« Juste avant d’éteindre » d’Hélios Azoulay

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi pour son titre et sa couverture, car je ne connaissais pas l’auteur, et le côté très succinct du résumé qui ne révèle pratiquement rien (génial par rapport à certains qui raconte pratiquement tout le roman !) avec :

Résumé de l’éditeur :

Un roman éblouissant autour du destin tragique et solaire d’un déporté. Une écriture rare pour rendre la rage de celui qui veut rester homme et poète dans ces circonstances tragiques.

Ce que j’en pense :

Ce livre raconte le destin d’un compositeur juif, qui n’a plus le droit d’écrire de la musique, et que l’on a cantonné dans un bureau, pour recopier des documents, en double exemplaire, d’un modèle déjà lui-même en double exemplaire et ceci sans fin, le travail abrutissant par excellence. A son arrivée au ghetto, on en a profité pour lui dérober toutes les partitions qu’il avait emportées avec lui, dernières preuves de son existence.

Pour tromper l’ennui, il récupère des petits bouts de papier, sur lesquels il écrit ce qui lui passe par la tête : ce qui se passe dans le ghetto, ce qu’il voit ou simplement ses pensées du moment.

Il arrive à s’évader et fait une rencontre hallucinante, une vieille dame, et son chien, un molosse baveux qui reconnaît les juifs grâce à son flair ! sur les murs de la petite maison, des tableaux, plutôt hideux peints par son petit-fils et signés… A. Hitler

Hélios Azoulay a choisi l’humour au dixième degré pour dire l’indicible, tournant en dérision aussi bien les nazis que les juifs eux-mêmes ce qui nous donne des réflexions très intéressantes, voire fulgurantes.

Le récit se découpe en deux parties principales ; dans la première, il nous raconte l’histoire du musicien, sa vie dans le ghetto et dans ma deuxième, il nous propose un récit constitué par la juxtaposition de tout ce qu’il a pu écrire sur les petits papiers, sans ponctuation, les uns à la suite des autres, tel un journal intime.

Derrière la figure de style, j’ai l’impression que se cache en fait la folie qui permet de survivre dans le ghetto, en attendant la mort, alors que circulent les cercueils, et ordres vociférés par les nazis. Comme si la pensée était en train de se désagréger, la relation au temps, au présent, au passé qui n’est plus à l’avenir qui n’existera peut-être jamais.

Qu’est-ce qui nous reste quand on sait que la mort est proche ? des souvenirs d’enfance, des moments heureux, les souffrances, le sourire de la mère, l’absence du père ?

Le titre est évocateur : qu’est-ce qui s’éteint ? La vie ? La lumière du jour ou celle de la conscience ?

L’écriture est belle, rythmée comme une composition musicale, sans agressivité, on ne pense pas à Wagner (clin d’œil à l’auteur),  c’est plus léger (Mozart?) et en même temps percutant (Beethoven?), jamais triste, donc on oubliera Chopin et voilà que je me laisse emporter par mes préférences musicales…

C’est arithmétique. On n’aime pas Wagner parce que c’est grand, on aime Wagner parce que c’est gros. Parce que c’est de l’accumulation.

Il y a des livres, comme ça, dont on sait d’avance qu’il va vous bouleverser, jusqu’au fond de l’âme ; bien qu’il n’ait que 136 pages à peine, c’est un uppercut, qui mêle l’humour, le pouvoir de la pensée dans l’enfermement, la manière dont on tutoie la folie pour ne pas sombrer…

Ce livre est un OVNI, d’une puissance énorme qui traite d’une manière on ne peut plus originale, avec de l’humour, de la poésie, d’un sujet tellement fort, monstrueux ; c’est une façon d’aborder la manière dont les nazis ont traité les juifs, tout à fait inédite et qui fait réfléchir tout autant que les livres que j’ai pu lire jusqu’ici.

La rencontre avec la grand-mère d’Hitler est truculente et va rester longtemps dans ma mémoire !

Un grand merci à NetGalley et aux éditions du Rocher qui m’ont permis de découvrir ce roman et son auteur que j’ai maintenant, bien sûr envie de connaître davantage, car il a déjà pas mal de livres à son actif.

#Justeavantdéteindre #NetGalleyFrance

9/10

L’auteur :

Hélios Azoulay est compositeur, clarinettiste, directeur musical de l’Ensemble de Musique Incidentale, écrivain et poète. Il a, entre autres, publié chez La Librairie Vuibert « Tout est musique ! » et « L’enfer a aussi son orchestre », sur la musique jouée et composée dans les camps, et dernièrement, chez Flammarion, un premier roman : « Moi aussi j’ai vécu ».

