais même crier intérieurement au scandale) car jeter un livre pour moi est un sacrilège ! Alors un tel trésor !

J’ai beaucoup aimé suivre le parcours d’Edmond Charlot (que je ne connaissais pas, je le reconnais) dans la création de sa librairie « Les vraies richesses » avec peu de moyens, beaucoup de travail et d’opiniâtreté, la manière dont il prend soin de ses auteurs comme de ses lecteurs, ou déniche de nouveaux talents, les coups bas, la censure, les difficultés à trouver du papier pendant la guerre, sans oublier sa revue « L’Arche » …

Il veut créer un espace ouvert aux lecteurs et aux écrivains de tous les pays de la Méditerranée, « gens d’ici, de cette terre, de cette mer, sans distinction de langue ou de religion ». Il soigne la présentation, la couverture, introduit le rabat où l’on peut lire le résumé du roman, sans oublier son catalogue recherché.

Certaines réflexions résonnent étrangement tant elles pourraient être énoncées de nos jours, telle celle-ci, écrite le 17 décembre 1938

« Aujourd’hui encore, des clients intéressés uniquement par les derniers prix littéraires. J’ai essayé de leur faire découvrir de nouveaux auteurs, de les inciter à acheter l’Envers et l’Endroit de Camus, mais totale indifférence. Je parle littérature, ils répondent auteurs à succès. » P 79

On rencontre des auteurs qui ne sont pas encore célèbres, Albert Camus fumant une cigarette devant la porte de la librairie, Jules Roy, Vercors, Max-Pol Fouchet, Himoud Brahimi, Kateb Yacine, Emmanuel Roblès, Saint-Exupéry…

« Au fond, face à l’entrée trône un bureau en bois massif. Des photos en noir et blanc sont accrochées un peu partout. Ryad déchiffre les noms sous les portraits d’hommes dont la plupart lui sont inconnus : Albert Camus, Jules Roy, André Gide, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Emmanuel Roblès, Jean Amrouche, Himoud Brahimi, Mohamed Dib… » P 48

Le personnage d’Abdallah est très intéressant aussi ; émouvant lorsqu’il surveille ce qui se passe lors de l’opération nettoyage, debout sous la pluie, revêtu d’un drap blanc, tel un linceul. Il est la mémoire vivante du lieu, et respecte les livres, même s’il ne les lit pas.

Kaouther Adimi raconte de fort belle manière l’histoire de la librairie en la mêlant à l’Histoire : celle du pays avec le centenaire de la colonisation en 1930, la seconde guerre mondiale où les Indigènes sont envoyés au combat comme les autres, et la manière dont ils sont accueillis au retour, les massacres de Setif, la Toussaint rouge, et ce qu’on appellera « les évènements d’Algérie », le mot guerre étant encore escamoté…

J’ai beaucoup aimé ce voyage dans l’Histoire et la Littérature, et la petite histoire dans la grande et l’auteure m’a donné envie d’en avoir davantage, et de découvrir plus en profondeur les auteurs algériens que je connais trop peu.

L’auteure a passé « un an à écumer les fonds d’archives », comme elle dit, pour nous offrir un roman riche et bien écrit, que j’ai eu du mal à lâcher, un de mes préférés de cette rentrée littéraire 2017.

Extraits

 

Vous serez seul, car il faut être seul pour se perdre et tout voir. Il y a des villes, et celle-ci en fait partie, où toute compagnie est un poids. On s’y ballade comme on divague, les mains dans les poches, le cœur serré. P 10

                                                           * * *

Vous serez face à une inscription sur une vitrine : Un homme qui lit en vaut deux. Face à l’Histoire, la grande, celle qui a bouleversé le monde, mais aussi la petite, celle d’un homme, Edmond Charlot, qui en 1936, âgé de vingt et un ans, ouvrit la librairie de prêt Les Vraies Richesses. P 11

                                                           * * *

Nous sommes les habitants de cette ville et notre mémoire est la somme de nos histoires. P 13

                                                           * * *

Reçu hier une lettre de Jean Giono ! Giono, le grand. Je lui avais écrit sans trop d’espoir pour lui demander l’autorisation d’appeler la librairie Les Vraies Richesses en référence à son récit qui m’avait ébloui et où il nous enjoint à revenir aux vraies richesses que sont la terre, le soleil, les ruisseaux et finalement aussi la littérature (qu’est-ce qui peut être plus important que la terre et la littérature ? P 40

                                                           * * *

Le chauffeur de taxi s’en va sans ajouter un mot, il a compris que son client d’un soir ne souhaitait pas parler. Et puis les mots, au milieu de la nuit, nous savons bien ce que ça donne : des vagues de drames qui déferlent et éclatent les unes contre les autres. P 47

                                                           * * *

L’écrivain doit écrire, l’éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limites à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps. P 76

                                                           * * *

Je n’arrive pas à croire qu’on puisse être éditeur si on n’a pas été ou si l’on n’est pas libraire à la fois. Autant vendre des cachous. P 81

                                                           * * *

 

Lu en octobre 2017

10 réflexions sur “« Nos richesses » de Kaouther Adimi

    1. il y a un déséquilibre entre la genèse de la librairie par Charlot et l’époque actuelle, Je n’ai pas mis l’accent la dessus pour ne pas me faire traiter de nostalgique : « C’était mieux avant »
      malgré cela, il m’a beaucoup plu je n’ai pas eu de vrai élan pour un roman de cette rentrée…

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