« Le musicien aveugle » de Vladimir Korolenko

Les challenges ont du bon ! Je vous parle aujourd’hui d’une nouvelle écrite en 1886 par un auteur que je connaissais pas du tout. Toujours sur le site de la bibliothèque russe et slave

 

Avant-propos

En présentant au public français le chef-d’œuvre de Korolenko, nous croyons utile de rappeler le jugement qu’a porté sur « le Musicien aveugle » un critique russe renommé, Skabitchevsky, dans son « Histoire de la littérature moderne ».

« Le Musicien aveugle est le dernier mot de la perfection, une des œuvres les plus admirables que le monde littéraire ait jamais comptées. Impossible d’imaginer un sujet plus simple, avec moins d’artifice, et en même temps une analyse psychologique plus profonde.

Le voici en deux mots : Dans la famille d’un gentilhomme campagnard de l’Ukraine naît un garçon aveugle qui, plus tard, se marie avec l’amie de son enfance et devient un musicien célèbre.

« Toute l’action se passe dans l’âme du héros ; le livre n’est que le tableau du développement intellectuel et musical d’un enfant aveugle. Nous avons sous les yeux une étude purement psychologique, une étude abstraite qui risquerait d’être sèche et ennuyeuse…

 

Ce que j’en pense

Un récit plein de poésie, sans trémolos qui nous raconte l’histoire de Pierre alias Petroussia, aveugle de naissance qui va apprendre à s’orienter, se mouvoir, reconnaître les visages, grâce à l’amour bienveillant de sa mère Anna et de son oncle Maxime, homme qui a beaucoup bourlingué, dans sa jeunesse rejoignant Garibaldi, à la recherche d’un idéal.

« En ces moments, le guerrier mutilé songeait que la vie est une lutte où il n’y a pas de place pour les invalides. Il se disait qu’il était sorti à jamais des rangs, et qu’il était une charge pour autrui ; il se faisait l’effet d’un cavalier désarçonné par la vie et gisant sur le sol. »

Un soir, en s’endormant, il entend des sons différents qui échappent à l’oreille maternelle et comme cela se reproduit, elle comprend que cela provient du chalumeau de Jokhime et la musique va faire son entrée dans l’univers de l’enfant.

Pétroussia utilise ses autres sens pour tenter de percevoir et comprendre ce que ses yeux ne peuvent pas voir.

La découverte du piano que sa mère a acheté car elle en jouait autrefois : mais l’enfant est plus attiré par le chalumeau. Les chansons cosaques l’émeuvent plus que la musique classique. La façon dont la mère entre en compétition avec le paysan est touchante, car dénuée d’animosité.

« Oui, l’instrument viennois avait de la peine à vaincre le chalumeau du petit-russien. Une minute ne s’était pas encore écoulée que l’oncle Maxime frappa tout à coup rudement de sa béquille contre le plancher. »

Vladimir Korolenko livre une réflexion profonde sur la souffrance physique (comme celle de l’oncle Maxime dont le corps est usé) et la souffrance morale : Pétroussia souffre de ne pas être comme les autres, de son hypersensibilité qui fait de lui une véritable éponge et peu à peu le fait sombre dans la mélancolie quand il approche de l’adolescence. L’entrée dans sa vie d’une petite voisine de son âge, Eveline, va encore enrichir la palette de ses émotions.

Les réflexions sur les sons pour exprimer les couleurs, les vibrations sont très belles (le texte a été écrit en 1886) ou lorsqu’il sent par la peau l’évolution de la course du soleil ou de la lune…

Ce récit romantique ne sombre jamais dans le pathos, les mots sont simples mais percutants, une fois le livre commencé, on n’a plus envie d’en interrompre la lecture.

Cet auteur est classé dans les auteurs russes alors qu’il est en fait Ukrainien (le petite Russie disait-on à l’époque où elle faisait partie de la Russie tsariste… J’aime bien l’expression « Petit-Russien » pour parler des Ukrainiens

Un auteur qui m’a beaucoup plu alors que je n’en avais jamais entendu parler et dont j’ai envie de continuer à explorer l’œuvre.

Challenge XIXe siècle 2017

 

L’auteur

Vladimir Galaktionovitch Korolenko, né à Jytomyr le 27 juillet 1853 et mort à Poltava le 25 décembre 1921, est un écrivain ukrainien engagé d’inspiration populiste, auteur de nouvelles, journaliste et défenseur des droits de l’homme.

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Extraits

Peut-être son cœur maternel avait-il senti qu’avec le nouveau-né apparaissait au monde une douleur noire et sans issue, qui restait suspendue au-dessus du berceau pour accompagner la nouvelle existence jusqu’à la tombe même.

Du reste, il se pouvait aussi que ce fût un vrai délire. Quoi qu’il en soit, l’enfant naquit aveugle.

D’abord, il ne prêta pas grande attention au petit aveugle ; mais après, la similitude de l’existence de l’enfant avec la sienne propre parut intéressante à l’oncle Maxime.

C’est ainsi que les sons constituaient pour lui la principale et immédiate expression du monde extérieur ; les autres sensations ne servaient qu’à compléter les impressions de l’ouïe, dans lesquelles, comme dans des moules, se fondaient toutes ses images.

Il semblait que, sous l’influence de la paix extérieure, il surgît des profondeurs de son âme des bruits perceptibles pour lui seul, et auxquels il paraissait prêter l’oreille avec une attention extrême. En le voyant dans ces moments-là, on pouvait croire que la pensée indistincte qui venait de naître dans son esprit commençait à résonner en lui comme une vague mélodie.

Le secret de cette poésie consistait dans cette merveilleuse union entre le Passé, mort depuis longtemps, et la Nature, éternellement vivante, éternellement parlante au cœur de l’homme, la Nature, témoin de ce Passé. Et lui, le rude moujik aux bottes cirées de goudron, aux mains calleuses, portait en lui cette harmonie, ce vivant sentiment de la Nature !

Il y a des êtres prédestinés pour les douceurs et les sublimités de l’amour, d’un amour accompagné de peine et d’inquiétude ; des êtres pour lesquels le souci du chagrin d’autrui constitue comme l’atmosphère propre et comme un besoin organique. La nature les dota au préalable de cette sérénité faute de laquelle aucun acte de la vie journalière ne serait possible ; elle adoucit avec prévoyance les élans, les aspirations de leur vie personnelle, en pliant ces élans et ces aspirations au trait dominant de leur caractère.

Lorsqu’elle avait fait la connaissance du petit garçon sur la colline, au milieu du steppe, Éveline avait ressenti pour la première fois la souffrance aiguë de la compassion, et maintenant sa présence lui devenait de plus en plus indispensable. Séparée de lui, la douleur aiguë de cette plaie qui s’ouvrait, semblait-il, de nouveau, lui revenait plus vive, et il lui tardait de revoir son petit ami, afin de soulager sa propre souffrance par les soins qu’elle lui prodiguait.

https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Korolenko%20-%20Le%20Musicien%20aveugle.htm

 

Lu en mars 2017

3 réflexions sur “« Le musicien aveugle » de Vladimir Korolenko

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