Extraits :

Les poteaux télégraphiques qui longent la chaussée sont comme de grandes barres de mesure. Et ces mesures sont surchargée de toutes nos peurs. Et de tellement de tout, tout est tellement entassé, les enfants, les mères, les pères, les vieux. Chacun se piétine dans l’autre. Chaque sac pèse une vie, chaque valise pèse tout ce qu’on a dû abandonner.

On a suivi un des flics du ghetto. Je n’en avais jamais vu avant, des juifs qui, en plus de l’étoile et d’une casquette à bande jaune, ont le privilège de la matraque.

J’ai supplié dieu de toutes mes forces puisqu’il est partout. Sauf que Dieu n’a jamais mis les pieds dans mon enfance. Il était tellement de partout qu’il était partout ailleurs.

Nous, les juifs, si on en est là aujourd’hui, c’est parce que toute l’Allemagne ne fait que son métier. Parce que derrière tout homme qui ne fait que son métier, il y a un nazi.

Pour moi, les barbelés ont toujours été l’ornement principal de la culture allemande.

En baissant les yeux, je fixe ma tristesse. Elle a la forme d’une petite bille translucide, couleur miel, un peu grasse et molle, pile entre le ventre et le sternum. Je la prends entre le pouce et l’index et j’appuie. Impossible de la crever.

Les assassins ne tuent pas pour supprimer une vie, ils tuent pour effacer un nom.

J’ai essayé de rester un homme. C’était le plus difficile.

Je ne crois pas qu’on se suicide. Je crois qu’on nous suicide. Je crois que la vie nous suicide.

Un passage où sont juxtaposés les phrases écrites sur les « petits bouts de papier »

L’aveugle marche, trébuche, part en avant, tombe, se relève. Et c’est tout dans le même noir

Derrière la fenêtre de sa cellule, il s’étourdissait du dehors

On dirait que le petit cherche ses yeux au fond de sa tasse

Il a failli s’effondrer mais il s’est souvenu de la haine

Il a trop parlé et s’est pris les pieds dans sa sagesse

J’ai compté, on peut mettre dix-neuf cercueils dans un corbillard

J’ai cru que c’était du chocolat, c’était de la boue sur ses lèvres

 Sur les toits, les cheminées sont muettes. Ces crétins ont peur que la fumée gèle, on m’a dit. Ignare comme un nazi citant Goethe

En se réveillant, il s’est ébroué entre deux morts. Juste pour être sûr qu’il était encore là.

Lu en juillet 2021

15 réflexions sur “« Juste avant d’éteindre » d’Hélios Azoulay

    1. il sort vraiment de l’ordinaire par sa manière de raconter les choses et on devine dans la 2e partie, que la raison, (et la capacité de raisonnement) commence à s’effondrer devant l’horreur de lasituation
      comment résister à une telle souffrance sans tomber dans la folie. C’est ce qui m’a plu ainsi que son humour ixième degré qu’il pouvait se permettre car sa famille a été déportée.
      C’est mon ressenti en tout cas 🙂

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    1. je n’exagère pas en disant que c’est un OVNI il y a une réflexion profonde en fait, cela va très au-delà de l’exercice de style. la 2e partie fait penser aux exercices qu’on peut faire durant des ateliers de lecture, et en même temps,cela peut s’apparenter à de libre association (chère aux psychanalystes)
      comment résister dans un ghetto sans perdre la raison?
      j’ai envie d’en lire un autre pour mieux connaître son univers mais trop de monde dans ma PAL (pour 1 livre qui sort 2 qui entrent)

      Aimé par 2 personnes

    1. ce n’est pas une lecture simple, mais le sujet est tellement bien traité en ce qui me concerne, sa pensée est finalement relativement facile à suivre, il faut se laisser porter, on arrive à se sentir en phase avec le raisonnement et l’évolution du personnage 🙂

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    1. il fait beaucoup réfléchir, on se situe au ixième degré, notamment dans l’interprétation du texte de la 2e partie. Mais, il y a de l’humour, de l’ironie parfois et la grand-mère d’Adolf, ses mamaours avec son molosse et son admiration béate devant les toiles du génie c’est truculent et un crochet du droit en même temps 🙂

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    1. il a une manière de parler des ghetto de antisémitisme du nazisme, très particulière, avec de l’humour, une pointe de l’ironie même, et mine de rien il explore la façon dont le héros sombre dans la folie, une pointe de respiration avec la grand-mère d’Hitler aussi barge que lui et le « journal » avec de la poésie..
      Je ne suis pas près de l’oublier ce roman et j’ai envie de lire d’autres ouvrages de l’auteur (joli prénom Helios, comme le soleil 🙂

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