Je vous parle aujourd’hui d’un livre étonnant que j’ai choisi sur NetGalley car il se déroule au XIXe siècle qui est , ce n’est un secret pour personne mon siècle préféré.
Résumé de l’éditeur :
Pendant dix ans, trois des plus grands génies du romantisme ont vécu dans une étroite intimité.
Delacroix fait flamber la couleur dans ses toiles et dans ses somptueux décors muraux.
Chopin enchante le piano avec des irisations et des mirages.
Entre les deux, George Sand veille. Inspiratrice, admiratrice, amie, amante, parfois soignante.
Et la nuit, elle écrit.
Méandres amoureux, ardeur au travail, défi à tous les canons artistiques du temps.
Leurs lieux de résidence à Paris sont si proches qu’ils partagent repas, sorties au théâtre ou à l’opéra, fêtes officielles, soirées musicales.
Quand le besoin de paix se fait sentir, ils retrouvent la douceur du Berry : Nohant, le petit bois, la table abondamment servie, le grand Pleyel au salon.
Jusqu’à ce que la soudaine violence des événements mette en pièces leur étincelant trio.
Ce que j’en pense
Eugène Delacroix arrive chez George Sand à Nohant. Un tableau est prévu. On va assister à la rencontre entre trois géants de l’époque, George bien-sûr, mais aussi Chopin, son amant depuis quelques années et les échanges savoureux entre ces trois artistes, tant sur le plan sentimental que des réflexions sur la peinture, la musique et l’écriture et la manière dont elles interagissent.
Chopin est malade, et le diagnostic finit par tomber : phtisie et la pauvreté n’arrange rien, commet se nourrir quand on a peu d’argent et que la survie est liée aux cours qu’il donne…. Et il voit son cher amour s’éloigner de lui. Il continue à composé avec plus ou moins de succès car il est trop lié à George donc les critiques qu’on lui adresse ne concernent pas sa musique mais visent à attaquer l’écrivaine. Il s’acharne sur une barcarole qui sera mieux accueillie. Son pays lui manque, notamment les sonorités de la langue et seule sa sœur Ludowicka lui permet de garder le contact.
Pour Delacroix, il y a aussi des problèmes d’inspiration, il s’attaque à une Pieta qui n’est pas du goût des bien-pensants, il a aussi des projets de plafonds entre autres, ou son travail su Sardanapale. Il sait garder la bonne distance avec George Sand.
Le trio partage sa vie entre Paris où tout se passe, où tout le monde s’agite, et Nohant, où l’on vient se reposer au calme et profiter de la nature qui inspire, mais où la promiscuité relative (la maison est grande, dans ce Berry où il ne fait pas très chaud) ravive des souffrances, des amours déçues ou finissantes, et où traîne l’ombre de Musset qui est pourtant parti depuis longtemps.
« Alfred de Musset dessine, sans doute en avez-vous entendu parler ? N’importe où, n’importe quand, il dessine, il a ce don-là aussi. Il les a tous, en plus de celui de se détruire. »
D’autres personnages gravitent, les enfants de George notamment et sa fille n’est pas en reste dans le domaine de la séduction et de la manipulation.
Michelle Tourneur n’a pas choisi les années au hasard, c’est la fin d’un régime, on s’achemine vers 1848, les trois glorieuses, les révoltes. Elle utilise beaucoup les lettres échangées entre les trois héros, ce qui donne encore plus de relief au texte.
George Sand, n’a jamais hésité à exposer ses opinions et à défendre les pauvres, les paysans, ce qui ne lui vaudra pas que des amis.
J’ai beaucoup aimé ces trois personnages : je connais assez bien la vie de Chopin que j’admire énormément, j’ai lu des livres de George Sand comme tout le monde, mais je connaissais très mal Delacroix, à part « la liberté guidant le Peuple » comme tout un chacun…
Les discussions sur l’art, la conception de chacun sur sa discipline, les sonorités, associées aux couleurs et à la valse des mots de l’écriture, le tout baignant dans les sentiments amoureux, sont passionnantes et l’écriture de Michelle Tourneur est très belle, digne du XIXe siècle auquel elle rend un bel hommage.
