« Lumière » de Christelle Saïani

Je vous parle aujourd’hui d’un premier roman bouleversant que je n’aurais pas remarqué sans les blogs des amis :

Résumé de l’éditeur :

Ambre et Olivier sont voisins : elle se débat dans les difficultés, il a le bonheur insolent, une famille unie, des amis présents. Ce déséquilibre, trop difficile à supporter, devient un véritable point de crispation pour Ambre qui nourrit peu à peu un ressentiment tenace à l’égard de son voisin.

Un jour, elle s’en prend à lui, pour déverser sa douleur, avant de venir lui présenter ses excuses. Elle découvre alors une faille dans la vie parfaite d’Olivier et le bonheur auquel elle aspire se lie curieusement au destin de cet homme si longtemps détesté…

Ce que j’en pense :

On fait la connaissance d’Ambre qui vient de découvrir le grand amour en la personne de Léo qu’elle a rencontré lors d’une séance de pose chez un peintre. Ambre est sur un nuage et attend Léo qui, de retour d’une mission à l’autre bout du monde, doit l’emmener en week-end. Elle croise une famille unie et heureuse : un couple qui part en randonnée vers la Montagne Sainte Victoire (coucou à Cézanne au passage !).

Ambre espère ressembler plus tard à cette famille à qui tout semble réussir. Un SMS arrive : Léo annonce de manière, tout sauf élégante, que tout est fini entre eux. Elle ne comprend pas et il ne donne pas de détails. Elle sombre dans la dépression, anorexie, perte de poids, ne sort plus de son lit, devenant l’ombre d’elle-même et se laisserait mourir si sa mère n’intervenait pas.

Elle finit par prendre en grippe ses voisins trop gais, et lors de sa première sortie pour aller faire les courses, une crise de panique surgit et elle va rabrouer la seule personne qui tentait de lui venir en aide : Olivier. Elle décide d’aller s’excuser et une nouvelle page s’ouvre devant elle.

En fait, tout n’est pas si drôle que cela du côté d’Olivier car on lui a diagnostiqué un cancer du poumon et le combat a commencé : chimiothérapie, radiothérapie, et la lutte très inégale entre le crabe et lui. Les traitements ne marchent pas, mais il garde le moral et sa capacité à rester dans la bienveillance et l’amour de l’autre, tout au long du processus, laisse admiratif.

On a ainsi deux maladies où un jeu morbide avec la mort s’installe, la lente sortie de la dépression avec un espoir au bout et le cancer qui n’en laisse pas beaucoup, mais la mort peut être au bout des deux.

Peu à peu, Ambre devient amie d’Olivier et de sa famille, et la sérénité, l’amour très fort qui unit cette famille va lui montrer qu’il existe une lumière dans la vie. Olivier essaie de ne garder que les belles choses dans la vie de tous les jours : la cuisine, les odeurs d’huile d’olive, les tomates, la persillade (ou autres), le plaisir de préparer un bon repas à partager avec Naïs à laquelle il est marié depuis seize ans, ses enfants mais aussi les amis du couple qui répondent présent. Ce qui n’est pas toujours le cas de nos jours, où la maladie fait peur et a tendance à faire le vide autour de nous.

Olivier, c’est l’ami qu’on aimerait tous avoir, sa capacité de résilience et son amour des autres le rendent tellement attachant qu’on aimerait l’aider, nous aussi. Bien sûr, il a ses failles comme tout le monde, il n’a pas revu son père depuis longtemps, celui-ci n’ayant jamais su lui parler, (appelle-moi par mon prénom !) et préférant se réfugier dans le déni.

Christelle Saïani nous décrit cette lutte contre le cancer, en utilisant les mots, sans se cacher derrière le fameux « longue et douloureuse maladie », ce qui rend les choses plus simples pour tout le monde. Elle réalise un superbe roman, sans pathos, sur des musiques de Bob Marley, de reggae ou autre, et ne laisse pas de côté ceux qui sont plutôt lâches comme Léo dont on connaîtra la suite de l’histoire.

