« A l’ombre des loups » : Alvydas Slepikas

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai découvert grâce à des amis lecteurs participant au challenge et j’ai compris d’emblée qu’il était pour moi :

Quatrième de couverture :

Alors que la Seconde Guerre mondiale vient de s’achever, femmes et enfants allemands sont exposés à l’avancée de l’armée soviétique victorieuse en Prusse-Orientale. Dépossédés de leurs biens, craignant pour leur vie, ils endurent la faim et le froid, tandis qu’autour d’eux tout n’est plus que désolation. Leur unique espoir est de gagner la Lituanie voisine pour trouver à se nourrir : malgré la menace omniprésente des soldats russes, certains enfants décident d’entamer le périlleux voyage. La forêt sombre et inquiétante devient alors l’un des seuls refuges de ceux que l’Histoire appellera les « enfants-loups ».


Dans ce roman bouleversant, Alvydas Šlepikas fait revivre plusieurs de ces destinées en s’inspirant du témoignage de deux survivantes. À ce terrible hiver, dont on sent presque la morsure du froid, il prête une poésie et une beauté aussi inattendues que fascinantes, qui confèrent à ce livre une force irrésistible.

Ce que j’en pense :

Une ferme en Prusse Orientale, dans le froid et la neige. Cette partie de l’Allemagne est passée sous contrôle de la Pologne et l’URSS. Le seul espoir des Allemands, sous domination soviétique est de passer en Lituanie.

On fait ainsi la connaissance de deux familles : Eva dont le mari, Rudolf, est parti à la guerre, et ses enfants : Heinz, l’aîné qui traverse la forêt, affrontant tous les dangers, pour ramener un peu de nourriture, Renate, Monika, Brigitte et Helmut et aussi tante Lotte dont le père, héros de la première guerre mondiale, a disparu alors qu’il était allé se plaindre pour qu’on leur donne un minimum.

Eva était Berlinoise, de la « bonne société », pianiste, et lorsqu’elle a rencontré Rudolf, elle l’a suivi et épousé. Mais, elle vient de la capitale, alors on la snobe. Marta, va l’aider à s’intégrer dans la ferme et dans le village, devenant sa meilleure amie.

Les trois femmes se soutiennent pour résister à la faim et à la violence, partageant les maigres produits qu’elles ont réussi à trouver.

On a pris leur ferme et ils s’entassent dans la remise, autour du vieux poêle à bois qu’ils ont réussi à emporter et les mères doivent aller chercher (mendier) de la nourriture en essayant de ne pas se faire importuner, battre ou violer par des soldats russes ivres de vodka et de vengeance.

Les enfants ont faim, mais on doit se contenter d’épluchures ou d’eau chaude. Lors d’une expédition, elles sont agressées par des soldats ivres, et Marta va être battue, on lui a fracassé toutes les dents… Elle s’accroche encore pour ses enfants Grete, Otto et Albert.

Voilà la trame du roman, chacun va tenter de survivre et d’aider les autres. Heinz en repartant en Lituanie avec Albert. Le courage de ces gamins force l’admiration, celui des mères aussi, certes, mais les deux garçons sont devenus adultes très vite. Et même Renate sera obligée de partir.

La Lituanie qui les fait tous rêver pour commencer une nouvelle vie, n’est pas si accueillante que cela, certains, les aident, d’autres les utilisent comme des esclaves.

C’est en 1996 que l’auteur a appris l’existence de ces enfants allemands qui se sont réfugiés en Lituanie et qu’on appelait « enfants-loups », Wolfskinder et a décidé de raconter leur histoire. Les Allemands eux-mêmes savaient très peu de choses.

Je ne connaissais pas non plus l’existence de ces enfants, et Alvydas Slepikas m’a bouleversée avec ce roman que j’ai mis une semaine à lire (et pourtant, il compte 235 pages, notes comprises). J’alternais avec « Bobok » de Dostoïevski, pour pouvoir reprendre ma respiration.

La seconde guerre mondiale me passionne depuis l’adolescence, mais surtout ce qui concerne le nazisme, la Résistance, la Shoah. J’ai du mal à me lancer dans l’URSS stalinienne, car Staline n’a rien à envier à Hitler, mais martyriser son propre peuple, c’est encore une étape…

Au début, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce que les nazis avaient fait endurer aux Juifs, en entendant ces personnes se plaindre qu’on leur avait tout pris, pendant les trente premières pages, au maximum, puis l’empathie est revenue naturellement. C’est assez déstabilisant, je dois le reconnaître.

