« L’art » : Elizabeth Bishop

Dans « L’art de perdre », Alice Zeniter cite  ce magnifique poème d’Elizabeth Bishop qui lui a inspiré le titre de son roman. Je vous le livre, pour prolonger un peu le plaisir…

 

Dans l’art de perdre, il n’est pas dur de passer maître,

tant de choses semblent si pleines d’envie

d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.

 

Perds chaque jour quelque chose. L’affolement de perdre

tes clés, accepte-le, et l’heure gâchée qui suit.

Dans l’art de perdre, il n’est pas dur de passer maître.

 

Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre

tes pertes : aux endroits, aux noms, au lieu où tu fis

le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.

 

J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière

ou l’avant-dernière de trois maisons aimées : partie ?

Dans l’art de perdre, il n’est pas dur de passer maître.’

 

J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes

des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.

Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.

 

Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste

que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui

dans l’art de perdre il n’est pas trop dur d’être maître

même s’il y a là comme (écris-le !) comme un désastre.

 

Extrait de « Géographie III », dans une traduction de Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard, Circé, 1991

 

6 réflexions sur “« L’art » : Elizabeth Bishop

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