« Le prince aux deux visages » de Gilbert Sinoué

Petit détour par le roman historique, aujourd’hui, avec ce livre au titre évocateur :

Résumé de l’éditeur :

Paris, 1962. L’historien Paul Savarus et sa femme sortent enthousiastes de la projection de Lawrence d’Arabie, le film de David Lean. Ils sont bousculés par un spectateur qui paraît hors de lui. L’homme s’appelle Alan Carswell et ne décolère pas. Ce film ? Un conte hollywoodien, à mille lieues de la vérité. Car lui a connu Lawrence, à Oxford, lorsqu’il était étudiant en archéologie. Il sait la vérité sur ce « prince aux deux visages ».

À la fois abasourdi et intrigué, Savarus décide de se lancer sur les traces de l’auteur des Sept piliers de la sagesse.

Qui fut le véritable T. E. Lawrence ? Un mythomane ? Une prima donna névrosée ? Un agent sans pouvoir ? Un fabuleux dissimulateur ? Autant de questions soulevées par Gilbert Sinoué dans ce roman en forme d’enquête, qui revisite l’incroyable épopée de l’un des personnages les plus mystérieux du XXe siècle.

L’épopée de la Révolte arabe, la personnalité énigmatique de T. E. Lawrence (1888-1935), dit Lawrence d’Arabie, l’aura de légende qui entourent son existence méritaient d’être démystifiées par le conteur talentueux qu’est Gilbert Sinoué.

Ce que j’en pense :

L’idée de départ est intéressante : en 1962, Savarus, historien, et son épouse psychiatre, assistant à la projection du film de David Lean, « Lawrence d’Arabie » se font bousculer par un autre spectateur, Alan Carswell qui juge que ce film est un tissu d’âneries, pur produit de Hollywood, car, lui, personnage important a bien connu Lawrence autrefois.

Il va éveiller la curiosité de Savarus, en le dirigeant vers des auteurs, biographes autoproclamés qui n’ont eu de cesse d’écorner l’image du mythe, en particulier la biographie de Richard Aldington. On va suivre le parcours de Savarus, à la recherche de la « face cachée », c’est-à-dire sombre peu glorieuse du héros.

L’auteur revient sur l’enfance de Thomas Edward Lawrence, fils de l’union illégitime de Thomas Chapman (marié et père de quatre filles, dont l’épouse refusera toujours le divorce) et de Sarah Junner, elle-même enfant illégitime. Il semblerait que le nom Lawrence soit celui du père de Sarah). Enfance compliquée, avec de multiples déménagements, chaque fois que l’illégitimité était arrivée aux oreilles du voisinage.

Deuxième de la fratrie, il a subi l’éducation ultrareligieuse de sa mère, toxique comme on dirait de nos jours, avec maltraitance physique et psychologique.

L’auteur, via Savarus et autres biographes,  attribue à cette maltraitance le côté quelque, peu maladif de Lawrence, son attirance (attraction) pour les châtiments corporels, son rejet du corps, et ce qu’il pense, son homosexualité… il n’hésite pas à justifier ainsi un viol, en 1917 lors d’une mission à Deraa, ville de Syrie proche de la frontière jordanienne, mais ce viol a-t-il vraiment existé ?

On va suivre son épopée en Orient, où il embrasse la cause des Arabes, les poussant à se révolter contre le joug turc, révolte dont l’Europe ne se préoccupe guère, puisque sont scellés en traitre les accords de Sykes-Picot.

L’auteur, via ses protagonistes dont le but est d’écorner l’image du héros (cf. La réaction d’un des protagonistes à la sortie de la séance) nous propose ses pistes sur l’identité de Selim Ahmed, (alias Daoum), en se référant à la mystérieuse dédicace (S. A.) de l’ouvrage de T.E. Lawrence : « Les sept piliers de la sagesse », le présentant quasi comme l’amour de sa vie.

On sait bien que les politiciens n’ont pas respecté leurs promesses aux Arabes qu’ils considéraient comme des « tribus arriérées », et on suppose que T.E. Lawrence devait être gênant pour eux, mais de là à fantasmer sur son éventuel assassinat, il y a peut-être un pas ?

On rencontre de nombreux personnages de Churchill à Weizmann futur président de l’état d’Israël, qui a fui les pogroms tsaristes avec d’autres Juifs qui formèrent les premières colonies. Beaucoup de jeunes gens au début du XXe siècle ont eu des envies d’ailleurs, pour se rendre utiles, à une cause ou simplement une raison de vivre, Gauguin, Loti, Byron, Monfreid ou Alexandra David Neel et tant d’autres…

Il fut un pathétique enfant du XXe siècle parce qu’il était imprégné de cette aspiration à être un autre et à être ailleurs, qui hanta la jeunesse de ce siècle.

