« Ceci n’est pas un fait divers » de Philippe Besson

Ce n’est un secret pour personne j’aime beaucoup la plume de Philippe Besson alors, quand il nous propose d’aborder les violences conjugales et leurs conséquences, après avoir hésité, je me suis décidée à franchir le pas :

Résumé de l’éditeur :

Ils sont frère et sœur. Quand l’histoire commence, ils ont dix-neuf et treize ans.

Cette histoire tient en quelques mots, ceux que la cadette, témoin malgré elle, prononce en tremblant : « Papa vient de tuer maman. »

Passé la sidération, ces enfants brisés vont devoir se débrouiller avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et remonter le cours du temps pour tenter de comprendre la redoutable mécanique qui a conduit à cet acte.

Avec pudeur et sobriété, ce roman, inspiré de faits réels, raconte, au-delà d’un sujet de société, le long combat de deux victimes invisibles pour réapprendre à vivre.

Ce que j’en pense :

Tout commence par un appel téléphonique de Léa à son frère aîné : « il s’est passé quelque chose » parvient-elle à articuler, en état de sidération. Son père vient de tuer sa mère, après des années de maltraitance. Elle n’a que treize ans et lui dix-neuf.

C’est le frère aîné qui raconte : le père violent, les disputes, la maltraitance psychologique et physique, rabaisser l’autre, jour après jour, lui faire croire que tout est de sa faute, lui couper les ailes… sans oublier la fameuse « main qui part toute seule » pour justifier la gifle: c’est connu, la main est indépendants du système nerveux central, elle est autonome!!! en gros, ce n’est pas moi qui frappe, c’est ma main…

Philippe Besson décortique le processus de la violence, et la sidération qui suit l’assassinat de la mère, la réaction de chacun des deux enfants : pour le fils, qui avait pris ses distances depuis longtemps, ce qu’il redoutait a fini par arriver, alors qu’il n’a rien pu faire. Il tourne le dos définitivement à ce père abject, qui en plus a pris la fuite de manière minable, et n’a non seulement pas eu le courage de se rendre ou de se suicider, mais se pose en victime !!!

J’ai bien aimé la manière dont le fils comprend que son père est un pervers narcissique, et pas seulement un jaloux possessif…

Pour Léa, c’est plus compliqué, elle était la « chouchou » de son père (ah oui, j’oubliais c’était être un très bon père à défaut d’être un bon mari !). Elle ressent toujours cet amour paternel au plus profond d’elle-même.

Je lis peu de romans ou essais autour de la violence conjugale, il suffit d’ouvrir le journal, pour noter un nouveau féminicide, car ce n’est pas un fait divers ni un crime passionnel, terme trop longtemps mis en en avant par la société patriarcale et qu’on ne vieille surtout pas me dire que « il la frappe parce qu’il l’aime » sinon je vais sortir de mes gonds…

J’ai choisi de lire celui-ci, parce que c’est Philippe Besson, sa manière de raconter les choses, pleine de pudeur, sa sensibilité, sa belle écriture. Et c’est réussi comme je m’y attendais… Pour la petite histoire, il s’est lancé dans le récit après avoir rencontré un de ses fans qui avait perdu sa mère, victime de féminicide, et l’a autorisé à en parler).

Je suis une grande fan de cet auteur, mais pas une inconditionnelle, toutefois, car si le thème ne m’inspire pas je ne cherche pas lire le roman parce que c’est lui. Mes préférés restent « Se résoudre aux adieux » « L’arrière-saison » et « Son frère » et « Les jours fragiles » m’attendent sur une étagère de ma bibliothèque, que je garde pour la fin, (ou la faim ?) un peu comme « Les frères Karamazov » de mon ami Fiodor…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Julliard qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver une fois de plus la plume de son auteur.

#Cecinestpasunfaitdivers #NetGalleyFrance !

9/10

Philippe Besson est auteur, dramaturge et scénariste français, anciennement homme d’affaires. Il a été également critique littéraire et animateur de télévision. Il a publié 36 livres (si mes comptes sont à jour) notamment « Arrête avec tes mensonges », Le Dernier Enfant et Paris-Briançon.

