« Petit pays » de Gaël Faye

Je vous parle aujourd’hui d’un livre de cette rentrée littéraire qui m’a particulièrement touchée:

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 Quatrième de couverture

          « Au temps d’avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et le reste, c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer. Si on me demandait « Comment ça va ? » je répondais toujours « ça va !». Du tac au tac. Le bonheur, ça t’évite de réfléchir. C’est par la suite que je me suis mis à considérer la question. A esquiver, à opiner vaguement du chef. D’ailleurs tout le pays s’y était mis. Les gens ne répondaient plus que par « ça va un peu ». Parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous était arrivé.» GF

          Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis, l’harmonie familiale s’est disloquée en même temps que son « petit pays », le Burundi, ce bout d’Afrique centrale brutalement malmené par l’Histoire.

          Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de cœur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d’orage, les jacarandas en fleur. L’enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.

 

Ce que j’en pense :

          Ce livre est bouleversant, l’auteur raconte la guerre dans son « petit pays » le Burundi à travers les yeux d’un enfant, Gaby, un double de Gaël, que l’on va suivre de l’âge de dix ans à treize ans. Son père est Français, sa mère a fui le Rwanda. Avant, c’était le bonheur avec ses parents et sa petite sœur Ana, mais il ne le savait pas. Un premier séisme apparaît avec le divorce qui se passe mal.

          Gaby se tourne vers sa bande de copains, Gino, les jumeaux dans leur impasse. Après l’école ils vont chaparder les mangues chez les voisins, tirent des plans sur la comète dans un vieux Combi Volkswagen,  voulant à tout prix rester dans l’enfance et ne pas voir la violence qui monte, la haine entre Hutu et Tutsi gagnant le pays.

          L’auteur nous décrit la montée de la violence, les tueries de masse qui réduisent la famille de sa mère à néant, et comment peu à peu, elle en vient à toucher les enfants, à modifier leur façon de penser. On passe de l’insouciance de l’enfance au coup d’état et la prise de conscience brutale de l’intolérance, du racisme interethnique, de la peur, de l’horreur.

          « Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J’ai découvert l’antagonisme hutu tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou de l’autre. Ce camp, tel un prénom qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. »

          C’est la rencontre avec les livres que lui prête une voisine grecque qui va modifier son existence : il peut ainsi échapper à l’horreur, apprendre à penser par lui-même car elle le fait parler de ses lectures, ne  pas seulement résumer mais dire ce qu’il ressent.

           « Bien sûr, un livre peut te changer ! Et en même temps changer ta vie. Comme un coup de foudre. On ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis. »

          Gaël Faye ne tombe jamais dans le pathos, car il n’est jamais facile de raconter des évènements dramatiques, la sortie brutale de l’enfance, le fait de s’apercevoir qu’on est métis alors que l’on ne s’était jamais posé la question d’une identité quelconque, l’obligation de choisir,  la perte de l’innocence, la possibilité de résilience à travers les livres.  Le style est simple, presque épuré mais beau car on imagine les manguiers, les bougainvilliers, la brutalité des orages, les pluies diluviennes, les termites…

          Je ne connaissais pas le chanteur mais son roman m’a donné envie de faire plus ample connaissance, de découvrir son univers. Comme il le dit, c’est en France qu’il a pu parler du Burundi et maintenant qu’il vit au Rwanda, c’est de la France qu’il a envie de parler d’écrire, comme si l’éloignement était nécessaire à l’inspiration.

            C’est un premier roman, qui a fait partie de la sélection finale du Goncourt et qui a reçu le Goncourt des Lycéens.

          Note : 9/10

 

L’auteur :

Gaël Faye, né en 1982 au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français.  est auteur-compositeur interprète de rap .

En 2013 paraît son premier album solo, « Pili Pili sur un croissant au beurre ». Enregistré entre Bujumbura et Paris, il se nourrit d’influences musicales plurielles : du rap teinté de soul et de jazz,  de la rumba congolaise …

« Petit pays » est son premier roman.

 

Extraits :

          La nonchalance des débuts s’est muée en cadence tyrannique comme le tic-tac implacable d’une pendule. Le naturel s’est pris pour un boomerang et mes parents l’ont reçu en plein visage, comprenant qu’ils avaient confondu le désir et l’amour, et que chacun avait fabriqué les qualités de l’autre. Ils n’avaient pas partagé leurs rêves, seulement leurs illusions.

 

          Mamie en voulait à Maman de ne pas nous parler kinyarwanda, elle disait que cette langue nous permettrait de garder notre identité malgré l’exil, sinon nous ne deviendrions jamais de bons Banyarwandas, « ceux qui viennent du Rwanda ». Ma mère se fichait de ces arguments, pour elle, nous étions des petits blancs, à la peau légèrement caramel, mais blancs quand même.

 

          Ils parlaient bien tous les deux de la même chose. Le retour au pays. L’une appartenait à l’Histoire, l’autre devait la faire. P 71

 

          J’ai beau chercher, je ne me souviens pas du moment  où l’on s’est mis à penser différemment. A considérer que dorénavant, il y aurait nous d’un côté, et de l’autre, des ennemis.

 

          Nous avons commis une erreur en abandonnant le parti unique.  Il a fallu des siècles et bien des conflits pour que les blancs arrivent au stade où ils en sont. Ils nous demandent aujourd’hui d’accomplir la même chose en l’espace de quelques mois.

 

          Les présidents militaires ont toujours des migraines. C’est comme s’ils avaient deux cerveaux. Ils ne savent jamais s’ils doivent faire la paix ou la guerre.

 

          Ce pays est fait de chuchotements et d’énigmes. Il y avait des fractures invisibles, des soupirs, des regards que je ne comprenais pas.

 

          La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. En un sens, elle est injuste.

 

          Sans cesse, je pensais au jour d’après. Le bonheur ne se voit que dans le rétroviseur. Le jour d’après ? Regarde-le. Il est là. A massacrer les espoirs, à rendre l’horizon vain, à froisser les rêves.

 

Lu en décembre 2016

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