« La fille de la grêle » de Delphine Saubaber

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai découvert grâce à la chronique de Matatoune et qui m’a bouleversée :

Résumé de l’éditeur :

Un soir de sa vie, dans un dernier souffle, Marie décide de livrer à sa fille Adèle l’histoire de sa propre enfance, qu’elle lui a toujours tue.

Joseph et Madeleine, ses parents, n’ont connu qu’une vie de labeur à la ferme des Glycines. Marie et Jean, son petit frère, ont grandi là, sur une combe d’herbe grasse, les alouettes pour seuls témoins de leurs jeux.  Mais Jean est différent. Il a beau converser avec les grillons, il ne parle pas, n’entend pas, et ça ne plaît pas à Joseph.  Quand la grêle s’abat sur les Glycines, la démence s’empare du père jusqu’à gagner la famille tout entière.


Poétique et bouleversant, La fille de la grêle raconte la brûlure de l’enfance et la grande vieillesse, la folie et la culpabilité. C’est aussi un chant d’amour d’une mère à sa fille. Et une ode magnifique à la toute-puissance de la nature.


« J’ai tué la grêle, l’injustice et la violence du monde, j’ai tué la détresse d’un homme qui pleurait avec ses poings. »

Ce que j’en pense :

Marie qui se rapproche lentement mais inexorablement de son quatre-vingtième anniversaire, décide de rédiger une lettre à sa fille Adèle, pour lui raconter qui elle est vraiment, lui parler de son enfance, de tout ce qui lui est arrivée de la ferme paternelle jusqu’à sa vie adulte puis l’entrée dans la vieillesse, ce qui a conditionné ses choix, car elle ne lui a jamais parlé de rien. Elle avait tout verrouillé au plus profond d’elle-même.

Elle a fait le choix de cette lettre car elle est décidée à choisir elle-même la manière dont elle veut mourir. Marie n’essaie pas se justifier, de convaincre sa fille, elle explique son choix, le cheminement de sa pensée de sa vision philosophique et personnelle  de la vie et de la mort. Elle le dit dès le départ et le récit est construit en partie sur l’argumentation.

Marie revient sur l’enfance à la ferme, « Les glycines, la dureté de la condition de métayer de son père, qui trime dans les champs et avec les animaux tout en reversant la moitié des récoltes au propriétaire. Elle évoque les caprices de la nature, où la grêle peut tout détruire, entraînant privation disette, sacrifices et montrant bien que c’est la Terre qui est souveraine.

Les temps sont durs, les conditions sont dures mais les humains sont durs aussi, telson père, le corps sec et noueux comme un pied de vigne, le dos courbé par la fatigue et le travail, qui se montre d’une dureté implacable avec Jean, le petit frère handicapé de Marie (il est sourd, mais on ne s’en est pas aperçu tout de suite). Les coups pleuvent, les cris, les silences de la mère, Marie se cachant sous les couvertures en attendant que les coups et les cris cessent. Et puis un jour arrive un traumatisme encore plus grand.

Marie s’applique à l’école, les livres l’intéressent alors que sa mère est quasiment illettrée, car c’est « la seule façon de s’en sortir ». Jusqu’au jour où elle s’en va pour de bon, direction l’université laissant tout derrière elle.

Ce roman nous propose une réflexion sur la dureté de la vie dans le monde rural, l’interdépendance de l’homme et de la nature, la sagesse des paysans qui savent qu’il faut la respecter, la violence intrafamiliale et l’oubli pour pouvoir avancer, prendre sa vie en mains.

Delphine Saubaber va beaucoup plus loin en nous proposant une réflexion sur la vieillesse et le droit de pouvoir décider quand on va tirer sa révérence, et de quelle manière. Tous ses propos sur la vieillesse m’ont beaucoup touchée car je suis arrivée au même point de réflexion que Marie son héroïne : dans notre société, on ne veut plus voir les vieux (on pourrait dire la même chose des handicapés) quitté à les planquer dans un EHPAD, mais on leur refuse l’euthanasie ou le suicide assisté au nom de l’éthique, se retranchant derrière la bienséance d’une loi sans demander aux gens leur avis tout comme on décide à la place de femme de ce qu’elles veulent faire de leur corps !

Actuellement, la police débarque à 6h du matin chez un homme âgé, lui passe les menottes et garde à vue uniquement parce qu’il s’est procuré du penthiobarbital sur Internet (on prend plus de gants avec les délinquants, mais ils courent plus vite et sont parfois armé !). Les personnes riches peuvent aller le faire en Belgique ou en Suisse et les autres n’ont qu’à subir.

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman, même si l’héroïne est un peu froide, mais son enfance l’a poussée dans ce système de protection. L’écriture de Delphine Saubaber est belle, elle m’a profondément touchée, telle la grêle qui s’abat sur les récoltes pour les détruire, ou la grêle plus symbolique qui accompagne les orages dans nos vies.