J’ai choisi les extraits que je propose, parmi les moins horribles, car certaines descriptions font froid dans le dos. Ce fut une lecture éprouvante, (car j’ai eu froid et faim avec eux dans cette forêt sinistre, avec de la neige partout, le cœur parfois, souvent même, en charpie), mais une lecture passionnante et très instructive qui m’a donné envie de trouver des témoignages d’enfants-loups qui ont survécu, ce qui a été compliqué pour Alvydas Slepikas, d’ailleurs car ils n’ont plus envie d’en parler.

J’en ai trouvé un sur Babelio : « Moi, Enfant-loup » d’Ingeborg Jacobs… si vous pouvez m’en conseiller d’autres, je suis toute ouïe…

J’ai découvert ce roman après avoir lu de belles critiques de lecteurs participant au challenge Le mois de l’Europe de l’Est, l’an dernier, donc je me l’étais procuré illico pour ma participation 2021. J’apprécie beaucoup ce challenge car je découvre des auteurs de pays dont je connais très mal la littérature.

9/10

L’auteur :

Alvydas Slepikas est dramaturge, scénariste et metteur en scène. Il a déjà publié plusieurs recueils de poésie et dirige la rubrique littéraire de l’hebdomadaire Literatura ir menas. À l’ombre des loups (Flammarion, 2020) est son premier roman.

Extraits :

Tout ressurgit du passé comme des ténèbres. Les personnes et les évènements semblent enveloppés d’un tourbillon de neige dans le silence d’un brouillard pesant. Tout est lointain, mais rien n’est effacé. Certains détails sont clairs, d’autres sont déjà perdus comme sur une photo qui a déteint. Le temps et l’oublie ont tout enseveli sous la neige, le sable, le sang et l’eau trouble.

Voici les brochures que l’on distribue aux soldats soviétiques pour les encourager : « Tuez tous les Allemands. Et leurs enfants aussi. Il n’y a pas d’Allemand innocent. Prenez leurs biens et leurs femmes. Tel est votre droit, telle est votre récompense ».

C’est un corps gelé. Les routes en sont pleines à présent et l’on dit que les loups ont pris goût à la chair humaine. Mais pourquoi faire tant d’histoires à propos des loups quand ce sont les gens qui ont pris leur place désormais.

On leur a attribué des maisons, on leur a dit de prendre ce qu’ils voulaient, sans penser une seule seconde à ceux qui les habitaient. Chaque bâtiment, chaque maison, chaque jardin avait déjà ses propriétaires. Prenez tout, tel est votre droit, telle est votre récompense.

Quand les premiers soldats russes débarquèrent, les habitants du village se mirent à prier. Ils étaient terrorisés, mais espéraient que les descendants de Tolstoï et de Dostoïevski ne seraient pas de cruels et sauvages conquérants…  

Endurcis comme ils étaient par plusieurs années d’une guerre des plus violentes, un mort de plus ou de moins n’avait pas grande importance à leurs yeux. Ils n’étaient plus guidés que par un profond désir de vengeance.

D’étranges formes se déplacent au milieu des champs et d’une tempête qui n’en finit pas. A travers les flocons, on peut par moment apercevoir le cimetière.

Il commence à faire sombre.

Les silhouettes des femmes et des enfants sont comme des fantômes qui se balancent dans le vent.

Les gens sont comme des chiens ou des loups, il ne faut pas les regarder dans les yeux, sinon ils vont voir que tu as peur, ils vont voir qu’au fond des tiens, il est écrit : « ayez pitié de moi, laissez-moi en vie, ne prenez pas mon pain, laissez-moi je ne vous souhaite aucun mal ». Et c’est la pire chose qui soit…

Dans ce pays sombres, la forêt sans fin encercle les fermes et les villages comme un mur noir. Les loups ne craignent plus les hommes, ils se nourrissent de leurs cadavres gelés. Les routes en sont pleines…

Lu en mars 2021

27 réflexions sur “« A l’ombre des loups » : Alvydas Slepikas

  1. Actuellement, pour des recherches généalogiques, j’enquête sur un homme qui a fuit la Prusse orientale suite, certainement, à l’invasion de la Russie et la misère qui sévissait. Les extraits sont bouleversants et donnent une réalité à cette immigration. Une découverte pour moi.

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    1. je ne connaissais pas l’histoire de ces enfants, j’ai découvert ce roman en lisant des chroniques et j’ai eu envie de le lire et d’approfondir.
      C’est une lecture bouleversante à plus d’un titre j’espère trouver des témoignages d’enfants qui ont survécu. Renate est inspirée d’un de ces enfants justement 🙂

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    1. c’est mon premier aussi et l’histoire et le style m’ont plu malgré la dureté de certains « épisodes » de la vie de ces enfants.
      ce challenge me plaît beaucoup, c’est un des rares que j’ai continué cette année (même si j’ai lu moins de titres que je l’avais prévu et pas les titres retenus 🙂
      il écrit bien, en plus !