Extraits :

Je suppose que certains instants décisifs sont inoubliables, et parfois, on sait, tandis qu’ils se produisent, qu’ils sont, en effet, décisifs…

J’étais là, nous allions affronter l’épreuve ensemble, à deux nous avions, qui sait, une petite chance d’y parvenir. En tout cas, j’étais convaincu que beaucoup dépendait de moi, de ma force, de mon amour pour elle, je ne devais pas flancher…

… C’était commode aussi de se répéter ce mantra, cela m’évitait d’être dévoré par le chagrin, par la stupeur et par la haine. Il y avait des choses qui passaient avant. Il y avait Léa. Avec le recul, je sais que, sans le faire exprès, ma sœur m’a sauvé de passions trop tristes, ou de bouillonnements trop amers. Ils ne m’étaient pas permis.

Ma seule certitude était que nous étions durablement endommagés. Il restait à déterminer jusqu’à quel point.

J’essaie de comprendre comment elle est allée vers lui, pourquoi ils se sont rejoints. En fait, je me tiens devant le mystère des inclinations de ma mère, le mystère de sa liberté.

Tout était prétexte à prendre la mouche et à déblatérer. Il n’était pas difficile de comprendre qu’il se sentait déclassé, méprisé, sa vie avait pris un mauvais tour et, puisque ça ne pouvait pas être de sa faute, c’était forcément celle des autres. Oui, d’aussi loin que je me souvienne, je vois mon père frustré, furieux et accusateur.

Toujours, il s’agissait d’un prétexte fallacieux. Il avait besoin d’une raison, n’importe laquelle, pour créer une altercation, mener sa guérilla. Il était débordé par sa paranoïa, sa jalousie, son narcissisme. Par son angoisse de l’abandon, puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat.

Ce que nous ignorions, c’est que l’amour familial ne s’efface pas d’un trait de plume, il en reste toujours quelque chose ; j’y reviendrai.

Certes, ses accès de violence la perturbaient et la maintenaient sur une sorte de qui-vive, mais il savait si bien lui faire croire que ce n’était rien, simplement des disputes entre grandes personnes, comme il y en a dans tous les couples et s’y entendait mieux que personne pour la reconquérir.

J’ai fini par comprendre que mon père n’était pas seulement un homme possessif et paranoïaque, pas seulement un être terrifié à l’idée d’être abandonné et qui compensait par la rage, il était aussi, peut-être avant tout, ce qu’on nomme un pervers narcissique.

Ceci encore : s’il était dur avec elle, il était adorable avec sa fille. D’ailleurs ma mère ne jurait-elle pas à qui voulait l’entendre qu’il était « un bon père » ? (elle occultait volontiers le dédain dont il me gratifiait ; il s’agissait de sauver les meubles j’imagine.

Lu en janvier 2023

16 réflexions sur “« Ceci n’est pas un fait divers » de Philippe Besson

  1. Moi j’ai particulièrement aimé : l’après meurtre raconter de la place d’un jeune homme, fils de la victime montre les ravages des féminisismes sur les enfants. En plus, c’est un homme qui écrit ! Je pense même que sociologiquement il ouvre une nouvelle voie vers l’évolution de nos sociétés. Mais heureusement que nos différences d’avis forment la richesse de nos chroniques. 😉

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  2. Depuis le temps que je veux découvrir cet auteur, en plus j’aime l’écouter parler donc forcément il devrait me plaire 🙂 Merci de nous présenter celui-ci comme tu le dis c’est un sujet difficile dont on parle beaucoup et dont il faut parler mais la manière de raconter peut tout changer.

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    1. il a une très belle manière d’aborder le féminicide et les effets sur les enfants …
      Ce n’est pas le genre de littérature que j’aime lire, on en voit suffisamment dans les journaux, mais avec lui, je sentais que ce serait autre chose et je n’ai pas été déçue 🙂

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