« La terre invisible » de Hubert Mingarelli

Je vous parle aujourd’hui d’un livre que j’ai choisi en lisant quelques critiques sur les blogs qui éveillaient ma curiosité:

 

 

Résumé de l’éditeur :

 

1945. Dans l’Allemagne occupée, un photographe de guerre ne parvient pas à s’en aller et à rentrer chez lui en Angleterre. Il est hanté par la libération d’un camp de concentration à laquelle il a assisté.

Il décide de partir au hasard des routes. Il photographiera les gens de ce pays devant leur maison dans l’espoir de comprendre qui ils sont pour avoir pu laisser faire ce qu’il a vu.

Un jeune soldat anglais, qui vient juste d’arriver et qui n’a rien vécu de la guerre, l’escortera et conduira la voiture réquisitionnée à travers l’Allemagne sans deviner les motivations qui poussent le photographe. Mais lui aussi porte un secret plus intime qui le hante et dont il ne parle pas.

La Terre invisible raconte leur voyage

 

Ce que j’en pense

 

Nous sommes en juillet 1945, à Dinslaken, au bord du Rhin, sous une intense chaleur. Un photographe anglais a « visité » un camp de concentration qui vient d’être libéré, en compagnie du colonel Collins, un gradé et de son chauffeur McFee qui se trouve incapable de dire ce qu’il a vu et n’a qu’une envie retourner chez lui le plus vite possible. Peut-on dire quand ce que l’on a vu est innommable ?

Notre photographe n’a pas envie de partir, il ne sait pas pourquoi, il a envie de photographier les gens du coin, simplement. Collins lui confie une voiture et O’Leary, un jeune homme qui vient juste d’arriver sur les lieux. Tout juste formé, il est arrivé trop tard sur le front et il pourra dire qu’il n’a jamais tué personne, donc les autres se moquent un peu de lui.

Ils vont partir au hasard sur la route avec quelques jerricans d’essence et des rations alimentaire.

Comment parler d’un roman où en apparence il ne se passe rien ? Le héros a une quête mais ne sait pas laquelle, tout ce qu’il sent, profondément en lui, c’est qu’il doit photographier les gens, dans leur vie de tous les jours. Il arrive à les approcher, même s’il est mal accueilli ; parfois, seul le fusil et la tenue militaire de son compagnon de voyage lui permettent d’établir un contact.

En fait les deux héros sont en quête de quelque chose et ont leurs propres cauchemars : les corps des morts qui s’agitent encore sous les bâches qui les recouvrent pour le photographe, et ceux liés à la vie de tous les jours du jeune militaire, qui chez lui allait dormir sur la plage, creusant un abri dans le sable. Ils fuient probablement quelque chose, l’un comme l’autre.

A-t-il voulu comprendre ce qui se cachait derrière ces personnes qui vivaient à proximité des camps et ne rien faire ? ou simplement voir si la vie continuait son cours à la fin de la guerre, comme auparavant ? qu’est-ce qui est invisible ? la conscience des personnes ? ou bien les camps ?

On ne saura jamais ce que le photographe recherche en tirant les portraits des gens, fermier, un couple qui se marie, entre autres. Hubert Mingarelli laisse le lecteur imaginer, en fait, à lui de se poser les questions. C’est très surprenant !

Je me suis demandée tout au long du roman, où l’auteur voulait m’emmener, sans vouloir me donner de réponse et étrangement c’est ce qui a fait la magie du livre. J’en suis sortie avec un tas de questions, un cerveau en ébullition à force de formuler des hypothèses…

L’écriture est belle, et ce livre m’a vraiment plu… Il m’a donné envie d’explorer l’univers de cet auteur que je ne connaissais pas du tout, alors qu’il a une quinzaine de livres à son actif, dont l’un a obtenu le prix Médicis.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Buchet-Chastel qui ont bien voulu m’accorder leur confiance.

