« Le livre du feu » de Christy Lefteri

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un roman que j’ai eu la chance de recevoir, grâce à Babelio et son opération Masse critique, qui m’a permis de retrouver une auteure que j’apprécie :

Irini enseigne la musique aux enfants. Avec son mari, Tasso, peintre naturaliste, et leur fille Chara, ils mènent une vie paisible dans un petit village du littoral grec. Leur vie bascule lorsqu’un incendie criminel ravage la forêt et les habitations. Tout n’est plus que cendres et tristesse autour d’eux.

Quelques mois plus tard, il faut reconstruire. Pour exorciser ce traumatisme, Irini raconte cette terrible épreuve à travers son journal : Le Livre du feu. Et lorsqu’elle rencontre, dans d’étranges circonstances, le responsable de cette tragédie, elle plonge dans la tourmente.

Irini, professeur de musique, son mari Tasso, artiste peintre et leur fille Chara, menait jusque là une vie normale. Le père de Tasso, Lazaros aimait cette forêt qu’il parcourait avec attention, guettant l’évolution des arbres, les conséquences dramatiques du dérèglement climatique sur eux. Mais, soudain, tout bascule : la forêt est en feu, il faut fuir car leur maison va brûler et celles des autres tout autour. Il faut fuir, direction la mer, s’opposer aux forces de l’ordre qui ont l’ordre des les en empêcher, escalader des clôtures, malgré la souffrance, les brûlures.

Irini et Chara ont réussi à atteindre la mer, mais elles vont devoir attendre longtemps les secours, alors que d’autres personnes vont y laisser leur vie dans cette eau salvatrice. Elles sont sans nouvelles de Tasso qui a voulu aller chercher son père pour le sauver des flammes.

Comment se reconstruire après un tel drame ? Tasso n’est plus le même, il est prostré sous son figuier, rongé par la culpabilité de ne pas avoir pu sauver son père, ses mains sévèrement brûlées lui rappelant qu’il ne pourrait probablement plus peindre. Irini, elle, a vu tous ses instruments de musique détruits par le feu, y compris le précieux bouzouki du grand-père.

Tout le monde sait que c’est le voisin, qu’Irini appelle « le moine » qui a déclenché l’incendie, en voulant brûler « seulement quelques mètres carrés, pour que son permis de construire soit validé !

Comment réagir quand on se trouve en présence du criminel ? surtout lorsqu’on le trouve étendu, une corde cassée autour du cou, mais encore vivant ? Irini s’enfuit et mettra du temps à appeler les secours. Suicide ? Lynchage ?

Christy Lefteri nous propose une réflexion sur la fragilité de la Nature, la tragédie des feux de forêts, les habitants qui ont tout perdu, les conséquences sur les familles, le désir ou non de continuer à avancer, la résilience. Mais elle s’attaque à un autre thème : comment réagir devant le coupable ? lui porter assistance ou le laisser mourir ? et par conséquent, une réflexion sur l’âme humaine, la colère, le pardon difficile voire impossible. Qui est le plus criminel des deux : celui qui allume l’incendie ou celui qui ne l’aide pas ?

Christy Lefteri a choisi un récit gigogne, alternant la période post-incendie et la vie de tous les jours qui lui succède, et un « journal » qu’elle appelle « Le Livre du feu » dans lequel elle raconte la manière dont elles ont échappé aux flammes, en l’entrecoupant son histoire familiale : sa famille partie vivre au Royaume Uni lorsqu’elle était enfant, la vie de son père, pour leur offrir une vie décente et des études, et le retour chaque été au pays où elle retrouvais son ami d’enfance Tasso.

Irini revient aussi sur le passé, les anciens qui ont été chassés de Turquie, qui ont dû tout quitter pour partir sur les routes, à pied, pour un exode lointain.

J’ai beaucoup aimé le précédent roman de l’auteure « Les oiseaux chanteurs » et c’est pour cela que j’ai tenté ma chance pour obtenir « Le Livre du feu ». J’ai bien aimé, l’histoire, la réflexion sur la Nature et tout ce que l’homme lui fait subir, en n’entretenant pas la forêt ; dans le cas présent, mais aussi la gestion catastrophique des gens qui gouvernent la planète.

L’auteure a choisi de baser son roman sur l’histoire familiale, le couple, et surtout centré sur Irini, probablement pour ne pas livrer un récit trop militant, ce qui constitue un bémol pour moi mais j’ai bien aimé ce livre, un peu moins puissant que « Les oiseaux chanteurs » mais quand même réussi. Il serait temps que je sorte « L’apiculteur d’Alep » de ma PAL, dont le thème me fait plus peur en fait.

Un grand merci à Babelio et aux éditions du Seuil qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver l’univers de son auteure dont j’ai beaucoup apprécié « Les oiseaux chanteurs ».

8/10

Si elle avait une conviction, elle faisait en sorte d’être entendue. Si elle éprouvait quelque chose, elle l’exprimait avec passion. Je l’avais élevée ainsi. A présent, elle est aussi calme et effacée que le paysage qui nous entoure. Ma fille est vivante, Dieu merci. Mais elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. L’incendie me l’a prise également.

Il était une fois un charmant village qui recelait un million d’histoires d’amour, de deuil, de paix et de guerre. Un jour, il faut dévoré par un brasier dont les flammes léchaient le ciel. Le feu dévasta tout, ne s’arrêtant qu’à la mer, où il se retrouva face à son reflet.

Je ne veux pas regarder par la fenêtre pour voir Tasso assis sous le figuier, l’air perdu. Ça me retourne l’estomac. J’en suis malade parce que je ne le reconnais pas. L’homme, dehors est un inconnu. Parfois, je pense que je n’ai aucun sentiment qui a pris racine dans le jardin. J’ai envie de sortir, de lui demander : Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous fait de l’homme que j’aime ?

Il connaissait bien les arbres, la façon dont ils se transformaient rapidement au cours d’une année et beaucoup plus lentement au fil des ans. Lazaros observait ces changements, il comprenait que les arbres vivaient selon une autre échelle temporelle, que nous ne faisions que passer dans leur monde…

Chaque côté a des souvenirs et des traumatismes, réels ou imaginaires, qui le porte à haïr l’autre. Et ces histoires sont assimilés par les peuples jusqu’à devenir des récits nationaux. Les deux parties se diabolisent mutuellement. Le coupable, c’est toujours l’autre, une certitude qui alimente la colère des hommes, des groupes et des gouvernements. Ça n’amène jamais rien de bon sur cette Terre.

Elle s’était souvent demandé si on pouvait parler de bienveillance à propos de la mort. A présent qu’elle avait vu ce qu’elle pouvait avoir de cruel, de violent et d’impitoyable, elle savait que oui. Mais était-ce la mort qui était ainsi ou étaient-ce les gens ? Cette question s’alluma quelque part en elle avant de se dissiper en fumée.

Pourtant elle ne découvrait pas les horreurs du monde, mais désormais, elle se trouvait en plein milieu. Les flammes lui semblaient les mains d’une réalité plus sombre et plus menaçante qui la retenait, l’étranglait, lui injectait son poison, sa noirceur et sa chaleur.

Les gens d’ici ont construit tout le long de la côte des villas bloquant l’accès à la mer. Les gens d’ici n’ont pas ramassé le bois mort dans la forêt, ils ne l’ont pas entretenue, n’ont pas veillé sur elle, n’ont pas pris soin d’elle. Et pourtant, nous nous posons en justiciers, face à l’homme qui a allumé le feu, face à la police et aux pompiers.

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