« De mon plein gré » de Mathilde Forget

Ayant apprécié le premier roman de l’auteure « A la demande d’un tiers » j’ai eu envie de lire son second livre :

Résumé de l’éditeur :

Elle a passé la nuit avec un homme et est venue se présenter à la police. Alors ce dimanche matin, au deuxième étage du commissariat, une enquête est en cours. L’haleine encore vive de trop de rhum coca, elle est interrogée par le Major, bourru et bienveillant, puis par Jeanne, aux avant-bras tatoués, et enfin par Carole qui vapote et humilie son collègue sans discontinuer.

Elle est expertisée psychologiquement, ses empreintes sont relevées, un avocat prépare déjà sa défense, ses amis lui tournent le dos, alors elle ne sait plus exactement. S’est-elle livrée à la police elle-même après avoir commis l’irréparable, cette nuit-là ?

Inspiré de l’histoire de l’auteure, De mon plein gré est bref, haletant, vibrant au rythme d’une ritournelle de questions qui semblent autant d’accusations. Mathilde Forget dessine l’ambiguïté des mots, des situations et du regard social sur les agressions sexuelles à travers un objet littéraire étonnant, d’une grâce presque ludique. Il se lit comme une enquête et dévoile peu à peu la violence inouïe du drame et de la suspicion qui plane très souvent sur sa victime.

Ce que j’en pense :

La narratrice décide de se livrer à la police pour déclarer qu’elle a été victime d’un viol, mais tout est tellement embrouillé dans sa tête qu’elle pense avoir commis un meurtre, avoir tué son agresseur.

La déposition, en gros, c’est le parcours du combattant : on lui fait répéter les choses, lui posant au moins dix fois (je n’ai pas compté, mais c’est très souvent) :

« S’il avait sa main dans votre bouche, il ne vous tenait pas. »

Comme si elle pouvait se le rappeler si bien alors qu’elle est sous le choc. Pourquoi ne pas reconstituer pendant qu’on y est ? elle s’accroche parfois à des détails pour ne  pas perdre pied : son jean préféré, qu’on lui a enlevé et remplacé par un collant informe car pièce à conviction, une façon de la transformer encore plus en objet, voire la discréditer.

En plus, elle avait bu, elle empeste le rhum-coca… de là, à la transformer en alcoolique et la faire culpabiliser davantage.

Cerise sur le gâteau, elle préfère les filles puisqu’elle est lesbienne… et son agresseur veut la remettre dans le droit chemin, ni plus ni moins, il n’a rien fait comme toujours…

« Ah tu kiffes les meufs, je vais te faire kiffer moi. T’as compris maintenant ? Tu feras moins ta conne. »

Ce court roman m’a plu, mais j’avais hâte de le terminer car Mathilde Forget utilise la répétition, presque en boucle des mêmes phrases, des mêmes mots, pour montrer le désarroi et la perte des repères, jusqu’à en devenir pesant, lassant même. Pas seulement pour vérifier si le violeur la tenait bien, mais aussi quand elle explique plusieurs fois dans la même page d’utilisation de l’application RespiRelax+ pour mieux se concentrer et garder les idées plus claires.

On en conclut que ce n’est jamais simple d’aller porter plainte quand on vient d’être victime d’un viol, car la moindre hésitation peut paraître suspecte… j’ai ressenti un certain malaise durant cette lecture, et j’avais vraiment envie que cela se termine.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.

#Demonpleingré #NetGalleyFrance

7/10

L’auteure :

Auteure, compositrice et interprète, Mathilde Forget a publié un premier roman très remarqué, À la demande d’un tiers (Grasset, 2019).

Extraits :

Je n’essaye pas d’échapper à la justice, j’ai oublié, c’est tout. Lorsque je suis arrivée au commissariat ce matin, j’ai demandé à voir le capitaine, l’inspecteur, le détective, le chef, le patron. Je savais déjà que mon affaire était grave.

Ma parole est aussi bouleversée par les précisions qu’il me demande de faire, sans noter dans le procès-verbal que je les ai faites à sa demande.

Les interrogatoires sont des dialogues dont certaines répliques ont été effacées, donnant alors au discours de l’interrogé une allure pas nette de gueule cassée. Je chipote. Je sais. Mais l’affaire est criminelle. Les mots sont importants. Le procès est verbal.

L’indice conduit à l’évènement que la preuve rend réel. Sans preuve, l’évènement ne peut être considéré comme réel. L’indice concerne une interprétation, tandis que la preuve concerne la démonstration. Ce qui les différencie fondamentalement, c’est la science.

L’application s’appelle RespiRelax+ et permet de surmonter les crises de panique. Sur l’écran, une bulle monte et descend lentement. C’est gratuit. L’application s’appelle RespiRelax+ et permet de surmonter la perte de ses amis. Presque. C’est gratuit.

Une seule chose m’a sauvé la vie cette nuit-là. Je sus tombée dans les pommes. Une seule fraction de seconde probablement. Mais je n’étais pas là quand il a arrêté. Je me demande, lorsqu’on reprend connaissance, reprend-on le cours des choses là où on les avait laissées alors même que leur cours n’a pas cessé ? Comment puis-je éprouver qu’il a cessé de me violer ? J’attends quelque chose qui a déjà eu lieu, sans moi, sans ma conscience.

Lu en avril 2021

13 réflexions sur “« De mon plein gré » de Mathilde Forget

    1. il est assez court mais très intense, on a l’impression d’être à côté d’elle dans la salle d’interrogatoire.
      L’auteure a bien réussi à montrer comment l’esprit est désorienté après un viol:-)

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  1. Le malaise est omniprésent, tu as raison. C’est ce que je trouve réussi dans ce roman. Cette capacité à traduire le traumatisme, les pensées polluantes, le mutisme de la victime, l’envie d’arrêter et de l’autre côté, la recherche des faits qui ne peut laisser place à l’empathie et au soutien. Terrible mais très bien analysé. Heureusement, le roman est court 😉

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    1. il est très particulier, et l’auteure réussit bien à nous faire vivre l’interrogatoire sans qu’on se sente voyeur…
      J’en suis sortie épuisée mais contente de l’avoir lu et je sens que ce ressenti va m’accompagner un bon moment 🙂

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    1. c’est précisément une lecture oppressante! ellea très bien mis en évidence le discours parfois incohérent lors de l’interrogatoire par les policiers, le passage du coq à l’âne (pour mettre à distance le traumatisme) etc.
      tout est très bien fait, j’en suis sortie éreintée mais je suis contente de l’avoir lu 🙂

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  2. Bonjour Ève-Yeh,

    Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous m’avez connu il y a quelques années par WordPress avec mon blog « Voyages littéraires ».

    C’était à l’occasion de la sortie de mon précédent livre « De Caen à Baghdad ».

    Mon roman « Édith » sera disponible le 5 mai prochain. Je pense qu’il vous plaira et peut-être aimeriez-vous en faire la promotion dans vos articles.

    Si cela vous intéresse je peux vous faire parvenir un exemplaire gratuit par mon éditeur.

    Dans ce cas, à quelle adresse ?

    Bonne lecture à vous.

    Catherine Lavaud

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