Elle nous rend hommage, au passage, à Hermann Hesse dont elle m’a donné envie de lire son « Éloge de la vieillesse ». C’est le premier roman de l’auteure et c’est vraiment une réussite.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions J.C. Lattès qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#Lafilledelagrêle #NetGalleyFrance !

Autres avis : https://vagabondageautourdesoi.com/2022/01/21/delphine-saubaber/ https://lire-et-vous.fr/2022/02/27/la-fille-de-la-grele-de-delphine-saubaber/

L’auteure :

Delphine Saubaber a été grand reporter à L’Express. Prix Albert Londres 2010, elle est l’auteure, avec Henri Haget, du très remarqué Vies de mafia (Stock, 2010). La fille de la grêle est son premier roman.

Extraits :

Tu n’as rien vu venir, tu n’as pas entendu ma fuite, sans doute parce qu’elle ne s’entendait pas. Un vieux marche et meurt sans faire de bruit. Je n’ai parlé à personne de ma décision, pas même aux quelques amis qui me restent, je n’ai pas voulu les rendre complices de mon effacement.

Sais-tu seulement qui a été ta mère ? Dans quelle sève puisent ses racines, ses émotions trop fortes, ses silences rentrés ? Sais-tu quelle enfant elle a été ?

Et puis, il y a des familles où, dans une chambre, une enfant se met à plat ventre en se couvrant la tête d’une couverture parce qu’elle ne veut pas entendre. J’ai voulu l’oublier, cette enfant. L’enterrer au fond d’un trou.

Les sensations véhiculent la mémoire, son plaisir, sa douleur, mais ne se partagent pas. Elles sont ma mémoire de notre enfance.

Je n’ai compris que bien des années plus tard le sentiment d’impuissance de mes parents, leur urgence permanente, à devoir toujours aller chercher le repas du lendemain, à vivre les yeux rivés à la colère du ciel, aux feuilles, à la terre. Nos vies dépendaient de bien plus grand et puissant que nous, de ce qu’on n’appelait pas encore le climat…

De ce fait, nos corps connaissaient le prix et la rareté des choses, l’endurance, l’eau, le travail que réclament un fruit pour grossir, une bête pour donner son lait, une fleur pour éclore.

Nous avons oublié que nous ne sommes que des humains et que la nature est mère, et moi, la fille de la grêle, je t’ai élevée comme une fille de la ville dans le coton et l’insouciance alors que j’aurais dû t’alarmer, t’enseigner l’humble patience, la lenteur, la résignation de mes parents.

Être parent, tu le sais, c’est être seul face à son enfant. C’est lui faire croire, partout, tout le temps, que le monde est beau.

Être vieux, c’est ne plus trouver de rôle à jouer. Un beau matin, on vous prend par la main, on vous remonte le plaid jusqu’au nez et on vous engueule comme une gamine de cinq ans…

Je n’ai pas envie que tu m’engueules comme une enfant de cinq ans, ni que tu me trimballe comme un paquet du lit au fauteuil pour y regarder des émissions animalières et y dormir la bouche ouverte, la nuque renversée et les chaussettes en éventail sur les repose-pieds…

Mais qui sait ce qu’est la vieillesse avant d’y entrer ? Aucun être humain n’est préparé à l’expérience solitaire de sa propre vieillesse et encore moins de sa fin.

D’autres ont été vieux avant moi, d’autres le seront après. Comme Hermann Hesse, dont j’ai découvert L’éloge de la vieillesse. Ses phrases prennent le temps que plus personne n’a, incisent la petitesse du réel pour lui donner tout son sens, me remplissent de profondeur lumineuse et de paix. Être vieux représente une tâche aussi belle et sacrée que celle d’être jeune ou de se familiariser avec la mort.

Lu en février 2022

22 réflexions sur “« La fille de la grêle » de Delphine Saubaber

    1. elle en parle très bien, cela sonne juste… ce livre m’a vraiment énormément touchée…
      Elle a eu une enfance dure elle assume tient à rester digne 🙂
      c’est ta chronique qui m’a donné envie de le lire et cela fut une belle rencontre 🙂

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  1. Tu me donnes vraiment envie de le lire et bien entendu je le note vu que c’est la première chronique que je lis à son sujet… Merci pour ton enthousiasme communicatif et les extraits qui comme d’habitude, nous mettent dans l’ambiance. Je reviens de ma pause et je ne manquerai pas de revenir lire et prendre note de tes précédentes présentations…Bonne journée

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    1. un coup de cœur incontestable!!!
      tout est bien dans ce roman de l’enfance malmenée à la vieillesse (naufrage disait de Gaulle) et l’interrogation sur le choix de sa fin de vie… Grande profondeur de réflexion 🙂
      je suis contente de te retrouver, pause vacances petits-enfants ?

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    1. j’ai vraiment beaucoup aimé votre livre, les thèmes, l’écriture, la sensibilité c’est un gros coup de cœur 🙂
      je me suis sentie proche de l’héroïne… Je suis une petite fille de paysans alors je connais bien leur quotidien, leur respect de la Nature et des animaux ce qui se perd avec l’agriculture intensive…

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