C’est un superbe roman plein de magie, de douceur, de tristesse ou d’exaltation…Je l’ai refermé à regret et je m’y replongerai sûrement, en me procurant la version papier…
Un énorme merci à NetGalley et aux éditions Fayard qui m’ont permis de découvrir ce beau roman.
#LaFolleArdeur #NetGalleyFrance
L’auteur
Romancière et scénariste, Michelle Tourneur est passée maître dans la restitution par l’écriture des émotions artistiques.
Chez Fayard, elle a publié La beauté m’assassine, Cristal noir et La ballerine qui rêvait de littérature.
Une petite touche personnelle :
Je ne résiste pas à l’envie de vous proposer quelques vidéos de compositions de Chopin , évoquées dans le roman
Tout d’abord ce lien avec « La Barcarole » de Chopin dont il est question dans le livre
Personnellement, fan de Chopin, je préfère « les nocturnes » entre autres et dans les vidéos qui suivent je réunis mes deux passions : Chopin interprété par Katia Buniatichvili pianiste pour laquelle j’ai une véritable adoration…
Extraits
Avant de se retirer, il a pris avec Chopin l’infusion de tilleul qui calme les nerfs et que les enfants refusent. Chopin ne s’est pas beaucoup exprimé non plus. Par instants, il sortait de sa rêverie. Il l’appelait « cher ami, mon cher Delacroix », le regardant comme s’il mettait sa présence en doute. Elle l’avait prévenu à demi-mot de cet état : « Nous vous attendons avec une impatience pleine de bonheur. Venez donc, cher bon petit. Mon Chopinet est bien heureux et bien agité de vous attendre. »
À cette heure il est probable qu’il dorme. Que tous soient endormis. Elle ne l’est pas. La nuit est un voyage. L’écriture s’y déploie au fil des heures comme un ruban qu’on dévide dans un compartiment fermé : la chambre.
Est-elle en train d’écrire à l’heure qu’il est ? Édifie-t-elle un château enveloppé de brume, quelque part dans le flot du temps, alors que la clarté de la lune inonde la façade ? Il pressent. Il voit. Tous deux ont la disposition unique de partager ces vibrations à distance. Depuis huit ans leurs relations s’inventent et se réinventent à travers cette faculté. Depuis leur rencontre officielle à l’atelier, exactement.
Tout portrait est une capture, le peintre est capturé à son tour. Il lui semble qu’elle confonde sa vie avec ce qu’elle s’apprête à écrire, et que peu à peu il y prenne place lui-même. À mesure qu’elle lui entre dans l’œil, son expression absente devient attention, l’attention le cerne
Aujourd’hui elle sait, elle ne l’ignore pas, qu’après l’épisode blessant du portrait le peintre n’avait désiré la revoir que pour rencontrer Chopin.
Pour les mirages éblouissants déployés un soir chez Pleyel, ce sylphe de vingt-huit ans devant un parterre subjugué. Eugène en était. Envoûté par la fougue d’exécution, par les éclats et par les miroitements où il lui semblait retrouver ses propres visions ; touché par la gracilité de ce jeune homme … Eugène avait adoré la musique et le musicien. Il avait éprouvé l’envie de le rencontrer personnellement. On lui avait appris peu après la nouvelle rocambolesque de sa liaison avec celle dont il avait fait le portrait à l’automne. Il s’était mis à répondre assidûment aux invitations.
Gloire. Gloire absolue et confort cultivé contre les offensives imprévisibles du zal slave. Mais guérit-on de la nostalgie par l’absorption des philtres euphorisants de la gloire ? Guérit-on des bronches quand ni les boissons émétiques, ni les eaux de Reizneck n’ont réussi à apaiser l’inflammation chronique de l’enfance ?
George Sand observe et s’informe. Elle capte les atmosphères. En matière de musique, elle a un sens instinctif d’animal sauvage à l’affût. Dans sa petite enfance, elle se blottissait sous le clavecin de sa grand-mère. Lorsque Liszt est au piano elle se replie sous l’instrument pour sentir la vibration des accords passer sur sa peau. Mais elle ne pense qu’à Chopin. Progressivement, l’obsession lui est venue de ce jeune Polonais au génie étrange, un artiste, un vrai, ce qu’elle révère, ce qu’elle préfère, et cette idée fixe la fait souffrir. On connaît la liste de ses amants, les élans mystiques qui la traversent dans les intermèdes.