On n’est pas simplement dans le cocon de l’amitié, car le père d’Olivier et la mère d’Ambre occupe leur place. Ce récit est loin d’être gai, puisqu’on y côtoie la maladie et la mort, l’amour et la passion, mais il est tellement lumineux qu’on en sort plein d’espoir.

Je retiens aussi la puissance de la montagne Sainte Victoire qu’Olivier aime tant escalader :

« Ici, la terre est rouge, argileuse, chargée d’oxyde de fer. Elle saigne. Plus haut, renflée dans sa base, la Sainte Victoire, blanche et bleutée, étire son immense colonne vertébrale vers le ciel. »

J’ai adoré ce roman, qui est le premier de l’auteure, versé quelques larmes, tant les mots sonnent juste, et j’ai émergé de cette lecture, avec le sourire, la lumière au fond des yeux, un comble dans le contexte de morosité qui m’accompagne ces derniers temps. Un livre à lire car c’est un rayon de soleil.

Un immense merci à Christelle Saïani qui a eu la gentillesse de me permettre de lire ce superbe roman.

Ainsi qu’à Pyrouette http://pyrouette.canalblog.com/archives/2020/09/20/38544136.html#c86875524

et Frédéric https://thedude524.com/2020/08/25/litterature-lumiere-de-christelle-saiani/ qui me l’ont fait découvrir…

9,5/10

Extraits :

Ce matin, le ciel est une mousse de couleurs, de fragrances, soyeuse et charnelle. A mon image, infiniment légère. Je suis amoureuse et mon état me tapisse de désirs sucrés.

Combien de fois ai-je eu la pleine conscience d’être vivante ? Totalement connectée au présent, sans remâcher, regretter, repenser, déplorer le passé ? Sans m’inquiéter de l’avenir, le désirer, le rêver, l’appréhender ?

Un moment hors de tout questionnement, où la pensée laissait uniquement place à la perception ? Bien vivante, les sens aiguisés, libre de recevoir ce que le présent si précieux et fugace, pouvait m’offrir. Combien de fois me suis-je contentée d’exister au lieu de vivre ?

Combien sommes-nous, chaque jour, à lire sur notre paquet ce terrible « Fumer tue », encadré proprement en noir sur fond blanc, avant d’ouvrir impassible, le blister ? Fumer tue, oui, mais jamais dans l’urgence. La maladie sait attendre, c’est toute sa force.

Combien de mois de ma vie, combien de sacrifices serviront de salaire à ma guérison ? Combien de temps avant de connaître la grâce d’être épargné ? Combien de temps avant de poster, moi-aussi, qui mettra un terme soulagé aux soins ?

 Naïs a résumé nos attentes, malgré leur profonde ambivalence : nous souhaiterions le plus de transparence et de vérité possible, sans que celles-ci n’altèrent mon espoir et celui de Naïs. Douloureux exercice de voltige…

Avec Naïs, nous n’avons pas parlé tout de suite de la maladie à nos proches. Les premiers jours, nous avons puisé dans notre couple le courage de faire face, nous nous sommes habitués à la morsure…

A force de me nourrir de manière chaotique, j’ai perdu le sens de ce que je peux désirer manger. Ma bouche ne goûte plus aucun plaisir.

J’ai honte de mon corps… En descendant l’escalier, je remarque froidement que mes pas ne produisent plus le moindre bruit. Corps sans pesanteur, maigre, spectre sans éclat ni présence.

Une confidence vomie à l’heure du thé, sans ambages ni fausse pudeur et qui me renvoie toute l’ineptie de notre situation réciproque : Olivier court après une vie dont il est amoureux mais qui le fuit, je fuis une vie qui ne m’apporte aucun bonheur.

C’est le travail le plus difficile qu’il me reste à accomplir : l’acceptation. Apprivoiser l’idée, aussi âcre soit-elle.

