Je vous parle aujourd’hui d’un livre qui patientait aussi depuis longtemps sur une étagère de ma bibliothèque et que j’ai lu dans le cadre d’une lecture commune organisée par Florence via le Blogoclub
QUATRIÈME DE COUVERTURE
Michael Owen, un jeune homme dépressif et agoraphobe, a été chargé par la vieille Tabitha Winshaw d’écrire la chronique de cette illustre famille. Cette dynastie se taille en effet la part du lion dans tous les domaines de la vie publique de l’Angleterre des années quatre-vingts, profitant sans vergogne de ses attributions et de ses relations.
Et si la tante Tabitha disait vrai ? Si les tragédies familiales jamais élucidées étaient en fait des crimes maquillés ? Par une nuit d’orage, alors que tous sont réunis au vieux manoir de Winshaw Towers, la vérité éclatera…
Un véritable tour de force littéraire, à la fois roman policier et cinglante satire politique de l’Establishment.
CE QUE J’EN PENSE
Un vieux château lugubre perdu dans la campagne, digne de ces vieux manoirs hantés par des vampires ou des spectres, qui part en décrépitude, où l’on entendant grincer les meubles et les portes, où se réunissent les différents membres d’une famille qui se détestent cordialement mais se font des grands salamalecs, où l’on s’attend à tout moment à recevoir une vieille armure sur la tête, autrement dit « Winshaw Towers ».
Jonathan Coe nous invite à faire la connaissance de tout se beau monde, lors d’un prologue savoureux, où est décrit le premier drame : en 1942, l’avion du deuxième fils, pilote de guerre, est abattu par les Nazis alors qu’il effectue une mission et Tabitha sa sœur, sous le choc, devient extrêmement violente vis-à-vis de l’aîné de la fratrie : Lawrence et se retrouve enfermée en clinique psychiatrique jusqu’à la fin de ses jours.
Quelques années plus tard, on lui accorde une permission de sortie, à l’occasion de l’anniversaire du plus jeune frère Mortimer, et elle affirme que leur frère aîné est responsable : ce ne serait donc pas un accident mais un assassinat. Étrangement, un cambriolage a lieu durant la nuit et Lawrence abat le cambrioleur. Illico, Tabitha est renvoyée en psychiatrie.
Durant ce même prologue on fait la connaissance de Michael Owen, passionné par Youri Gagarine et hanté par un film qu’il a vu au cinéma… C’est à lui que Tabitha va s’adresser pour écrire « la saga des Winshaw »
Ce livre dresse, à travers tous ces membres de la famille Winshaw, un portrait au vitriol de la société de l’Establishment sous le règne de Mrs Thatcher : on a tout ce qui se fait de mieux dans le sordide et l’opportunisme avec , Hilary fille de Mortimer, qui réussit à se faire embaucher dans un journal via ses relations, et qui va régner sur la presse puis la télévision avec des chroniques tapageuses, méchantes écrasant tout le monde sur son passage pour abreuver le monde à coups de désinformations : une journaliste vraiment pourrie.
Puis on trouve Henry, politicien élu sur le banc des travaillistes en bon opportuniste mais qui soutient tout ce que préconisent les conservateurs, tombé sous le charme de Maggie, qui va œuvrer au démantèlement de la sécurité sociale, entre autres, pour la mettre entre les mains des spéculateurs en tous genres : on a donc le politicien pourri…
« Je n’ai jamais vu une femme aussi déterminée, ni une telle énergie de caractère. Elle piétine ses opposants comme de la mauvaise herbe sur son chemin. Elle les renverse d’une chiquenaude. Elle est tellement splendide dans la victoire. Comment pourrais-je la rembourser – comment aucun de nous peut-il espérer la rembourser – de tout ce qu’elle a fait ? « P 201
Dans la même veine, on aura Roddy, marchand d’art soi-disant mécène qui saute sur tout ce qui bouge (un Weinstein avant l’heure), Dorothy, la pire de tous qui épouse un fermier, rachète les terres de tous les paysans autour de sa ferme, et met en place l’agriculture moderne : poulets ou bétail entassés, agriculture intensive, (il faut gagner de l’argent !) ; elle va jusqu’à produire des plats cuisinés qu’elle impose sur le marché (« c’est de la merde » dirait Jean-Pierre Coffe) qu’elle se garde bien de manger. Tout s’utilise dans la ferme, les poussins mâles réduits en bouillie serviront de nourriture pour le bétail par exemple…
On a aussi Thomas qui va investir un autre domaine, la finance avec des spéculations, notamment sur les fonds de pensions, ruinant des petits retraités, coulant des boîtes … On a donc le financier pourri.