#LaTerreInvisible #NetGalleyFrance

 

 

L’auteur

 

Hubert Mingarelli est l’auteur d’une œuvre très remarquée et largement traduite. Il a publié une quinzaine de romans et recueils de nouvelles, dont « Quatre soldats » (prix Médicis)

 

Extraits

 

J’étais assis derrière Collins et nous vîmes s’approcher au ralenti un lac d’un bleu intense, et sur la berge, deux Allemands côte à côte gisaient sur le dos, les vestes d’uniforme à moitié retroussées leur dévoilant le ventre, et derrière eux le lac si intensément bleu et calme ne semblait faire partie ni du ciel ni de la terre.

 

J’étais aux côtés de Collins lorsque nous pénétrâmes dans le camp. Me voyant hésiter, puis ne plus rien faire de mon appareil, il me demanda des yeux pourquoi tandis que ses hommes s’avançaient entre les cadavres gris et parfois se signaient et se regardaient entre eux et cherchaient du regard Collins sans penser encore à enfiler un foulard contre l’odeur mais s’accroupissaient silencieux devant les mourants gris et nus et ils demeuraient là, accroupis, immobiles dans la lumière du soir.

 

Soudain je me penchai vers Collins et lui dis dans un demi-sommeil et sans vraiment réfléchir : Collins, qu’est-ce que nous avons vu là-bas ?

 

Je me demandais si quelqu’un à part moi, en regardant cette photo, lirait dans son regard ce qu’il avait vu. Au moment où je déclenchais, il avait l’air heureux, il rentrait chez lui.

 

Jusqu’au soir je frappai aux portes. J’eus de la chance. O’Leary n’y était jamais pour rien. Son uniforme agissait. Les hommes et les femmes avaient des réactions différentes. Les enfants s’approchaient de la voiture. Les hommes fixaient intensément O’Leary. Lorsque la photo était prise, tous restaient devant les maisons tandis que nous nous en allions. Une vieille femme ouvrit la porte et la referma aussitôt comme si elle venait de voir le diable…

 

Je fermai un instant les yeux et essayai de me souvenir de ce que j’avais vu depuis ce matin, depuis la vallée et la maison des mariés. Il ne restait presque rien, vaguement des bois, la rivière, un pont. On aurait dit que tout s’était refermé au fur et à mesure que je le dépassais.

 

Pourquoi vous faites ces photos ?

Je restai silencieux, il n’insista pas. La question ne m’était pas destinée. Elle n’avait été ni murmurée ni posée à haute voix, on aurait dit un souffle de vent échappé de vents déchaînés et lointains, nous frôlant à peine et continuant sa course à travers champs.

Lu en octobre 2019

CHALLENGE 1% 2019

16 réflexions sur “« La terre invisible » de Hubert Mingarelli

    1. il est très surprenant! et en plus on n’a pas l’impression de tourner en rond, il a réussi à m’entraîner dans ce rythme un peu bizarre.
      Rien que pour l’originalité il mériterait le Goncourt mais avec eux on n’est jamais au bout des surprises 🙂

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  1. C’est un auteur que j’ai beaucoup lu quand je travaillais en lycée car ses écrits sont souvent courts mais chocs. Je n’en ai présenté que deux sur mon blog « Un repas en hiver » et « La route de Beit Zera » mais tout ce que j’ai lu de lui est marquant ! Je note celui-ci donc…

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    1. je vais noter ces 2 livres car je ne savais pas par lesquels continuer à explorer l’univers de l’auteur…
      Court et choc s’appliquent aussi à celui-ci. J’ai toujours plein de questions dans ma tête depuis que je l’ai fini, c’est un peu comme si l’auteur nous demandait de finir l’histoire comme on veut, on se sent partie prenante 🙂

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  2. Ping : Un voyage photographique (La terre invisible, Hubert Mingarelli) – Pamolico : critiques, cinéma et littérature

    1. ce roman soulève des questions sans jamais tenter de les résoudre, comme si une photo pouvait révéler l’âme ou la conscience des personnes, il faut le prendre au ixième degré c’est ce qui m’a plu… On ne reste pas sur sa chaise à suivre les héros, on voyage avec eux sur un chemin particulier 🙂

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