J’ai aimé suivre ses traces et ses combats, ce qui m’a rappelé à quel point je connaissais mal l’histoire du Moyen-Orient. Par contre, le dossier à charge de T.E. Lawrence, visant à le faire descendre de son piédestal : ô Lawrence d’Arabie, film somptueux Peter O’Toole et Omar Sharif, aurais-tu faussé à jamais ma lucidité sur le Prince d’Arabie ? Quoi qu’il en soit, je préfère garder l’image de l’homme au Keffieh, qui lui sied à merveille, à la « prima dona névrosée » que nous propose Gilbert Sinoué.

Cette lecture a été plaisante, mais trop à charge pour moi et ma piètre maîtrise de cette période de l’Histoire, à part les accords Sikes-Picot (comme Yalta plus tard, les vainqueurs aimant se livrer à ce genre d’exercice) où France et Grande -Bretagne se sont partagé le gâteau et dont on a beaucoup reparlé avec les guerres et Syrie et Irak…

Par contre, Gilbert Sinoué dont j’ai apprécié les qualités du conteur et c’est ce qui explique ma note, m’a donné envie de m’y replonger et surtout de sortir de ma PAL (enfin !) le magistral livre de François Sarindar auteur bien connu des Babéliotes : Lawrence d’Arabie : Thomas Edward, cet inconnu

Ce roman, au titre évocateur, comme tout roman historique, doit éveiller la curiosité du lecteur et le pousser à trouver d’autres sources d’information et à réfléchir par lui-même…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions L’Archipel qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur dont la bibliographie est plutôt conséquente…

#LEPRINCEAUXDEUXVISAGES #NetGalleyFrance !

https://www.babelio.com/auteur/Francois-Sarindar/309358

8/10

L’auteur :

Gilbert Sinoué est l’auteur de nombreux romans à succès, dont L’Égyptienne (Gallimard, 1993), Le Livre de saphir (Gallimard, 1996), L’Île du couchant (Gallimard, 2010), la trilogie Inch’allah (Flammarion, 2010-2016), Le Faucon (Gallimard, 2020), ou encore L’Envoyé de Dieu (Archipoche, 2021).

Extraits :

Ce fut là, à Tremadoc, qu’en 1888 naquit Thomas Edward ; il serait le deuxième de cinq garçons et le premier à porter le nom de Lawrence…

Aucune confiance n’a jamais existé entre ma mère et moi. Toutes les fois où nous étions ensemble, chacun de nous gardait jalousement sa propre individualité. Je me suis toujours senti assiégé par elle : elle m’aurait pris d’assaut si j’avais laissé sans défense la moindre fente dans les remparts.

A cette époque, la Grande-Bretagne, maîtresse des mers et de « l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais », protégeait farouchement celui-ci contre les menées étrangères, forcément jalouses. Pour cela, elle veillait sur la route de Indes, c’est-à-dire sur Suez et la mer Rouge. L’Orient est, pour elle, un vaste ensemble de territoires occupés par des populations arriérées de « races inférieures »

Il ne savait pas s’il était le fils de sa mère ou celui de son père. En tant que bâtard, et sans doute pénétré de l’importance de l’hérédité, il ne savait pas qui il était. Ni même s’il existait. Et l’on retrouvera ce dilemme tout au long de sa vie. Il lui faudrait affirmer son existence.

Alors que se livraient ces batailles pour le moins sanglantes et que les Arabes payaient de leur vie pour chasser les Turcs, deux diplomates, un Français M. Picot et un Anglais, Mr Sykes, étaient penchés sur une carte de la région…  Ces célèbres accords Sykes-Picot pourraient se résumer à une série de brûlots qui, des décennies plus tard, nous ont explosé au visage.

Un point est certain : Lawrence n’est pas épris d’admiration pour ses compatriotes. Même les Turcs n’auraient probablement pas écrit –ni publié – ces mots : « Les hommes (anglais) étaient souvent de vaillants combattants, mais leurs généraux le cédaient le plus souvent en stupidité ce qu’ils avaient gagné en ignorance. » On en reste confondu. Lawrence n’est certes pas solidaire de son pays.

Le dégoût d’être touché me révoltait plus que l’idée de la mort, de la défaite ; peut-être parce qu’un horrible pugilat, dans ma jeunesse, m’avait laissé une aversion durable pour le contact ; ou peut-être parce que je respectais la maîtrise de mon esprit et que je méprisais tellement mon corps que je n’aurais pas préservé celui-ci pour tenir l’esprit en vie. in « Les sept piliers de la Sagesse« 

Lu en novembre 2021

10 réflexions sur “« Le prince aux deux visages » de Gilbert Sinoué

      1. depuis ta critique il était dans ma PAL et je viens d’en faire mon cadeau de Noël 🙂
        c’est juré, je n’achète pas de nouveaux livres avant l’année prochaine 🙂
        j’entends rire derrière moi, mon mari et même ma toutounne 🙂

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    1. la manière de présenter les choses est originale donc la lecture plus légère mais maintenant j’ai envie de creuser avec une vraie biographie…
      Je m’offre celle de François Sarindar pour Noël et je pense que je la lira tranquillement pour bien mémoriser tout ce que je ne connais pas dans l’Histoire du Moyen Orient de l’époque…

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