Pour finir, on a Mark, études de cinéma qui va se spécialiser dans les ventes d’armes, et de gaz toxiques etc. à Saddam Hussein qui était le gentil à l’époque…Et qu’à cela ne tienne, si Saddam les utilise, on ira les bombarder. Et, un pourri de plus dans la famille…
Bien-sûr, Jonathan Coe nous parle de son héros, Michael Owen, journaliste écrivain en panne d’inspiration qui ne quitte plus sa chambre, où règne un désordre immense, obsédé par un film qu’il a vu enfant et qu’il se repasse en boucle en se masturbant (physiquement et intellectuellement) et qui va tenter de comprendre s’il y a vraiment eu des meurtres dans cette famille ou si Tabitha délire. Il n’a évidemment pas été choisi au hasard pour écrire ce livre (grassement payé) sur la famille Winshaw…
Une satire au vitriol de cette société des années quatre-vingt, une famille pourrie que j’ai adoré détester tant les portraits sont caricaturaux (à part Dorothy qui est immonde avec son massacre de l’agriculture, ruinant les paysans qui pouvaient résister et surtout la maltraitance animale, cause pour laquelle je suis intransigeante), bref, une famille qui représente tout ce que je déteste.
J’ai beaucoup aimé ce roman, un pavé de 682 pages, que j’ai dévoré car c’’est un véritable page-turner, et Jonathan Coe sait très bien jouer avec le lecteur, alternant les descriptions des personnages, l’étude de toutes les magouilles politiques de l’époque dont je me souviens parfaitement car je n’étais pas un fan de Mrs Maggie, avec une écriture vive, un rythme enlevé : on ne s’ennuie pas une seconde et on n’a pas du tout envie que le roman se termine, et une fin superbe.
L’auteur nous propose un arbre généalogique au début du livre qui est fort utile pour s’y retrouver dans la dynastie et des coupures de presse intéressantes viennent émailler le récit.
Coup de cœur donc…
EXTRAITS
Mais, l’on peut dire que chaque penny de la fortune des Winshaw – qui remonte au dix-septième siècle, quand Alexander Winshaw entra dans les affaires en s’assurant une part lucrative du fructueux commerce des esclaves – eut pour origine, d’une façon ou d’une autre, l’exploitation éhontée des faibles, et j’estimais par conséquent que l’expression « criminels » leur convenait à la perfection, et que j’accomplissais une mission fort utile en portant leurs méfaits à la connaissance du public, tout en me tenant scrupuleusement dans les limites de ma commande. P 132
… les gens comme moi savent trop bien que même si on pense avoir découvert un nouveau Dostoïevski, on n’en vendra pas le quart que ce que pourrait faire n’importe quelle merde écrite par un type qui présente la météo à leur putain de télévision. P 150
Le fond de l’histoire, c’est que JE CROIS QUE JE SUIS AMOUREUX. Oui ! Pour la toute première fois ! A la tête de l’Association, il y a une fille de Somerville appelée Margaret Roberts et je dois dire qu’elle est à tomber par terre ! Une chevelure châtain absolument superbe – j’avais envie de m’y enfouir le visage. La plupart du temps, je n’ai rien pu faire d’autre que la regarder avec les yeux écarquillés, mais j’ai fini par avoir le cran de me lever pour lui dire combien la réunion m’avait plu… P 175
Ce que nous allons finir par recommander – si j’ai quelque chose à y voir – c’est la participation d’administrateurs extérieurs à tous les niveaux, rémunérés en fonction des résultats. C’est le point crucial. Nous devons nous débarrasser de cette idée enfantine selon laquelle les gens peuvent être motivés par autre chose que l’argent. P 194.
… j’ai toujours eu le sentiment que si la chance peut orienter nos vies, alors c’est que tout est arbitraire et absurde. Il ne m’était jamais vraiment venu à l’esprit que la chance pouvait aussi apporter le bonheur. Je veux dire, c’est la chance seule qui a fait que nous nous sommes rencontrés, la chance seule qui a fait que nous vivons dans le même immeuble, et maintenant nous sommes ici… P 218
Dans les restaurants les plus chics, dans les soirées privées les plus somptueuses, elle s’efforçait de convaincre fonctionnaires et députés de la nécessité d’accorder des subventions toujours plus considérables aux agriculteurs qui désiraient se convertir aux nouvelles méthodes d’élevage intensif… P 340
Comme Hilary (qui ne regardait jamais ses propres programmes de télévision), Dorothy n’avait jamais eu la moindre intention de consommer les produits qu’elle était trop heureuse d’imposer à un public résigné. P 352
… Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça, répondit Henry. Les journaux ne vont pas se mettre à parler d’une chose aussi barbante que la production alimentaire, et si jamais ils le font, le public ne s’y intéressera pas, car il est trop stupide. P 353
Le truc, c’est de faire sans cesse des choses scandaleuses. Il ne faut pas laisser aux autres le temps de réfléchir après avoir fait passer une loi révoltante. Il faut aussitôt faire quelque chose de pire avant que le public ne puisse réagir. Vois-tu, la conscience britannique n’a pas plus de capacité que… qu’un petit ordinateur domestique, si tu veux. Elle ne peut conserver en mémoire que deux ou trois choses à la fois. P 433
LU EN MAI 2018
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