« Le dernier festin des vaincus » par Estelle Tharreau

Aujourd’hui, je vais rester dans le domaine du roman noir, avec une auteure que j’ai découverte avec les éditions Taurnada que je ne connaissais pas lorsqu’elles ont fait leur entrée au catalogue de NetGalley avec ce roman :

La soirée du réveillon de fin d’année avance, les feux d’artifice ne tarderont pas à faire fuir les caribous apeurés et Naomi, qui a repéré un homme qu’elle connaît hélas trop bien et qui lui fait peur pendant la fête, désire s’en aller mais Michèle, sa mère, déjà trop ivre, la rembarre. Elle part seule dans la nuit vers son destin.

Mais, qui va bien pouvoir s’intéresser à une jeune fille qui a déjà fugué, sa mère préférant s’enivrer pour oublier ? Ce n’est qu’une « Indienne » n’est-ce pas, donc une fille facile… Le chef de la réserve ne veut pas d’ennuis et refile le dossier à la police des Blancs qui va désigner un jeune policier Logan Robertson pour enquêter, sous-entendu, ne surtout pas chercher et classer l’affaire : ne pas faire de vagues.

En plus, une scierie à taille non humaine prévoit de s’implanter dans la région, apportant des emplois mais grignotant encore plus la réserve indienne de Meshkanau et les Innus, mais aussi menaçant les magnifiques chalets de chasse des notables blancs. Pour une fois, les intérêts convergent : il faut empêcher cela.

Le jour où l’on retrouve enfin le corps de Naomi, les secrets, les manigances, le passé vont refaire surface. On fait ainsi la connaissance de Peter Shehaan, l’oncle de Naomi qui a découvert le corps, qui vit seul à la limite de la forêt, traumatisé à vie par ce qu’il a vécu enfant, au pensionnat où on envoyait les enfants pour les évangéliser, tout comme Michèle et Marie.

Deux jeunes étudiants, Nathan et Alice, vont entrer en scène, Nathan est Blanc et son père est une personnalité en vue avec son chalet aux confins de la réserve, alors que les parents d’Alice sont Innus, mais ils ne se rendent pas à Meshkhanau pour les mêmes raisons, ce qu’on ne tardera pas à découvrir.

Ce livre est beaucoup plus qu’un simple thriller, Estelle Tharreau évoque la précarité des Innus, leur territoire qui se réduit de plus en plus, la disparition progressive de leur culture et les conséquences que cela provoque : alcoolisme, drogue, viols. En parallèle, elle nous entraîne sur les désastres et la violence dont ont fait preuve les sœurs et le père au nom de l’évangélisation de ceux qu’ils considéraient comme des sauvages, sales, moins que rien, avec les prières forcées, les genoux durant des heures sur les pierres, les coups, les viols, par un prêtre pédophile qui allait s’allonger au sol, les bras en croix dans la chapelle, pour que Dieu lui pardonne, en un mot la maltraitance physique et psychique qui va traumatiser ces enfants à vie, les poussant parfois même dans la violence à leur tour, contre eux-mêmes et contre les autres…

Les personnages sont bien décrits, les causes et les conséquences qui les ont amenés là, bien analysées. Je mettrai juste un petit bémol : ils sont parfois trop caricaturaux, les bons Innus d’un côté, les méchants Blancs de l’autre, mais cela n’enlève rien à ce que l’auteure veut analyser et démontrer.

J’ai refermé ce roman, avec de la colère, des nausées, des envies de frapper, et surtout un terrible sentiment d’impuissance, ce qui ne va arranger mes relations avec les religions quelles qu’elles soient et ce que l’on peut faire en leur nom. Je peux affirmer une chose : ce roman va hanter ma mémoire encore très longtemps. Je ne connaissais pas l’auteure, mais ce livre m’a donné envie de la découvrir davantage, car elle s’attaque à des sujets importants concernant notre société.

J’allais oublier la puissance du titre, son côté prémonitoire, comme un  dernier assaut avant de disparaître complètement…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Taurnada qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#LeDernierfestindesvaincus #NetGalleyFrance !

9/10

Passionnée de littérature, Estelle Tharreau est l’auteure de plusieurs romans noirs et nouvelles d’anticipation. Après avoir travaillé dans le secteur public et privé, elle se consacre désormais entièrement à l’écriture.

Son roman « La Peine du bourreau » a reçu en 2021 le Prix du Roman Noir des Bibliothèques & des Médiathèques de Grand Cognac, ainsi que le Prix Spécial Dora-Suarez catégorie « Frissons ». On lui doit également « Les eaux noires », « Mon ombre assassine » …

Sa peur ne faisait qu’augmenter face au regard maternel, lourd de souffrance et de fatalisme. Marie se tournait vers les autres enfants qui marchaient à l’abri des arbres, Michèle et Peter Shehaan se tassaient également sur eux-mêmes. Les plus grands, qui revenaient des internats pour les vacances, n’en parlaient jamais, mais leurs yeux et leurs attitudes n’étaient plus les mêmes. Ils étaient mutiques, détachés et étrangers à leur univers communautaire…

« On ne doit pas honorer Dieu dans la langue des sauvages ! » gronda la sœur. C’est ainsi que Peter, Marie et Michèle firent connaissance avec le pensionnat et le Dieu des hommes civilisés. En moins d’un an, les yeux du petit garçon, si gais quand il partait à la chasse avec les siens, devinrent froids et hostiles.

Dans cette vie sauvage, tout était dur, mais prenait un sens. Nathan et Alice comprirent pourquoi ce camp et cette forêt sauvaient des vies même s’ils étaient également conscients que peu de gens sur cette terre seraient capables de vivre perpétuellement ainsi.

L’image de « l’Indien sale » et de « l’Indienne facile », d’un peuple violent d’alcooliques, de drogués et de fainéants ne cesse de leur coller à la peau…

Cette existence était plus qu’un mode de vie ; elle était une façon d’envisager le monde, à jamais disparue. Alice repensa à la femme de la vidéo qui affirmait être sortie plus pauvre des pensionnant qu’en y entrant. Son peuple avait perdu son territoire dont dépendait le sens et la survie de sa culture. Ils avaient perdu leur culture de laquelle dépendait la valeur de leur existence.

3 réflexions sur “« Le dernier festin des vaincus » par Estelle Tharreau

  1. bulledemanouec671473c7

    Une belle découverte d’autant plus que je ne connais pas l’auteure et que je lis souvent des romans noirs. Il y aura bien un de ses titres à la médiathèque ! Merci pour les extraits choisis qui me permettent de voir son style d’écriture.

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    1. c’est vraiment une belle histoire qui va rester longtemps dans ma mémoire par son intensité et ce qu’elle dénonce…

      Un de ses romans est consacré à un féminicide, il va falloir que j’aille jeter un coup d’œil 🙂

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