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  2. Je n’ai jamais lu sur ce sujet et j’ai ce livre dans ma bibliothèque, je vais donc essayer de m’y plonger sous peu. Je multiplie les lectures sur la Seconde Guerre mondiale et la Shoah en particulier en ce moment, je vais reprendre un peu mon souffle et je me lance. 🙂

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    1. je lis régulièrement des livres sur la Shoah et la seconde guerre mondiale, je suis née dans le Vercors, haut lieu de la Résistance …
      il y a des passages durs, donc je lisais des nouvelles en parallèle c’est une lecture qui m’a pris du temps mais qui va me marquer pour longtemps 🙂

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      1. C’est aussi ce que je fais en ce moment. Je suis dans la lecture de « A pas aveugles de par le monde » de Leïb Rochman et je suis incapable de le lire en une fois, sans respirer avec d’autres textes tant il est éprouvant.

        La transmission des expériences est forte dans ma famille, mais c’est surtout mon travail de plusieurs années dans un mémorial sur la Shoah (des enfants plus spécifiquement) et les crimes contre l’humanité qui m’a profondément marquée et qui continue de le faire. Je continue un peu mon travail documentaire et mémoriel même si je suis partie. 🙂

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      2. je ne le connais pas je le note mais pas tout de suite j’ai besoin d’un peu de légèreté…
        Je me suis plongée dans « Impact » d’Olivier Norek mais on ne peut pas dire que ce soit léger finalement le XXe siècle a été violent, mais le XXIe continue sur la même trajectoire on dirait 🙂

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    1. il est vraiment bien écrit le thème est intéressant mais c’est une lecture dure par moments, il faut se donner du temps pour respirer. C’est son premier roman et je ne sais pas si on trouve ses poésies en français 🙂

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    1. il est dur car les exactions des soldats russes n’ont rien à envier aux nazis, donc il y a des moments difficiles mais c’est une belle histoire et le courage de ces enfants force le respect.
      Le personnage de Renata est inspirée d’une de ces rescapées…
      j’ignorais cet épisode tragique de l’Histoire -)

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    1. c’est une lecture éprouvante mais j’ai appris beaucoup de choses sur ces enfants-loups et ces gamins forcent le respect…
      cela m’a donné envie de rechercher des témoignages d’enfants qui ont survécu
      je l’avais noté en lisant une chronique sur la challenge 2020 🙂

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  3. Ping : Bilan 2021 du mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran – Des livres et des films

  4. Ping : Mois de l’Europe de l’Est 2021 – le bilan ! – Et si on bouquinait un peu ?

  5. Je retiens le titre car cette histoire, bien que terrifiante, me touche. je ne connais pas d’autres histoires d’enfants loups mais j’ai lu un livre de Stig Darman, écrivain suédois, Automne allemand, qui décrit la situation horribledes allemands juste après la guerre et les procès de « dénazification » qu’ils subissent.. Comme toi, j’ai eu une première réaction : après ce qu’ils ont fait, on ne peut pas les plaindre ! Et puis notre humanité revient, heureusement, et on éprouve de la compassion pour eux.
    En même temps, c’est plus facile pour nous d’éprouver ce sentiment maintenant, que directement après la guerre, pour ceux qui ont vécu l’extermination dans leur chair et à travers leur famille. Le livre est une profonde réflexion sur le thème de la culpabilité et qui montre combien elle est partagée entre les allemands et les autres, ceux qui, dans tous les pays, ont soutenu cette idéologie, à commencer par le pape !

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    1. ce roman va rester longtemps dans ma mémoire, car c’est percutant dans tous les sens du terme et ces enfants sont admirables (les mères aussi d’ailleurs)
      l’empathie est revenue assez vite, car ils en ont tellement bavé avec les Soviétiques…
      Je suis une fille (vu mon âge, ce serait plutôt grand-mère ha ha!) du Vercors alors les Allemands n’étaient pas en odeur de sainteté comme on dit, j’ai beaucoup lu sur le nazisme, la Shoah, mais j’ignorais totalement ce qui est arrivé aux Allemands après la fin de la guerre, la chasse aux nazis m’intéressait plus… Et surtout Staline me terrifiait…
      Là horizon nouveau…
      Je vais essayer de trouve « Automne allemand » car je ne le connaissais pas 🙂

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