Léo ne m’écrira plus. Le fil d’or que je garde tendu entre lui et moi est un leurre, sa vie désormais ailleurs. Ne plus subir l’absence, mais tenter de la domestiquer.

Quand ton fils est déjà un homme, tu ne peux plus prétendre être un tuteur pour lui, la plante a poussé sans toi, au gré de ses rencontres et de ses influences.

Il faudrait démêler l’ensemble des nœuds qui nous empêchent de nous parler avec vérité, mais mon père feint d’ignorer qu’il y a urgence.

Franchir avec grâce et équilibre la ligne ultime, le regard ciblé sur le point de mire, en dépit de la peur et de la solitude…

Avoir encore le souci du bonheur au moment où l’univers se rétrécit.

Je sais, pour l’avoir endurée, que la douleur a un moule unique. Elle pilonne et infeste sans laisser le droit à l’espérance.

Mourir me semblait presque facile, un écho à la vie, un arrêt des souffrances qui en sont le legs. Une sorte de délivrance après l’effort. Mais la mort concerne aussi les autres, tous ceux qui nous aiment, sommés malgré eux de consommer son banquet funeste, elle est un véritable séisme qui jette impitoyablement à terre.

Chaque couple se construit sur un mythe, l’idée d’une singularité, d’une prédestination qui le renforce et injecte dans ses bases une dose de merveilleux, un lien unique, fatidique…

Le rire est médecin. Une composante primitive de nous-mêmes, identificatoire, qui offre cette capacité miraculeuse de réinjecter la vie de manière réflexe.

La maladie me castre, elle m’interdit le sexe, mais le sexe est partout, y compris dans la musique. Et ce que mon corps ne peut plus assouvir, mon esprit peut encore l’atteindre. Ma pensée trouve des prises, là où mon corps a renoncé…

Lu en octobre 2020

18 réflexions sur “« Lumière » de Christelle Saïani

    1. la réflexion de l’auteure sur la maladie, l’amour, l’amitié, la mort et beaucoup de choses encore m’a beaucoup plu et la manière de l’aborder est très belle, on n’est jamais dans le pathos et on en sort regonflé à bloc 🙂 presque un coup de cœur

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    1. c’est une lecture qui me marquer longtemps je pense car ce sont des thèmes sur lesquels je réfléchis et Christelle Saïani les a abordés de manière très fine.
      en plus, une fois commencé, c’est dur de le lâcher..
      Paradoxalement j’en suis ressortie avec la pêche alors que je nage en ce moment dans la morosité 🙂

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  1. Les extraits choisis sont très parlants et ton enthousiasme aussi. C’est donc un vrai coup de coeur que ce roman pour ceux qui le découvrent…Merci de nous le présenter, car a priori je ne l’aurais peut-être pas lu vu le sujet, en ce moment j’ai besoin de choses plus gaies…mais si on ne tombe pas dans le pathos alors je te crois.

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    1. sans les blogs je ne l’aurai peut-être pas remarqué…
      Ce livre est superbe, jamais triste alors que les réflexions conservent des sujets « sensibles », parfois tabous dans notre société qui refuse de regarder la mort comme inévitable 🙂
      il y a tellement de douceur que l’on se sent bien en le refermant 🙂

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    1. c’était à quelques millimètres du coup de cœur… c’est une très belle découverte sans toi, je serais peut-être passée à côté…
      j’ai eu du mal à rédiger ma chronique, comme toujours quand un livre me plaît beaucoup, j’aurais voulu faire mieux 🙂 et je sens qu’il va m’arriver la même chose avec « Apeirogon » je vais être en deçà du ressenti…
      belle soirée à toi aussi 🙂

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      1. Je compte lire « Apeirogon » également Eve, plutôt en décembre quand la PAL aura diminué 🙂 C’est toujours un exercice délicat que celui de vouloir transmettre le flot d’émotions ressentis face à un roman coup de cœur. ça me fais ça aussi Eve.
        Je te souhaite une belle soirée 🙂

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