J’ai choisi le livre dont je vous parle aujourd’hui sur NetGalley car le résumé a attiré mon attention et je voulais découvrir l’auteur après avoir lu des chroniques positives sur « K.O. », son premier opus :

Résumé de l’éditeur :
l y a déjà de longs mois que Sitam a brutalement quitté ceux qui partageaient son existence. Conscient désormais de son erreur, il cherche à retrouver sa compagne, lorsqu’il apprend la mort d’un ancien copain. Cette nouvelle l’oblige à retourner dans sa banlieue natale. Un voyage qui va le replonger dans le passé.
Ils étaient alors dans la même galère et formaient une bande. Complices, ils ont grandi entre la déconne, les problèmes d’argent et une soif immodérée d’aventure…
Deuxième roman d’Hector Mathis, « Carnaval » entraîne le lecteur dans le grand défi lé de personnages hauts en couleur que la vie n’épargne guère. Et le rire, toujours présent, rivalise joyeusement avec le désespoir.
Ce que j’en pense :
Sitam a tout lâché, sa vie d’avant, ses amis d’enfance, sa compagne Capu lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’une maladie neurologique : « il est scléreux » comme il le dit lui-même. Entre les médicaments et leur effets secondaires parfois terribles, la lucidité qui lui fait comprendre très vite que ceux-ci ne peuvent qu’atténuer les symptômes sans soigner vraiment, la dureté de la vie à Paris, dans la pauvreté et la solitude, il se rend compte qu’il a peut-être fait une bêtise en prenant la fuite.
A Paris, il a un copain de galère, Totor, qui livre des pizzas ou autres repas, à vélo, payé en fonction de la durée optimale de livraison fixé par l’employeur, et malheur à lui s’il est victime d’une crevaison ou autre contre-temps. Comment payer un loyer quand on gagne à peine de quoi ne pas crever de faim, quand on croise sur la route les « croque-poussière » comme il les appelle.
Alors, retrouver Capu devient une priorité et il frappe à toutes les portes (enfin, tous les numéros de portables qu’il connaît!). Mais, il est obligé de revenir dans la banlieue de son enfance car un des potes est décédé. Tous les souvenirs remontent, les bêtises de l’adolescence, flirtant avec la petite délinquance, l’alcool…
« Grand Jean fuyait l’école, Benji la solitude, le Muco la maladie, l’Allemand sa famille et moi l’ordinaire. C’était tout de même une enfance bien heureuse, pleine d’imaginaire, je sais bien que beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet, mais enfin je continue, une enfance avec l’infini au bout de la rue… »
Hector Mathis nous dresse un portrait de l’adolescence, des efforts pour se sortir du quotidien, des liens forts qui se tissent à cet âge-là, la difficulté de garder des illusions et la manière d’aborder la maladie est sans concession, aussi brutale que l’est la maladie elle-même.
Il oppose aussi banlieue et capitale, leurs architectures, les milieux qui ne se mélangent pas, bourgeois et croque-poussière, l’anonymat des villes… comment résister à la manière dont il croque le portrait de son pote surnommé « Muco » car il est atteint de mucoviscidose, et la respiration haletante, parfois coupée comme l’est le récit…
L’écriture est belle, ciselée, avec une langue verte, des coups de pied dans la grammaire, autant que dans la misère de la banlieue qu’il appelle « la grisâtre »…
Ce roman est particulier par son style, son rythme effréné, la course à la survie parfois, dans des familles souvent à la limite de la désocialisation. C’est un uppercut et même si le propos est parfois décousu, je me suis laissée emporter par les mots que l’auteur manie avec dextérité…
Ce roman est une suite de « K.O. » que je n’ai pas lu, mais cela ne m’a pas gênée dans ma lecture, juste donné envie de le lire évidemment.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Buchet Chastel qui m’ont permis de découvrir ce roman si particulier ainsi que son auteur.
#Carnaval #NetGalleyFrance
8/10
L’auteur :
Né en 1993, Hector Mathis grandit dans les environs de Paris entre la littérature et les copains de banlieue. Écrivant sans cesse, s’orientant d’abord vers la chanson, il finit par se consacrer pleinement au roman. Frappé par la maladie à l’âge de vingt-deux ans, il jette aujourd’hui l’ensemble de ses forces dans l’écriture.
Son premier roman, « K.O. », a été porté par les libraires.
Extraits :
Ce qu’il y a de pire avec les hôpitaux c’est que ça vous oblige à prendre le futur en pleine poire. Vous pouvez pas refuser la vision,condamné à la voyance que vous êtes. Tous les stades de votre maladie étalée dans une salle d’attente et vous encore au tout début…
J’ai foutu le camp d’avec ma Capu il y a bientôt huit mois. Le jour où j’ai su pour la maladie. Maintenant j’en suis revenu de ma crise de solitude. Depuis, je la cherche. Elle a disparu…
… Capu introuvable ! C’est inédit une situation pareille ! Perdre complètement la trace de quelqu’un à une époque où il est si difficile de ne pas être joignable…
D’ailleurs, quel que soit le quartier, bourgeois ou croque-poussière, il y en a très peu, des Parisiens de pure souche. On n’y grandit pas, dans la capitale, on y va pour se fondre dans la modernité. Provinciaux, banlieusards qui grimpent se troquer la peau contre une autre ? Lentement, la ville les avale.
Le pouvoir est un lieu creux, on y met ce qu’on projette, des craintes des admirations, du tempérament, surtout du tempérament. Tout est faux. Le pouvoir n’est qu’une caisse de résonance que chaque employé fait vibrer d’imagination…
On se marrait fort, tous les cinq ? On savait se disputer aussi. Pour ça, j’étais gâté. On s’est retrouvés dehors continuellement. Vagabonds. Nés dans un monde enfin de vie, le nouveau nous avait disloqués avant la dizaine. Un des siècles les plus ponctuels qui soient,le vingt-et-unième. Sonné un onze septembre. Pour la rentrée scolaire. Un an à peine après le nouveau millénaire.
J’ai le sentiment d’avoir été présumé coupable toute mon enfance. Qu’on attendait de moi des excuses. Au moins que je rougisse d’être là. Que je frémisse d’être né. Que je comprenne bien que j’étais de trop et qu’en vertu de ça faudrait commencer à se faire petit, discret, inexistant.
Tout ce qu’on arrive à percevoir des autres, c’est ce qu’on subit de nous-mêmes. On ne décrypte ailleurs que ce dont on fait les frais. On analogise.
C’est pour cela que j’aime la grisâtre. Le contraste s’exprime ailleurs. Dans la capitale les affichages sont propres et les rues sont sales. La grisâtre ne ment pas. Elle tombe droit sur les gens, droit sur les âmes.
Jouissif et rassurant ! Il s’était saboté. Il s’était voué lui-même à l’échec, persuadé que rompre le contrat avec le sort le condamnerait à subir bien pire que ce qu’il subissait déjà. Pire que sa souffrance ordinaire,familière, apprivoisée.
Ici, c’est Dieu ou rien. Ici on ne croit plus aux promesses intermédiaires. L’idéal, c’est pour ceux qui peuvent se permettre. Au goudron, on ne rêve pas, on meurt…
L’homme c’est un singe ! Un singe plus doué que les autre, mais doué pour quoi ? La violence et la prétention ! Rien de plus… Oh, tout de même… Il faut reconnaître que c’est extraordinaire ce qu’il a accompli… Quel talent ce grand singe ! Comme il danse ! Comme il pense! Comme il s’agite le moi puis se le contorsionne…