Il joue des airs tristes du bord de la Vistule. Il joue sans s’interrompre, hanté par la certitude d’avoir trahi un pays de troïkas perdues dans la neige et de maisonnettes en bois aux charpentes toutes de guingois. Un pays blessé, sans cesse soumis à la fatalité des destructions et des partages. Il ne voit pas celle qui vient d’entrer. Il ne voit ni décor ni présence. Il perçoit la tiédeur de son souffle comme il perçoit les respirations dans les concerts au point que parfois il suffoque. Et à l’instant il sent ses yeux à elle chercher les siens. Son corps tendu l’appeler. Ses yeux ne plus le quitter. Un torrent d’énergie le pénètre et le réchauffe. Assiégé, submergé par ces regards, il chancelle. Il ne connaît rien de l’amour.
Vous êtes aussi un artiste immense. Depuis le premier jour où j’ai découvert La Mort de Sardanapale à l’atelier, je vous ai senti à la recherche de clés qui ouvrent sur des profondeurs vertigineuses. – De clés ? Je ne sais pas du tout… La peinture est une puissance silencieuse, elle ne parle qu’aux yeux d’abord, il ne faut pas chercher l’idée… elle s’empare de l’âme ensuite.
Ensuite, presque immédiatement, le long commentaire ébloui de Berlioz. « Chopin se tient toujours à l’écart… on dirait qu’il a peur de la musique et des musiciens. Tous les ans, une fois, il sort de son nuage et se fait entendre quelques instants dans le salon de Pleyel… Son jeu est toujours le type de la grâce capricieuse, de la finesse et de l’originalité, et ses nouvelles compositions ne le cèdent point à leurs aînées pour la hardiesse harmonique et la suavité des mélodies… »
La maison est silencieuse à cette heure. Les Préludes sont chargés de réminiscences. Le no 4 retient la détresse du moment où il a été composé
Chopin, l’admiré des femmes et des grandes familles, Chopin l’adulé des capitales d’Europe, consigné sous les voûtes d’une cellule « en forme de grand cercueil ». Enfermé là pour cause de contagion mortelle. Le froid, la bronchite aiguë, la toux, le sang qui tache les mouchoirs. Le mal et la nouvelle du mal se propageant plus rapidement que les coups de vent sur l’île assiégée par la sauvagerie des éléments. Le mot a été lâché, il file de hameau en hameau : phtisie. Autant dire la peste noire, à Majorque.
Le souvenir revient au peintre, avec ce rouge incandescent resté dans son regard au sortir de l’église, de la bague en rubis rouge au doigt de George Sand. Rouge cinabre intense. Rouge du sang des batailles et rouge du cri de toutes les révoltes, il revient à ce détail qui n’est pas un détail. – Ce rubis de famille est une sorte de pont entre deux mondes, elle ne le quitte pas. Sa grand-mère l’a donné à sa mère après des mois de provocation et de haine.
Ce que nous avons à donner nous, artistes, ce ne sont pas des idées. Elles courent les rues. Comme le dit Balzac, Spinoza ou Kant, ouvrir ou fermer une porte, le mouvement est toujours le même… Ce que nous avons à donner est plus rare. Et sacré. C’est l’émotion… Il faut qu’elle le comprenne…
Chopin a entrouvert sa fenêtre sur la fin d’après-midi ensoleillée. On entend parler depuis la cour. Piano, silence, piano, voix du maître : « … vos harmonies naissent des relations entre les accords… de leurs reflets. Elles s’enchaînent. En peinture, c’est pareil. Les contours n’existent pas, la lumière les brise, les ombres glissent, elles n’ont aucun point d’arrêt distinct… »
Soudain une pensée malicieuse le traverse. Qui, dans les temps futurs, soupçonnera que le Dante représenté de profil par Eugène Delacroix au Luxembourg pourrait être le compositeur Frédéric Chopin ?
Viens, ma chérie. Suis-moi au salon, Ludwika ! Je te jouerai tout ce que tu voudras, lübia moya, mais auparavant, donne-moi ton rire…
… Celui-ci, le Prélude numéro 12, je l’ai écrit presque mort, enfermé derrière des seaux de pluie qui ne voulaient pas cesser. Ce sont mes états d’âme, j’en ai composé 24, ordonnés selon les 24 tons de la gamme.
Lu en octobre 2019